Jurassic World – Le Monde d’Après : Réflexions autour de l’effondrement

Il fallait bien que ce film finisse par voir le jour. La politique de l’argent ne change pas : tant que ça rapporte, il faut continuer, surtout quand les box-offices dépassent le milliard ! Pourtant, en tant qu’amoureux du 7ᵉ art, nous sommes en droit de nous demander comment ces films qui n’ont aucun respect pour l’intelligence de leur public, répandent des idéologies nauséabondes et n’arrivent pas à créer le moindre moment de cinéma arrivent à faire de tels scores. La seule raison qu’on ne pourrait pas taxer de réactionnaire serait le monopole qu’a réussi à construire le cinéma américain dans ce qu’on appelle communément le cinéma de divertissement populaire. Aujourd’hui, malgré l’arrivée de plus en plus massive des films coréens, chinois et indiens, personne n’arrive à égaler la force de frappe des blockbusters américains. Il faut dire que personne n’essaye réellement si ce n’est Luc Besson. Autant lui reconnaître ce peu. Mais, dans un monde où la place de cinéma est chère et le confort souvent bien meilleur à la maison, les gens font le choix de la facilité, celui d’aller voir un film qui leur offrira tout ce qu’il faut pour passer un bon moment, pas incroyable, pas horrible, mais juste assez pour qu’ils y repensent le lendemain et l’oublient le jour suivant. Une dose rapide de plaisir pour rêver d’un monde plus simple, avec ses gentils et ses méchants, finissant sur un happy ending où tout revient paisiblement dans l’ordre. Et à la limite pourquoi pas ? Si le film avait au moins la décence de mettre en avant de belles et nobles valeurs au lieu de faire un appel de pied constant au traditionalisme à l’américaine.

Ainsi, ces franchises ne sont finalement plus que de courtes séries où chaque épisode coûte un budget titanesque et fonctionne sur un principe similaire de cliffhanger : l’épisode 1 n’est qu’un teaser pour l’épisode 2 qui n’en est qu’un pour l’épisode 3 et ainsi de suite jusqu’à épuisement de la poule aux œufs d’or. Et nous, spectateurs, par envie d’aller voir le film du moment, presque par un automatisme de consommation, nous nous sentons obligés de finir ce qui a été commencé, peu importe ce qu’on en retire tant qu’on a passé un “bon moment” et qu’on a “éteint notre cerveau”. Expression on ne peut plus détestable qu’elle présuppose qu’il est impossible de se divertir intelligemment, que le divertissement doit être idiot pour être pleinement apprécié. Pourtant, de grands réalisateurs ont passé leur carrière à nous montrer que l’alchimie entre art et industrie était possible, des gens avec une vision et les moyens de l’imprimer sur la pellicule (ou sur le capteur). On pense aux génies que sont James Cameron, les sœurs Wachowski ou bien évidemment Steven Spielberg, à l’origine de cette franchise avec l’un des films les plus influents de l’histoire du cinéma. Il suffit d’ailleurs de voir l’accueil dithyrambique du dernier Top Gun : Maverick pour se rendre compte à quel point le niveau est devenu bas. Un film qui autrefois aurait été considéré comme moyen se retrouve porté aux nues comme le sauveur du cinéma, juste parce qu’il arrive à être un minimum bien écrit et repose sur une mise en scène légèrement plus travaillée que le reste des Blockbusters. Mais peut-être est-ce là le but ? Faire baisser les attentes du public pour pouvoir lui vendre n’importe quoi ?

Une question se pose alors : existe-t-il des fans de Jurassic World ? Des gens qui le regardent régulièrement, le décortiquent et apprécient ses personnages ? Des gens prêts à défendre qu’il s’agit d’une perle incomprise, bien plus intelligente et profonde qu’elle ne le laisse paraître ? L’impression donnée par les attentes du film sur les réseaux laisse plutôt entrevoir un engouement mou et impersonnel. Le problème fondamental, comme le résume très bien James Gray dans un entretien cannois, est que l’importance du cinéma dans l’inconscient collectif finira par s’effriter puisque ces films sont incapables d’impacter notre imaginaire si ce n’est en le formatant ou en nous rappelant les souvenirs d’un univers préexistant. Lorsque les studios auront fini par piller toutes les franchises possibles et imaginables, que restera-t-il des années 2010 et 2020 ? Vont-ils recycler ce qui est parfois déjà le recyclage d’un recyclage ? Le public suivra-t-il toujours ou trouvera-t-il son compte dans d’autres formes de divertissement ? Le jeu vidéo n’est-il pas le médium artistique du 21ᵉ siècle ? Un médium qui, malgré des travers similaires au cinéma, arrive encore à trouver son originalité dans de grandes productions. La mort du cinéma ? Non, jamais. La mort d’un cinéma ? Oui, et c’est déjà le cas. 

