Phil Tippett : Mad God

Mad God, troisième film de Phil Tippett et deuxième long-métrage, est sorti en France en 2023. Bien que le film possède déjà sa critique sur notre site Close-up Magazine, la sortie en DVD est l’occasion de jeter un coup d’oeil sur la prolifique carrière de Phil Tippett.

Le temps de la découverte

D’après les propres mots de Phil Tippett, c’est en découvrant King Kong, film réalisé en 1933 par Merian Cooper et Ernest Schoedsack, que son goût pour l’animation lui est venu. Subjugué par le travail sur les effets spéciaux de Willis O’Brien, le jeune Phil s’approprie papiers et crayons, ainsi débute le travail de toute une vie.

En se replaçant dans le contexte des années 50, il est aisé de comprendre comment un enfant a pu être émerveillé par les films de son époque. Bien que le numérique n’existait pas encore pour mettre en scène des mondes fantastiques et faire vivre des créatures mythologiques, les techniques étaient nombreuses pour réaliser les rêves et les désirs des scénaristes et des réalisateurs les plus fous ou ambitieux. Parmi les moyens existants pour permettre à la magie du cinéma d’opérer se trouve la Stop-motion, ou technique d’animation image par image, qui utilise des figurines en argile modelées à la main et qui étaient ensuite manipulées centimètre après centimètre pour, à vitesse réelle, créer un mouvement fluide et naturel. Cette technique qui pourrait paraitre archaïque ou désuète pour les profanes, était ce qui se faisait de mieux en matières d’effets spéciaux. La Stop-motion, ainsi que ceux qui l’ont développé, ont offert au cinéma des années 30 à 70 des films mémorables. Nous venons de citer King Kong qui fait figure de mètre étalon, mais les années 50, année de naissance de Phil Tippett, ont surtout été marqué par le travail de Ray Harryhaussen sur des films comme Le 7ème voyage de Sinbad et Jason et les argonautes.

Profondément marqué par le travail de ces artistes de l’ombre, Phil Tippett poursuit son rêve et entame des études de cinéma à l’université de San Marco en Californie d’où il ressort diplômé quelques années plus tard. Tout à fait acquis à la cause de la Stop-motion, Phil débute sa carrière comme sculpteur-animateur pour Cascade Pictures, une société de production spécialisée dans les films publicitaires.

Star Wars : un coup de maître

Fort de ses dernières expériences professionnelles, Phil Tippett est approché en 1977 par Georges Lucas pour animer les créatures de l’holoéchecs du Faucon Millénium et inventer les costumes des monstres de la Cantina. Durant cette période de travail, Phil fait la connaissance de Rick Backer, un autre spécialiste des effets spéciaux que l’on connait pour The incredible melting man. Pour l’ensemble du travail réalisé, Star Wars rafle onze oscars en 1978, parmi eux deux récompensent le travail de Phil Tippett et de ses collègues, celui des meilleurs effets visuels et meilleure création de costume.

La même année, Phil se voit confier la direction du département d’animation de la société ILM, la société d’effets spéciaux fondée par Georges Lucas, où il est alors chargé de travailler sur L’empire contre-attaque. Phil et son équipe créent de nouveaux costumes de monstres, ainsi que le personnage de Jabba le Hutt. Ils modélisent et animent les TB-TT, ces énormes pachydermes de métal, lors d’une scène de bataille épique. Ils travaillent également à la conception des Tauntauns, un hybride de cheval et de bouc, pour lequel ils mettent au point la technique de la go-motion qui permet d’ajouter des effets de flou lors des mouvements rapides et accroitre l’impression de vitesse.

En parallèle du projet Star Wars, Phil travaille avec William Stromberg en 1977 pour son film The crater lake monster. L’année suivante, il travaille avec Joe Dante pour son film Piranhas. C’est à lui que l’on doit ces petits poissons carnassiers qui, comme Les dents de la mer de Steven Spielberg, ont traumatisé des générations de baigneurs.

Tippett Studio

Après six années d’un travail intense et mémorable, Phil Tippett sent le besoin de se reposer et de se retrouver avec lui-même, il aspire à retrouver son indépendance et sa liberté de création. Grâce au succès mondial de Star Wars, et à Georges Lucas qui lui a accordé un petit pourcentage sur les profits générés par les films, Phil décide de fonder sa propre société : Tippett Studio.

