Thor – Love and Thunder : La Némésis de l’idéalisation

Récemment chez Marvel, Les Éternels (2021) et Doctor Strange in the Multiverse of Madness (2022) ont tenté d’apporter une patte artistique d’auteurs dans cette énorme usine à produits commerciaux. En effet, même s’ils nous ont habitué à un divertissement grand public, leur conscience artistique les a contraint de faire confiance à Chloé Zhao, notamment pour son apport en décors naturels, ou à Sam Raimi qui quant à lui a apporté une certaine dimension horrifique chez Marvel. Cependant, après ces tentatives plus ou moins réussies (et forcément inégales, partagées entre le devoir d’un cahier des charges précis et la vision artistique des réalisateurs), il est temps pour Kevin Feige (président de Marvel Studios) de revenir aux bases de Marvel : une image colorée, vive, une tonalité fun sans oublier l’humour, ce qui au premier abord ne va pas forcément rassurer. Néanmoins, Marvel a l’intelligence de redonner les rênes du projet au talent de Taika Waititi, qui avait déjà redonné des couleurs (et de la personnalité) au Dieu du Tonnerre avec Thor Ragnarok.

Le réalisateur néo-zélandais a comme identité la représentation de l’humour à travers des sujets qui ne s’y prêtent pas forcément, comme par exemple dans What We Do in the Shadows (2014) une comédie de vampires qui prend totalement à contre-pied l’image monstrueuse qui nous a été véhiculée en partie à travers Nosferatu (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau ou Dracula (1992) de Francis Ford Coppola. Taika Waititi va même traiter un des sujets les plus sombres de l’Histoire de l’Humanité dans son dernier long métrage Jojo Rabbit, une comédie sur la Seconde Guerre mondiale, où il interprète lui-même Adolf Hitler, notamment oscarisé du meilleur scénario adapté en 2020.

Il est donc le candidat parfait pour répondre au cahier des charges de Marvel tout en apportant au film sa personnalité, tout comme son homologue James Gunn. Gunn qui a d’ailleurs fait ses preuves en faisant sensation avec les Gardiens de la Galaxie (2014) ainsi que dans son second volume en 2017, ou plus récemment dans l’écurie concurrente de Marvel afin de révéler son reboot sur l’équipe des super-vilains : The Suicide Squad (2021). Ces deux profils vont allier leurs univers de manière très succincte dans la nouvelle production Marvel : Thor – Love and Thunder.

Ce long métrage est le 29ème film de la phase 4 du studio, se situant après les événements de Avengers Endgame. Nous allons nous remémorer les péripéties de Thor (Chris Hemsworth) par le biais de son image mythique narrée tel un conte légendaire. Le dernier volet des aventures du fils d’Odin raconte à travers une pièce de théâtre ce qui s’est précédemment passé dans Thor Ragnarok tout en faisant référence à ce dernier, avec ce même interprète de Loki, toujours aussi inattendu. Les Gardiens de la Galaxie font donc équipe avec Thor, mais leur apparition a plus la forme d’un featuring que celle d’une coopération à long terme, afin de pouvoir se concentrer pleinement sur la quête de Thor.

Ce film est donc comme énoncé auparavant très coloré, fun, rock’n’roll, assez drôle grâce à la mise en place des running gags entre le marteau Mjölnir reconstitué, Thor et sa hache Stormbreaker, arme qui va être personnifiée de sorte à être jalouse de l’ancien lien que le Dieu du tonnerre et son emblématique marteau entretenait. Le second running gag sera celui de ces chèvres géantes qui donnent de la voix mais ne vous inquiétez pas, vous comprendrez quand vous verrez le film. Cette première scène introduisant Thor dans cette atmosphère fun et colorée va contraster avec la scène qui la succède : un décor plus terne, un cadre beaucoup moins attrayant illustrant Jane Foster (Natalie Portman), que l’on pourrait littéralement associer à Murphy Cooper dans Interstellar (2014). Jane va donc retrouver Thor en étant égale à lui de par son courage mais aussi par sa force véhiculée par l’ancienne arme de Thor, son marteau. Ils vont devoir, en compagnie de Valkyrie (Tessa Thompson) et de Korg (Taika Waititi) arrêter le massacre de Gorr (Christian Bale), le Boucher des Dieux portant le nom de son objectif plutôt explicite.

