Amel et les fauves (Streams) : D’amour et de rage

Que savons-nous vraiment du Monde hors de nos frontières ? Nous en connaissons les enjeux politiques, sociaux, culturels, nous voyons les grands titres aux infos. Mais que savons-nous des autres, là-bas, qui vivent sur l’autre versant de la montagne ou l’autre rivage de la mer ? Que savons-nous vraiment de ceux qui ne parlent pas notre langue et ne prient pas le même dieu que le nôtre ?  Si nous ne voulons pas voir, alors nous ne verrons jamais. Avec son nouveau film Amel et les fauves, en salle le 12 avril, le réalisateur Mehdi Hmili nous montre ce que nous ne savons pas de sa Tunisie natale. Il nous confronte à la réalité d’un pays à vif, dont les habitants meurtris n’ont que leurs sentiments incandescents comme véritable possession.

Le film nous raconte l’histoire d’Amel (Afef Ben Mahmoud) et de son fils Moumen (Iheb Bouyahia), un jeune footballeur tunisien talentueux et promis à une grande carrière. Voulant assurer l’avenir de son fils, Amel accepte de dénoncer les grévistes de son usine en échange d’un piston d’un homme d’affaire ami de son patron pour que Moumen puisse signer un contrat dans un meilleur club. L’homme d’affaire en question profite de la situation pour abuser d’Amel qui va être accusée d’attentat à la pudeur et d’adultère. Elle est injustement jetée en prison. C’est la descente aux enfers pour Moumen qui abandonne le football et sombre dans la délinquance. Six mois plus tard, Amel sort de prison et n’a qu’un seul but : retrouver son fils dans un Tunis underground rongé par la corruption, la drogue, la prostitution et la violence. Mehdi Hmili assume entièrement la part autobiographique du film en déclarant dans le premier carton : « Avec ma mère, nous avons vécu dans la honte et souffert dans la peur. Mais plus jamais maintenant. Ce film, c’est notre histoire. ». Il décide de lever le voile sur le monde souterrain de la capitale tunisienne que nous connaissons peu, bien loin d’imaginer l’ampleur du réseau illégal et criminel déployé au sein d’une économie fantôme. Il construit son film autour du portrait de ses deux personnages principaux, Amel la mère et Moumen le fils, qui vont s’éloigner l’un de l’autre et s’abîmer au contact de Tunis.

Le personnage de Moumen, magistralement interprété par Iheb Bouyahya cristallise à lui seul le poids de la fatalité. A l’image des héros tragiques de l’Antiquité, il représente la réalité d’une existence piégée par des forces supérieures qu’il ne peut combattre. Ici, point de dieux courroucés, mais des hommes cupides, des prédateurs qui l’exploitent en échange d’un toit et d’un semblant de protection. Avec son meilleur ami Djo (Slim Baccar), un petit dealer et DJ, il s’évade dans les fêtes et les clubs tunisiens où il s’offre une parenthèse de rêve avec la drogue et d’espoir grâce à l’amour qu’il éprouve pour sa petite amie (Sarah Hannachi). Il devient peu à peu un animal nocturne, sa plastique hypnotique étant sublimée par les néons colorés des boîtes de nuit.

En parallèle, il y a Amel, sa mère. Le réalisateur dépeint ici le portrait d’une femme qui garde sa dignité malgré la violence et l’affront qu’elle subit de la part des hommes. Elle encaisse sans broncher l’impuissance et l’injustice, uniquement tenue par le fil de l’espoir de retrouver un jour son fils. Même si le film souffre parfois d’une perte de rythme qui pourrait émousser notre attention, Mehdi Hmili ne se laisse pas tenter par la facilité en faisant un thriller prémâché qu’il ne nous resterait plus qu’à avaler. Il installe son atmosphère et ses personnages suffisamment profondément pour que nous puissions avoir un rapport presque viscéral au film. La narration nous bouscule et nous malmène, nous faisant passer d’une montée euphorique à l’angoisse la plus glaçante.

La ville de Tunis demeure le troisième personnage de ce récit après Amel et Moumen. Bien loin de la capitale de carte postale connue des occidentaux, la ville est un tissu kafkaïen de caves, de cabarets et d’appartements miteux au sein de laquelle il semble impossible d’échapper. Aux côtés d’Amel et Moumen, le spectateur se perd dans ses entrailles, avalé par la nuit, les néons et la musique. Mehdi Hmili nous propose une véritable alternative esthétique, fortement éloignée des très filmées New York et Los Angeles. Habitée par la violence, cette Tunis possède une force dramatique qui en fait un décor pleinement cinématographique tout en conservant un dispositif proche du documentaire. En effet, le réalisateur joue entre maniérisme stylistique dans les séquences nocturnes et brutalité du réel dans les séquences diurnes. Grâce à sa caméra à l’épaule tremblante et son abondance de gros plans sur les visages, le réalisateur fait durer ses prises pour que les personnages puissent pleinement exprimer la complexité de leurs émotions dans les silences.

Amel et les fauves nous invite à voir par-delà nos frontières pour découvrir l’Autre et son histoire. Mehdi Hmili nous engage à aiguiser notre regard pour dépasser nos idées reçues à propos d’un autre pays. Notre monde regorge d’histoires tragiques, de victimes innocentes, d’injustice sociale à tel point que nous sommes tentés de perdre espoir. Mais à l’image d’Amel et Moumen, certains luttent jusqu’au bout et surmontent la fatalité avec la dernière arme qu’il leur reste : l’amour.

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