Les nuits de Mashhad : La toile meurtrière de l’araignée

Nous avions laissé Ali Abbasi en 2019 avec Border, œuvre pour le moins étrange et déroutante dont nous ne savons toujours pas quoi réellement penser. Le cinéaste d’origine iranienne revient avec Les nuits de Mashhad qui a créé la sensation au festival de Cannes cette année au point de valoir à son actrice Zar Amir Ebrahimi le prix d’interprétation féminine. Sans pour autant tourner en Iran au vu du sujet sensible qu’il aborde (le film a été tourné en Jordanie), Ali Abbasi nous raconte ici une histoire purement iranienne, adaptée de faits réels survenus dans la ville sainte de Mashhad entre 2000 et 2001. Saeed Hanaei, père de famille, s’était en effet lancé dans une croisade meurtrière, assassinant 16 prostituées pour libérer la ville sainte de ces femmes impures. Arrêté et soutenu par une bonne partie de l’opinion publique, il finira par être exécuté le 8 avril 2002.

Vivant encore en Iran au moment de l’arrestation du tueur, Ali Abbasi a été fortement marqué par cette histoire et cherchait depuis longtemps à en faire un film. Et le résultat est à la hauteur ! Commençant directement par suivre la nuit d’une prostituée finissant entre les mains de Saeed, Les nuits de Mashhad n’y va pas par quatre chemins : il y dévoile immédiatement le coupable, rompant les codes habituels du genre et nous plonge directement dans le bain. La ville de Mashhad filmée par Abbasi ne nous fait en aucun cas percevoir son statut sacré, c’est au contraire une ville tentaculaire où l’araignée qu’est Saeed peut tisser sa toile sans inquiétude. Gangrenée par la corruption, la criminalité et la pauvreté, Mashhad est le terrain de jeu parfait pour Saeed et le film nous montre ses actes dans la durée, quitte à être parfois insoutenable.

Entrecroisant le parcours de Saeed avec celui de Rahimi (une journaliste venue de Téhéran pour enquêter sur les meurtres) Les nuits de Mashhad pose un regard peu reluisant sur l’Iran. Ici, la société profondément misogyne engendre ses propres monstres mais va plus loin en les soutenant carrément dans leur démarche : les policiers n’ont aucune motivation à arrêter un tueur de prostituées et l’opinion publique soutiendra Saeed même après son arrestation. On assiste alors médusés à des scènes absolument glaçantes où Saeed justifie ses meurtres sans sourciller au tribunal et va même jusqu’à expliquer en détails à son fils admiratif la façon dont il s’y prenait pour tuer ses victimes.

Tout cela, Abbasi le filme avec un sens de la mise en scène qui ne faiblit jamais. Bien que violent et brutal, Les nuits de Masshad n’est jamais gratuit et sa mise en scène suit pertinemment le fil de son récit, piochant ses influences dans le film noir. En voyant le film multiplier les meurtres et montrer explicitement du sexe, de la drogue et de la violence, on comprend aisément pourquoi il n’a pu se tourner directement en Iran tant il lui renvoie une image peu glorieuse. Abbasi se défend d’avoir réalisé un film à thèse mais se montre aussi bien à l’aise dans le thriller pur que dans l’approche sociologique et politique, conjuguant brillamment les deux.

Mais Les Nuits de Mashhad ne serait rien sans ses deux acteurs. En étant récompensée du prix d’interprétation féminine à Cannes, Zar Amir Ebrahimi s’offre une belle revanche, elle qui a vu sa carrière d’actrice s’achever en Iran à la suite de la fuite d’une vidéo explicite d’elle ayant fuité et circulé dans le pays. Habitant désormais à Paris, elle était d’abord directrice de casting du film avant de se retrouver dans un rôle qu’elle incarne avec fureur, insufflant sa frustration personnelle dans un personnage fort, bravant les tabous pour retrouver le tueur sans se laisser intimider par les autorités. Le prix d’interprétation aurait cependant pu être partagé avec Mehdi Bajestani tant l’acteur (prenant d’ailleurs un risque avec un rôle bravant plein de tabous, lui qui vit et travaille toujours en Iran) impressionne dans la peau terriblement banale de ce tueur soutenu par l’opinion publique. Ne jouant jamais le personnage comme un monstre, l’approchant de façon humaine, il livre une prestation déroutante sans manichéisme, interprétant un tueur en paix avec ses crimes, les assumant fièrement, parvenant chez le spectateur à créer de l’horreur comme une certaine forme de compréhension, de quoi rendre très riche un film qui l’est déjà et qui, assurément, va marquer au fer rouge cette année cinéma.

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