Quel plaisir de revoir Christian Bale à l’écran, trois ans après l’excellent Le Mans 66 (2019). L’acteur incarne l’antagoniste, torturé par la mort de sa fille, révolté par la déception et l’hypocrisie d’un Dieu qu’il vénérait. Par conséquent, il va mener sa quête de vengeance envers toutes les autres divinités devenant alors Gorr le Boucher des Dieux. Un design très convaincant quoique inspiré fortement par l’antagoniste d’un jeune garçon possédant une cicatrice en forme d’éclair sur le front.

Néanmoins, cette créature sombre, grisâtre, à l’apparence fantomatique va permettre de contraster l’imagerie du film en apportant de l’obscurité, et même plus encore, de l’horreur dans le métrage. Une scène d’épouvante à l’issue de laquelle Gorr va s’emparer des enfants du village va contraindre par la suite Thor et ses acolytes de sauver ces derniers. De plus, le jeu sur la colorimétrie va également permettre de faire disparaître ces couleurs vives afin de laisser place à une image en noir et blanc grisâtre annonçant l’arrivée de Thor, Jane, Valkyrie et Korg dans le territoire du Boucher des Dieux.

Le Boucher représente la Némésis des Dieux et porte plus précisément le propos du film qui est l’anti-idéalisation. La désacralisation d’une figure adulée est exposée dès l’ouverture du film par le biais du personnage de Christian Bale. Thor lui-même va également être déçu par l’idéalisation qu’il s’est faite du maître de l’Univers : Zeus (Russell Crowe), ignorant le danger, se défilant face à la menace qui le met en péril, lui et les autres Dieux. Thor – Love and Thunder est un film de super-héros traitant de l’anti-idéalisation. Il va sonner comme le recul que nous pouvons et que nous devrions prendre sur ce que nous allons nous-même idéaliser, propos déjà énoncé auparavant dans Captain America : Civil War (2016) nous faisant emprunter le point de vue des conséquences qui se cachent derrière l’acte héroïque des Avengers.

Les dieux ne sont pas systématiquement représentés comme des divinités visuellement attrayantes. De plus, le personnage de Jane va certes être l’apport du fan service, mais elle sera surtout la représentation du propos en banalisant la divinité, devenant elle-même assez facilement une déesse alors qu’elle n’est de nature qu’une simple terrienne. Enfin, l’idéalisation va être matérialisée sous la forme de ceux qui ont tendance à s’inspirer d’autrui, les enfants. Le Boucher qui va s’emparer de ces enfants va donc capturer les porteurs de l’admiration. Thor, ce Dieu parfait, va devoir les libérer tout en leur donnant au détour d’une scène l’occasion d’atteindre l’idéal et donc par la même occasion d’assouvir ce sentiment d’adulation.

Thor – Love and Thunder va nous faire prendre du recul sur ce qu’on idéalise. Cette autocritique des super-héros (ici désacralisés et descendus de leur piédestal) va aussi mettre en lumière l’abus du pouvoir des hautes sphères par le biais de Zeus représenté davantage comme une figure politique qu’une divinité. Thor va certes rester l’image du Dieu parfait en libérant les enfants et donc l’idéalisation, mais va laisser place à la simplicité en montrant qu’être un Dieu ou une star ne l’exempte en aucun cas de vivre comme les autres, une certaine leçon d’humilité distillée dans un film plus malin qu’il n’en a l’air.

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  1. La Petite Bande : Il va falloir compter sur eux. -

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