Detroiters : Héritage et déclin d’une ville en faillite

Touché de plein fouet par la crise des Subprimes, Detroit est devenu le symbole de l’effondrement industriel américain. Les images qui nous viennent alors en tête sont celles des maisons abandonnées, des infrastructures en ruine et d’une criminalité omniprésente. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Comme expliqué dans le documentaire, lorsque des grèves s’abattent sur les usines de Detroit dans les années 60, Ford préfère embaucher des ouvriers noirs à moindre coût plutôt que d’augmenter les salaires. L’histoire moderne de la ville est lancée : Motown, mouvement des droits civiques, révoltes raciales… Andrei Schtakleff, réalisateur français, n’a donc plus qu’à tendre son micro et allumer sa caméra pour recueillir la parole des Detroiters du titre.

Les survivants, ceux qui ont fait le choix de rester ou ne l’ont pas eu, errent comme des fantômes dans les lieux iconiques de leur jeunesse aujourd’hui révolue. Ce glorieux passé, ils le chérissent et n’hésitent pas à partager analyses et anecdotes avec entrain, eux à qui la parole n’est plus donné. On sent une forme de mélancolie non dite, comme un “c’était mieux avant” à peine prononcé, néanmoins sur toutes les lèvres. Une époque pas forcément plus juste mais où l’économie locale permettait à une communauté de vivre dignement. La chose est d’ailleurs très bien résumée par un ancien activiste des droits sociaux et contestataire de la guerre du Vietnam : “à l’époque, le capitalisme n’était pas équitable, mais au moins il marchait.” Avec la faillite de Détroit, ce n’est pas simplement la fin d’une ville, c’est aussi la défaite des grands idéaux socialistes.

Grâce à l’utilisation d’un format scope élégant et d’une bande-son profondément nostalgique, Detroiters dépeint des paysages enneigés quasiment post-apocalyptiques. Le constat est là : le Détroit de Motown est bel et bien mort et enterré. Les usines automobiles qui autrefois embauchaient jusqu’à 11 000 employés n’en comptent plus que 6000. Le rythme si particulier de la vie ouvrière qui donnait cette énergie à la musique de Détroit s’est éteint. L’Église est restée l’un des derniers bastions d’une résistance qu’on sent déjà perdue d’avance. La jeunesse noire, marquée par le combat de leurs aïeux, ne peut qu’être outrée lorsqu’elle voit scander des “Make America Great Again” qu’elle associe plutôt à un “Make Slavery Back Again”. Elle s’indigne sans se révolter, rendue plus docile par l’utilisation de médicaments contre l’hyperactivité interdits depuis à cause d’effets secondaires faisant pousser des seins aux sujets mâles. Toujours cette même rengaine en sous-texte : le capitalisme a gagné.

Bien sûr, qui dit apocalypse, dit reconstruction et le documentaire s’efforce de trouver une porte de sortie à ses habitants qu’il ne cesse de magnifier par son utilisation de longues focales. Un passage où un homme important raconte à une conférence de presse qu’il faut sortir de cette propagande d’effondrement et qu’avec seulement trois quartiers viables (ce que Detroit a), il est possible de changer la ville, est particulièrement parlant à ce sujet. C’est d’ailleurs le seul “élite” montré par le film qui ne les traite qu’à travers la parole des habitants sans jamais plus s’intéresser à eux. En effet, la reconstruction de la ville est en marche mais à qui s’adresse-t-elle ? Pas aux Detroiters qui sentent venir la gentrification et l’augmentation des prix qui vont avec. Par la misère et pour une bouchée de pain, les blancs se réapproprient à nouveau la ville qu’ils avaient quittée dans les années 70 à cause d’une panique raciste, méticuleusement orchestré par le gouvernement de l’époque.

Detroiters est un documentaire important pour quiconque s’intéresse à l’état actuel des États-Unis surtout lorsque les futurs projets de notre président se tournent à chaque fois plus vers le libéralisme économique. Le parallèle avec le décrépitement des campagnes françaises n’en est que plus facile. Le sentiment de la fin d’un monde est là et il ne cesse de se rapprocher.

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