Tout le monde m’appelle Mike : Lifeboat…

Parfois le Cinéma réserve de petits films ne payant pas de mine, non dénués d’intérêt ni même d’efficacité mais dont la qualité première réside dans l’hybridité de leur facture. Sans réelle transcendance, ne dépassant de fait jamais vraiment leur sujet ni leur récit ces films sont suffisamment rares pour que l’on s’y arrête quelques temps, en dépit de leur modestie et de leur caractère fièrement désintéressé. Quelques temps après que la démiurgie tenace et désarçonnante du dernier film de Ari Aster ait fait couler bien de l’encre en raison de sa dimension hautement méta-physique et savamment post-moderne (et si Beau is Afraid a pour ainsi dire clairement divisé la rédaction de Close-Up l’auteur de ces lignes a – pour sa part – adoré ledit film…) il serait temps de laisser une petite place aux films arborant une ambition moindre mais paradoxalement probante, s’en tenant à leur forme narrative et cinématographique brouillant les frontières entre fiction et réalité, fable d’aventures et documentaire, thriller familial et reportage sans fioritures : Tout le monde m’appelle Mike est de cette trempe, vrai-faux docu-fiction visible dans nos salles obscures dès le mercredi 5 juillet de cette année.

Après un générique d’ouverture littéralement cartographié évoquant les documentaires épiques du Cinéma du globe-trotter Werner Herzog Tout le monde m’appelle Mike rentre sans ambages dans le vif de son sujet pour mieux suivre à la trace Jean et sa petite famille de passage sur les littoraux africains orientaux, européen désireux d’effectuer un tour du monde sur son navire de plaisance ; alors en escale à Djibouti (ce petit État de la Corne de l’Afrique jouxtant la Mer Rouge et logé entre l’Éthiopie et la Somalie, ndlr) Jean, Isabelle et leur petit garçon Damien croisent la route d’un étrange chauffeur de taxi répondant au nom de Mike, mi-travailleur mi-vagabond à l’identité trouble et somalien de langue maternelle qui va un peu par hasard se retrouver à partager le périple de Jean et sa famille. Une fois à bord de l’équipage les intentions de Mike se dévoilent peu à peu, transformant ce voyage d’agrément en huis-clos maritime anxiogène et déconcertant…

On pense parfois aux films du philippin Brillante Mendoza dans cette faculté que détient le réalisateur Guillaume Bonnier à tirer de son sujet et de son décor un hyperréalisme habilement contrebalancé par un registre purement dramatique et un rien angoissant… à ceci près que le cinéaste français demeure peu ou prou étranger au trafic urbain des grandes villes si chères à l’auteur de Tirador et Kinatay : ici Guillaume Bonnier – s’il nous plonge dans la première partie de son film dans les rues plus ou moins désertiques de la cité africaine dans laquelle semble séjourner un peu vainement Mike – s’écarte ensuite du continent pour accoucher d’une seconde partie exclusivement maritime, réalisée sous le signe du thriller intimiste. On pense vaguement à un chef d’oeuvre tel que Le Couteau dans L’eau de Roman Polanski tourné en Pologne soixante ans plus tôt, principalement pour la préservation réussie et prenante de l’unité de lieu, de temps et d’action. C’est certes tout ce qu’il y a de plus classique sur le plan purement scénaristique mais l’ensemble fonctionne honorablement, et plus particulièrement le mystère et l’ambiguïté générés par la figure de Mike présente jusque dans l’intitulé d’un film sobre mais non dépourvu d’exigence.

Voilà donc un film de tenue rudimentaire mais cohérente d’un bout à l’autre d’un récit à la croisée des dispositifs, à mi-chemin entre le carnet de voyage modestement épique et le reportage sociologique filmé caméra à l’épaule. Et si Pierre Lottin et Daphne Patakia (déjà vus respectivement dans La Nuit du 12 et Les Cinq Diables, nldr) parviennent à donner corps au couple de français qu’ils incarnent tous deux l’inénarrable Abdirisak Mohamed insuffle quant à lui une aura pratiquement surnaturelle au film qu’il habite à sa guise. Une jolie surprise.

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