Drone Games : Jeu de drone, jeu de vilain

Voilà maintenant une dizaine d’années que les drones sont apparus dans nos vies. D’abord source de divertissement et de nouveauté (le commun des mortels pouvaient désormais faire de très beaux plans aériens auparavant inaccessibles à moins de disposer d’un hélicoptère), les drones se sont rapidement démocratisés grâce à leur facilité d’utilisation et les possibilités permises par ces petits bijoux technologiques. Que ce soit militairement (comme vu dans les derniers grands conflits armés), professionnellement (accessoires de certains livreurs) ou cinématographiquement (en remplaçant les plans d’hélicoptère ou en innovant la mise en scène de l’action), les drones se sont infiltrés dans de nombreuses strates de la société malgré les restrictions toujours plus importantes du gouvernement en matière de réglementations. Olivier Abbou a lui fait le choix de s’intéresser aux courses de drone à la première personne, c’est-à-dire avec un casque de réalité virtuelle qui place le pilote “à l’intérieur” de la caméra du drone. Le drone n’est donc plus outil, mais sujet du film, dans une sorte de pastiche bariolée de Point Break où le surf est remplacé par les courses de drones, et où notre groupe de jeunes néohippies n’hésitent pas à utiliser criminellement leur mini-hélicoptère pour braquer supérettes et fast food ou livrer de la drogue… La différence, c’est que Tom, le protagoniste, n’est pas un flic infiltré, mais un jeune geek introverti, perdu dans une situation parentale compliquée, dont le seul échappatoire semble être le pilotage de drone pour lequel il a développé un talent particulier. Vous l’aurez compris, Olivier Abbou troque le sérieux du récit policier pour se concentrer sur la comédie du coming of age et le fait avec un brio égal à ses précédentes réalisations.

Préparez-vous à plonger dans l’univers joyeusement farfelu et ludique d’Olivier Abbou. Comme dans Les Papillons Noirs où les costumes et les voitures nous donnaient l’impression d’être revenu dans les années 70, il brouille une nouvelle fois les frontières entre le présent et l’époque du film, cette fois-ci avec les années 80 pleines de couleurs et parfois de mauvais goût. Alternant entre format carré pour montrer l’enfermement vécu par Tom avec des focales déformantes particulières et format plus larges pour les moments d’évasion en drone, Abbou comprend parfaitement la mentalité résignée des jeunes d’aujourd’hui. Celle de vivre dans un monde condamné à disparaître dans lequel il est devenu impossible d’agir. Le groupe que va intégrer Tom en est le parfait représentant. Vivant du crime pour acheter leur liberté, ils s’attaquent aux grands symboles du capitalisme moderne avant tout pour leur profit personnel, leur discours ne dépassant pas la contestation primaire qu’on peut revendiquer une fois sorti du lycée. “S’il ne restera rien, autant vivre pour nous” pensent-ils d’une certaine manière. “Nous”, car c’est bien le collectif du groupe qui prime. Tom trouve chez ces marginaux une sorte de seconde famille dans laquelle il se sentira enfin à sa place et dans lequel il pourra enfin connaître les plaisirs de la chair, sorte d’obsession chez Abbou qui prend un plaisir particulièrement communicatif à filmer cette part intime de nos vies avec un esthétisme léchée, sans tomber dans le voyeurisme. Ses scènes de sexe ne sont jamais vulgaires, à chaque fois justifiées par sa narration et permettent ainsi de caractériser l’union qui unit certains personnages. L’un des apports originaux de ce groupe se trouve chez Château-Rouge, jeune femme en fauteuil roulant, incarnée par Camille Léon-Fucien. Abbou assume ce parti pris jusqu’au bout en prenant en considération les contraintes que ce personnage devra rencontrer au cours de l’aventure. Cela donnera naissance à une des belles scènes émotionnelles du film, quand tous se jettent à la mer, rejoints par Château-Rouge installée dans une grande bouée gonflable. Peu importe où, ils seront toujours unis. 

Magnifiée par la musique aussi variée qu’entrainante de Clément Tery, acolyte d’Olivier Abbou depuis le début de sa carrière, la mise en scène des drones est à la hauteur de nos attentes. Dès la première scène d’introduction du film, le ton est donné. En un plan séquence de plus de quatre minutes, Olivier Abbou nous montre la maestria technique qu’il souhaite offrir à son projet. Le drone voyeur, piloté par Tom, fait un tour de la ville en croisant différentes scénettes comme un mariage, une vie de famille et même un couple en plein ébat, en utilisant la moindre ouverture comme passage avec une agilité impressionnante. Des scènes de cet acabit, le film en compte quelques-unes pour le plus grand plaisir de nos regards admiratifs face au travail titanesque que cela a dû demander. L’exercice de style permis par ces drones serait un défi de taille pour de nombreux metteurs en scène d’action, mais Abbou le relève sans problème, à l’image de cette scène de braquage en drones où la frontière entre la présence physique et “virtuelle” du groupe à travers les drones est magnifiquement bien gérée. Il s’agit ni plus ni moins qu’une leçon de mise en scène que tous les réalisateurs en herbe devraient analyser. Ceux qui connaissent la carrière d’Abbou ne pourront s’empêcher de reconnaître certains tropes de ses scénarios. La structure de Drone Games est assez similaire à celle de Furie. On retrouve ces deux protagonistes impuissants qui, par l’entremise d’un homme viril, vont être amenés à remettre en question les limites de leur moralité. Bien sûr, ces figures de mentors ne tarderont pas à se montrer sous leur vrai visage, violent et manipulateur. Dans les deux cas, cette transformation du protagoniste passe par une scène de fête et de drogue dans un coin isolé et reculé. Celle de Drone Games où Tom prend du LSD est particulièrement inventive dans les différents procédés utilisés pour retranscrire les effets du psychotrope. En ce sens, on pourrait presque considérer Drone Games comme le pendant positif de la proposition radicale qu’est Furie.