Blâmer le public pour cet état de faits serait contre-productif. C’est la demande qui crée l’offre et pas l’inverse. Les gens font au mieux dans une vie toujours plus compliquée à gérer et pour qui le cinéma n’est plus qu’une passion secondaire, annexe (et c’est tout à fait leur droit). Ceux qui ont tort, ce sont les cinémas du monde, incapables de s’allier pour proposer une alternative, un véritable contre-modèle à l’impérialisme américain dont nous sommes devenus dépendants. Nous qui nous targuons d’une exception culturelle française, notre cinéma devrait être un des premiers à donner l’exemple, mais nous sommes malheureusement trop embourbés dans un élitisme artistique pour arriver à soulever les masses depuis longtemps déconnectées des centaines de longs métrages sous-produits ou trop exigeants qui sortent chaque année. Bref, beaucoup pourrait être encore dit et beaucoup pourrait être supprimé de ce texte, mais le constat final est qu’à une semaine de sa sortie, tout le monde sait que ce troisième opus de Jurassic World, aussi mauvais soit-il, dépassera le milliard au box-office comme les précédents films. Avec résignation, il ne nous reste plus qu’à observer le monde d’après éponyme, en nous rassurant sur le fait que le meilleur est finalement derrière nous et n’attend qu’à être redécouvert.

Parler du film apparaît finalement quelconque. Il est aisé pour quelqu’un avec un minimum de recul sur l’art cinématographique de lister tout ce qui est dysfonctionnel : les personnages creux et lisses, le manque d’inventivité constante des scènes, une réalisation à la limite de la mort cérébrale, un récit complètement ampoulé par des sous-intrigues inutiles… Si ce n’était que ça, on parlerait juste d’un film raté comme il en sort des centaines chaque année. Mais ce nouvel opus dégage un relent acre de souffre tant il joue sur les instincts les plus bas du public en lui vendant une nostalgie désincarnée et un concept simple qu’il n’arrive pas à tenir. Car, ce que vendent les bandes-annonces et les dix premières minutes du film sont la question de la cohabitation avec la nature représentée par les dinosaures. Sauf que le film arrive à passer complètement à côté de son sujet en déroulant une très grande partie de son histoire dans une nouvelle sorte de parc au lieu de jouer avec les possibilités d’un monde moderne rempli de dinosaures. Les questions de la faim dans le monde, du clonage ou de la place des start-up dans notre société sont éminemment modernes, mais traitées avec une telle binarité, une telle décontraction qu’elles sont vidées de leur enjeu et de leur essence subversive. De la même manière, la place réservée aux personnages noirs, aussi plats et parfaits que les autres, relève plus de la bonne conscience que d’une véritable volonté d’inclusion. L’ironie terrible qui rend cet opus encore plus détestable, se trouve dans le fait que le dialogue le plus “profond” de tout le film (sorti sans aucun contexte dans l’histoire) ressemble à quelque chose comme ça : “Il ne faut pas avoir de regrets mais aller de l’avant”. Pour un legacyquel, incapable de se détacher du film originel qu’il cite toutes les dix minutes, il est cocasse de donner autant d’importance à ce genre de réflexion. À l’image de ce T-Rex vaincu par le nouveau alphaultramegasuprapredator (sorte d’Étoile Noire de la franchise qu’on ne prend même plus la peine de correctement introduire) qui refuse de mourir et abat finalement son ennemi grâce un allié inattendu (seul point un peu original du film). La nouveauté ne peut pas gagner contre la nostalgie. Le cynisme n’a plus de limite

Pour conclure, si vous êtes un fan de Jurassic World (donc cela existe bien), allez voir le film. Vous passerez un moment aussi agréable que les deux précédents films. Mais si vous n’aimez pas ou pas spécialement la franchise, pourquoi vous faire du mal ? Pourquoi ne pas découvrir autre chose à la place ? C’est vous qui avez le pouvoir.

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  1. Édito – Semaine 24 -

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