Ravi de cette nouvelle liberté, Phil réalise son premier film en 1984, Préhistoric Beast, un court-métrage d’une dizaine de minutes. Ce film était destiné à être diffusé dans les écoles pour permettre l’étude de la préhistoire et des dinosaures avec les enfants. Ironie du sort, son film est jugé trop violent et il risquerait d’effrayer le jeune public. En voyant les images, il est facile de comprendre la frilosité d’un distributeur. Outre l’apparence physique et l’animation très réelle des dinosaures, c’est la mise en scène qui dénote par son rythme rarement vu en stop-motion. A lui seul, ce court-métrage résume le savoir-faire d’un homme qui s’est dédié à sa passion et qui n’a cessé d’en repousser les limites.

Après cet échec qui n’en n’est pas vraiment un puisque son travail sera repris et intégré dans Dinosaur !, un film de Robert Guenette sorti en 1985., Phil Tippett et son équipe sont amenés à travailler avec Paul Verhoeven (Robocop), Ron Howard (Willow), Joe Johnston (Chéri j’ai rétréci les gosses) et tant d’autres encore.

Jurassic Park : l’ère du numérique

Bien que le numérique fasse son apparition au début des années 70, grâce au travail de John Whitney sur le premier film de Michael Crichton, Westworld, il faut attendre 1993 pour que s’opère un tournant majeur dans la conception des effets spéciaux avec la sortie de Jurassic Park. Approché en 1991 pour commencer à travailler sur les dinosaures et leurs animations, Phil et son équipe se mettent à exécution mais Steven Spielberg tombe sous le charme de l’animation en image de synthèse et décide de s’en servir.

Cette décision semble sonner le glas de toute une génération de techniciens des effets spéciaux, mais le numérique n’en n’est qu’à ses débuts, le rendu n’est pas aussi naturel et crédible que les techniques développées depuis presque cent ans par la stop-motion. Les informaticiens se heurtent à plusieurs difficultés qui seront surmontées lorsqu’un mariage de raison se fait entre le travail artisanal et le tout numérique. Dès lors, la nouvelle génération s’appuie sur le savoir-faire et les connaissances de ses prédécesseurs pour faire revivre la période du crétacé et offrir au public un des films les plus marquants de son époque. Ce travail sera récompensé par l’oscar des meilleurs effets visuels en 1994.

Après cet événement qui aurait pu marquer l’extinction de la stop-motion et de ses différentes techniques, Phil Tippett s’adapte et poursuit son chemin. Tippett Studio se transforme et se spécialise dans l’animation en image de synthèse. Depuis sa société a travaillé sur plus de 90 films, la plupart étant des blockbusters mais c’est Starship Troopers, nouvelle collaboration avec Paul Verhoeven en 1997, qui lui vaut une troisième nomination pour l’oscar des meilleurs effets visuels et fait de Tippett Studio l’une des sociétés les plus importantes dans son domaine. Malheureusement cette année-là, c’est Titanic de James Cameron qui rafle la mise.

Mad God : le travail d’une vie

Débuté il y a trente ans, ce projet est rapidement abandonné par Phil et ses premières maquettes et ses premiers dessins sont remisés sur les étagères de la société. Mais leur style particulier finit par attirer l’attention d’employés qui dépoussièrent le travail de Phil Tippett. Fascinés par ses travaux préliminaires, ils réussissent à le convaincre de reprendre le projet là où il l’avait laissé. Sans apport financier, hormis une campagne de financement participatif pour boucler le tournage, le projet se fait seulement grâce au bénévolat des employés.

Mad God est un projet entre potes, un film de garage fait avec les moyens du bord, mais qui réunit les compétences et les talents de chacun pour permettre à une œuvre originale, et loin des standards actuels, de voir le jour. Avec ce projet, Phil Tippett opère un retour aux sources de la stop-motion qui condense toutes ses influences. Tout est fait la main, sans le recours aux images de synthèse malgré l’expertise accumulée dans ce domaine, avec seulement de la patience et de la précision.

Avec ce film particulier à la narration « non-narrative » pour reprendre les termes de sa femme, Phil exprime sa vision du monde, son absurdité et sa folie, à travers des séquences toutes plus glauques et malsaines les unes que les autres. Mais ce qui est marquant au-delà de la symbolique que véhicule chaque plan, c’est la qualité des animations et des créatures. Chaque plan fourmille de détails et tous témoignent du talent de Phil Tippett et de ceux qui ont œuvré à sa réalisation. Dans ce film transpire l’amour et la dévotion pour une technique cinématographique qui, si elle a bien failli disparaitre, a de beaux jours devant elles et continue d’inspirer des générations entières.

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