Le film n’est néanmoins pas dépourvu de propos. On notera par exemple qu’il s’agit, à notre connaissance, de la première fiction (puisque le très bon documentaire Un pays qui se tient sage est déjà passé par là) à aborder l’interpellation du lycée de Mantes-la-Jolie où des policiers avaient forcé des adolescents à rester agenouillés pendant de longues heures. Bien sûr, cette scène de “reconstitution” se terminera dans la violence quand un flic dépassera les bornes de son autorité. Ce rapport à l’autorité est d’ailleurs une des grandes thématiques du projet avec cette rébellion continuelle envers le père, les forces de l’ordre et la société.  Il faut dire que le portrait fait du père de Tom est peu glorieux : alcoolique, lâche, violent… Difficile de ne pas s’amuser à détester un tel énergumène, surtout quand il est joué par un Grégoire Colin à fond dans son rôle de salaud. La scène dans laquelle celui-ci se bat avec son fils rappelle l’absurdement long combat entre Rudy Piper et Keith David dans Invasion Los Angeles. Globalement, l’atmosphère du tournage qu’on devine joyeux et bon enfant se retranscrit dans tous les départements du film. Drone Games est clairement le genre de projet feel good qu’on aime retrouver pendant une mauvaise passe, même s’il contient quelques passages plus dramatiques qu’on aurait aimé plus nombreux pour mieux amener l’émotion. La mère, rendue handicapée à cause d’un pale d’éolienne (ironique quand on voit la passion de son fils), est incapable de marcher et reste prostrée dans sa chambre. Tom s’occupe seul d’elle en la faisant voyager grâce à ses drones. Mais, l’écran n’est, pour lui, pas aussi libérateur que pour sa mère. Tom est incapable de vivre sa propre vie qu’il observe à travers son casque de réalité virtuelle. Sa trajectoire de personnage sera donc de s’ancrer dans cette réalité qu’il a toujours esquivée jusqu’au final, où il sera obligé de se passer de ses drones et attraper à pleine main son futur. 

La narration, tout autant marquée par l’envie de bien faire que la mise en scène, n’est pas exempt de défauts. Bien conscient de sa nature de “sous” Point Break au point de faire référence à l’homoérotisme du film originel, elle n’arrive pas totalement à transcender les codes qu’elle accapare. Ce groupe de jeunes est amusant, mais on aurait aimé qu’ils aient plus de scènes ensemble pour pouvoir pleinement s’attacher à eux. Le personnage homosexuel interprété par Maxime Thébault est finalement très peu développé, à part en tant que “mec qui gueule parce qu’il est jamais content”. Il manque ces moments charniers de pause pour nous faire acheter qu’un lien plus fort que l’amitié les unit. On le comprend, mais on ne le ressent pas. L’enjeu des courses de drone est finalement relégué au second plan, au profit de l’intrigue policière, et c’est dommage, car c’est quelque chose qu’on attend avec beaucoup d’impatience pendant la vision du film. En même temps, cela permet de créer une fausse piste et de surprendre les gens qui s’attendaient à une histoire plus convenue. Certaines scènes d’action peuvent aussi parfois manquer de punch. La faute à ces drones qu’on a un peu de mal à prendre au sérieux. Par exemple, quand ils s’écrasent, le bruit qu’ils font est au mieux risible, annihilant toute possibilité d’impact pour le spectateur. Le choix de la comédie était la seule possible pour traiter ces nouveaux outils sans tomber dans le ridicule. Alice Belaidi, actrice pourtant talentueuse, semble être abonnée aux rôles sans ampleur chez Olivier Abbou après celui de femme naïve dans Les Papillons Noirs. Ici, la policière qu’elle doit incarner l’est tout autant et n’apporte finalement que peu de chose à l’intrigue ou au projet, à l’image de celle du Règne Animal, interprétée par Adèle Exarchopoulos, autre actrice de talent.

Réjouissons-nous ! La France est enfin précurseure sur le traitement d’un sujet aussi moderne que celui des drones. Personne ne les avait dépeints comme cela avant Olivier Abbou. Nous pouvons être fiers de cela, même s’il a fallu qu’il aille sur Amazon Prime pour que le projet se fasse. Il est plus que temps que nos institutions soutiennent de tels talents pour que ceux-ci puissent revenir sur grand écran. Drone Games a toutes les ambitions d’un film de cinéma. Il mériterait en tout cas d’être découvert ainsi. Mais peut-être est-ce une bonne chose qu’il ait connu une sortie limitée, histoire de ne pas donner trop de mauvaises idées aux gens qui regarderaient le film. Continuez à utiliser vos drones pour filmer des paysages et non pas livrer de la drogue !

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