Bardo – fausse chronique de quelques vérités : Dans la tête d’Alejandro González Iñárritu

Après deux films hollywoodiens tous deux consacrés aux Oscars (Birdman et The Revenant), on aurait pu penser qu’Alejandro González Iñárritu allait continuer sur sa lancée et mettre Hollywood à ses pieds avec un nouveau projet à l’ambition démesurée. Si Bardo – Fausse chronique de quelques vérités est effectivement le film le plus ambitieux de son réalisateur, Iñárritu s’est tourné vers sa terre natale du Mexique pour construire ce nouveau long métrage, qui sera malheureusement uniquement disponible sur Netflix le 16 décembre prochain, aucun distributeur n’ayant voulu prendre le risque de sortir le film. On peut d’un côté le comprendre quand on voit le résultat final (pour le moins déconcertant, nous y reviendrons) mais c’est un vrai gâchis que de priver Bardo du grand écran tant la longueur du film et sa nature expérimentale risquent de rapidement faire décrocher de sa télévision même le cinéphile le plus aguerri. Nous sommes les premiers à en convenir et à nous ravir d’avoir pu le voir en salles (merci aux deux cinémas du groupe Paris Cinéma Club d’avoir organisé des projections exceptionnelles) tant l’expérience dans notre salon aurait été radicalement différente.

Iñárritu le dit lui-même, Bardo (le terme vient du tibétain et désigne une sorte d’état intermédiaire entre la mort et la renaissance) n’est pas un film qu’il faut comprendre, c’est un film qu’il faut ressentir. Il sera effectivement difficile de faire autrement tant l’expérience de près de trois heures ne ressemble à rien de ce que l’on a déjà vu. Nous sommes attachés à un personnage certes : le journaliste mexicain Silverio (Daniel Giménez Cacho, formidable), habitant à Los Angeles depuis des années et qui revient dans son pays natal pour être confronté aux souvenirs du passé et à un questionnement profond sur son identité, lui qui est à cheval entre deux pays et comment cela se ressent sur lui, sa femme et ses enfants. Un résumé tout à fait lapidaire de ce qui vous attend puisque Bardo convoque dès son introduction une forme d’onirisme et d’émerveillement à laquelle on ne pourra échapper, Iñárritu étalant ses références, entre la caméra flottante de Terrence Malick, l’abstraction narrative de Antonioni et la place accordée au rêve de Fellini.

Tout le film se déroule ainsi dans une forme d’espace mental, entre réminiscence des souvenirs, réappropriation d’événements marquants et pur fantasme. Silverio compose le fil rouge du récit mais celui-ci se délite et nous échappe dès qu’on pense en saisir le sens. Avec sa maestria formelle (certains plans sont époustouflants et la photo du génial Darius Khondji fait des merveilles), Bardo n’en demeure pas moins boursouflé et tient vraisemblablement de l’egotrip de la part de Iñárritu. Une démarche loin d’être nouvelle pour le cinéaste dont le style est souvent pompeux et ampoulé mais qui atteint ici des sommets. Certes le résultat est d’une audace rare, avec un grand geste de cinéma mais cela n’empêche pas Bardo d’être parfois beaucoup trop bourratif et de menacer de crouler sous son propre poids tant les idées s’y accumulent avec à la fois une envie de cinéma authentique mais également le sentiment de percevoir – derrière la persona du cinéaste – son profond désir qu’on lui dise combien il est génial.

Le résultat est donc pour le moins déconcertant, traversé par de fabuleuses fulgurances (les danses à la soirée en l’honneur de Silverio et la discussion fantasmée qui s’ensuit entre le protagoniste et son père sont particulièrement marquantes) même si Bardo n’en demeure pas moins inégal, voulant raconter beaucoup de choses en un seul film, s’intéressant aussi bien aux émotions de son personnage et de sa famille qu’à l’histoire du Mexique en général. C’est gourmand, trop gourmand et le cinéphile devant regarder le métrage devant sa télé sera bien souvent tenté de le stopper pour reprendre sa respiration. Une erreur à ne surtout pas commettre tant cela briderait la folle énergie du film qui de toute façon sera bien trop étriqué ailleurs que dans une salle de cinéma, paradoxalement ce dont on le prive pour le montrer au monde. Une aberration donc mais qui ne doit pas empêcher sa découverte tant Bardo est une œuvre fascinante et exigeante, aussi bien avec ses qualités et ses défauts, une œuvre comme on n’en voit que trop rarement et qui doit, par conséquent, être défendue malgré tout même si elle risque de laisser plus d’un spectateur sur le carreau…

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  1. Beau is Afraid : C’est pas beau à voir… -

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