Beau is Afraid : C’est pas beau à voir…

“Qu’est-ce que je viens de voir ?” ou “Je ne suis pas sûr d’avoir compris…” sont les premières phrases qui nous viennent à l’esprit, une fois la projection de Beau is Afraid terminée. Peu d’œuvres peuvent se targuer d’appartenir à la catégorie des Objets Filmiques Non Identifié (ou OFNI) de moins en moins présentes dans les sorties mainstreams américaines. Un des derniers en date serait le Bardo de Inarritu qui, en dehors de sa capacité à être aussi soporifique qu’impressionnant formellement, a rapidement sombré dans les abysses du catalogue Netflix. Ce genre d’expérience repose en grande partie sur l’appréciation personnelle du spectateur : est-ce qu’il a réussi à se faire embarquer par la proposition ou est-il resté extérieur ? Cette donnée déterminera son envie de vivre pendant les prochaines 2h59 (4h pour le director’s cut) du dernier film d’Ari Aster. Le prodige de l’horreur tombe malheureusement dans tous les pièges qu’il avait esquivés jusque-là en produisant l’œuvre boursouflée d’ego que ses détracteurs attendaient. Beau is Afraid devait à la base être son premier long-métrage et comme il le dit très bien lui-même, sa carrière aurait été bien différente si cela avait été le cas. Reconnaissons néanmoins le courage d’A24 de suivre ses auteurs même dans leur démesure alors que le succès au box-office paraît improbable. “N’ayez pas peur de rire”, tel fut le message laissé par Ari Aster aux critiques présents à l’unique projection presse du film. Ceux qui ne sont pas partis ou qui ne se sont pas carrément endormis ont essayé sans vraiment y parvenir.

Foutraque, exigeant, multifacette, étrange, Beau is Afraid est difficile à caractériser tant il passe d’un genre ou d’une thématique à une autre sans forcément garder de ligne rouge claire entre eux. On est vite submergé par l’impossibilité de mettre le doigt sur ce que le film essaye d’être tout en comprenant plutôt bien ce qu’il veut raconter. Pour Aster, il y a clairement la volonté d’aller vers la comédie, voire le burlesque. Le problème, c’est que le récit ne parvient que très rarement à sortir de la posture d’humour intellectuel new-yorkais qui ne fait rire personne, si ce n’est celui à l’origine de la blague. Citant à la fois Jung, Kafka ou Fellini, le film se voit comme une sorte de psychanalyse de son personnage principal : Beau. Cet homme lâche, asocial, névrosé, terrifié, dépendant, apprend que sa mère est morte alors qu’il devait lui rendre visite. Pour lui rendre un dernier hommage et lui éviter l’humiliation, il va devoir affronter le monde extérieur qui le terrifie. Voilà le point de départ d’une odyssée vécue depuis le cerveau d’un paranoïaque notoire caractérisé comme un « Seigneur des Anneaux juif » par Aris Aster. Une des problématiques du film réside dans le fait que ce protagoniste n’a rien de bien engageant pour le spectateur et peut même devenir irritant si on est allergique aux cris. Les amateurs de Joaquin Phoenix seront néanmoins ravis puisque l’acteur s’en donne à cœur joie comme à son habitude. Denis Ménochet lui vole tout de même la vedette dans les quelques scènes où il apparaît en soldat revenu à l’état sauvage à cause de son syndrome post-traumatique, utilisé comme chien de garde par ses propriétaires. 

Beau is Afraid est à Hérédité et Midsommar, ce que Titane était à Grave pour Julia Ducournau : une œuvre orgueilleuse permise bien trop tôt dans la carrière d’un auteur qui aurait gagné à avoir une dizaine d’années d’expérience supplémentaire pour la mener à bien. Le film donne l’impression d’assister à la projection d’un Apocalypse Now, réalisé avant Le Parrain par un Francis Ford Coppola mégalomane précocement. Peut-être est-ce dû au fait que les réalisateurs actuels ont beaucoup moins l’opportunité de tourner des films qu’auparavant ? Si l’on compare le film avec une autre œuvre autoréflexive sortie récemment (The Fabelmans), on comprend bien que Spielberg n’aurait pas pu faire ce film avec vingt ou trente ans de moins, aussi accompli était-il déjà à l’époque. Ari Aster n’a pas laissé à son histoire le temps de mûrir. Il s’est empressé de récolter le fruit de ses précédentes réussites pour mieux trahir ce qu’elles représentaient. Beau is Afraid reste néanmoins plus proche d’Hérédité que ce que les apparences laissent à voir. Les deux films partagent cette même idée de la mère toxique, castratrice qui revient hanter sa descendance après sa mort. Les hommes sont faibles et idiots tandis que les femmes, névrosées et entreprenantes, manipulent dans l’ombre. Évidemment, il y a aussi la présence de ces gens bienveillants et accueillants dont le sourire dissimule des intentions bien plus sombres. Ari Aster n’est définitivement pas un grand fan de l’Humain (et a clairement un problème avec sa mère).

Malgré une longueur excessive, la réalisation efficace et inventive d’Ari Aster permet d’apprécier certaines scènes, notamment une scène de sexe dans la dernière partie du film qui est, pour le coup, particulièrement drôle. Avant d’en arriver là, il faut tout de même affronter la deuxième partie du film, extrêmement laborieuse dans son déroulé. Il est clair que l’histoire pâtit des coupes qui ont dû être faits pour la sortie en salles. De nombreux points cruciaux sont laissés dans le flou ou abordés trop rapidement pour que l’on puisse se rattacher à quoi que ce soit. D’un autre côté, Ari Aster nous balance à la gueule des symboliques un peu grossières comme cette énième créature phallique qui sert à montrer la virilité de Beau, littéralement enfermée dans le grenier. Et que dire de cette séquence finale, où l’on confronte Beau à ses soi-disant “erreurs” dans une sorte de purgatoire psychanalytique pas franchement inspiré. On pourrait avoir peur pour la carrière du nouveau maître de l’horreur si le tournage de son prochain film n’était pas déjà prévu. Néanmoins, le restera-t-il longtemps – maître de l’horreur – s’il continue de se diriger dans cette voie finalement si peu horrifique ? Ne nous déçois plus Ari…

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  1. Tout le monde m'appelle Mike : Lifeboat... -

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