The Fabelmans : Petit Sammy deviendra grand Spielberg

De tous les cinéastes dont la carrière a décollé dans les années 70 Steven Spielberg est, avec Martin Scorsese, le seul à avoir su tenir le cap pendant des années et à continuer de tourner avec une énergie intacte, sachant en permanence se renouveler. La preuve, c’est que l’on était allés voir son West Side Story sans conviction en se demandant bien ce que le réalisateur allait faire d’un classique à priori indémodable et l’on était sortis enchantés de voir une telle fougue dans la mise en scène. Si ces dernières années, Spielberg nous a plus convaincus dans ses projets ‘’sérieux’’ (Le pont des espions, Pentagon Papers) que dans ses purs divertissements (Le Bon Gros Géant est peut-être son pire film, Ready Player One est profondément inégal), la perspective de le voir revenir sur son enfance avec un film à tendance autobiographique (une tendance actuellement, James Gray et Paul Thomas Anderson s’y étant également frottés avec les excellents Armageddon Time et Licorice Pizza) ne pouvait que nous enchanter.

The Fabelmans est donc centré sur Sammy Fabelman qui, depuis sa découverte du film Sous le plus grand chapiteau du monde, se voit pris de passion pour le cinéma et pour les possibilités que lui offrent une caméra. Nous suivons le personnage jeune enfant puis adolescent alors qu’il souhaite faire de sa passion un métier, grandissant dans une famille qui se déchire, entre un père scientifique souvent absent à l’esprit pratique considérant le cinéma comme un hobby et une mère pianiste sensible, visiblement étouffée par cette vie familiale. Avec ce film, Steven Spielberg entend donc panser des plaies, expliquer une partie de son cinéma (où l’on retrouve souvent un père absent) et revisiter son enfance en célébrant la puissance du septième art. Tout un programme, entre les mains d’un des plus grands magiciens de l’histoire du Septième Art, voilà de quoi nous réjouir !

Généreux, The Fabelmans est un film nostalgique mais jamais complaisant, regardant en face les difficultés d’une enfance pas toujours heureuse, ballotée par plusieurs déménagements, par l’antisémitisme rencontré au lycée et par les déchirements de la cellule familiale. Il y a chez Spielberg une énergie de jeunesse dans la réalisation et The Fabelmans évite de s’empêtrer dans un regard vieillissant. Tout est toujours vigueur et passion chez le cinéaste et sa caméra a toujours le regard juste. La vision que le film porte sur le cinéma est extraordinaire, le scénario se reposant sur plusieurs moments clés où le jeune Sammy comprend la force du regard de la caméra. C’est d’abord grâce à elle qu’il peut recréer en miniature l’accident de train qui l’obsède tant du film de DeMille découvert en ouverture du film et peut ainsi exercer un certain contrôle sur ses angoisses par la caméra. C’est ensuite par cette même caméra qu’il révèlera le secret de sa mère et son amour pour ‘’oncle’’ Benny, le meilleur ami de son père qui a toujours fait partie de la famille (que Seth Rogen incarne avec une retenue aussi étonnante que bouleversante). Et c’est par cette même caméra qu’il se vengera de ceux qui l’ont maltraité au lycée, révélant d’eux des choses qu’ils ne veulent pas voir. C’est donc une arme à double tranchant, capable de révéler ce qu’on ne voit pas à l’œil nu mais également de blesser sans pour autant qu’on puisse la contrôler et c’est dans toute cette dialectique que le film se montre le plus fascinant.

Car il est vrai que, aussi enthousiasmant soit-il (les scènes de tournages des premiers films de Sammy, mélangeant artisanat et passion, sont formidables), The Fabelmans souffre de quelques défauts, à commencer par une écriture un brin lourdingue, appuyant ses propos bien plus que nécessaire à l’image de cette séquence avec l’oncle Boris joué par le génial Judd Hirsch où Sammy est exposé au tiraillement entre l’art et la famille et aux sacrifices que cela impose. Même chose du côté des parents où le récit n’échappe pas à une certaine redondance, Michelle Williams offrant une belle prestation dans le rôle de la mère mais sans avoir grand-chose à défendre, la subtilité autour de sa psychologie n’étant pas de mise quand Paul Dano dans le rôle du père hérite d’un personnage plus en retrait et donc moins intéressant. Les séquences avec les parents oscillent ainsi entre de véritables moments touchants et des séquences plus anecdotiques dont on se demande franchement l’intérêt.

On pourrait reprocher ainsi à Spielberg de recréer sa jeunesse plutôt que de la faire vivre sous nos yeux (une différence fondamentale avec le James Gray et le PTA cités auparavant), The Fabelmans ayant tendance à avoir un côté factice auquel manque un certain degré de sincérité et une véritable implication émotionnelle pour profondément emballer. Cette appréciation mitigée n’empêche en aucun cas de profiter du film mais ne nous fait pas rejoindre les nombreuses critiques dithyrambiques lues à son sujet. Attention cependant, The Fabelmans est loin d’être mauvais et provoque régulièrement un vif enthousiasme, se montrant aussi drôle qu’attendrissant, porté par un surprenant Gabriel LaBelle que l’on n’a aucun mal à imaginer en jeune Spielberg. Habile conteur, véritable magicien du septième art, Steven Spielberg le célèbre ici en fanfare et avec beaucoup trop de malice et de gourmandise pour qu’on lui tienne rigueur de ses défauts trop longtemps.

Il nous semble préférable de rester sur cette jolie impression de la dernière séquence du film où le jeune Sammy / Spielberg rencontre John Ford (incarné de façon irrésistible par David Lynch, il fallait y penser) dans son bureau. L’anecdote est connue, Spielberg l’ayant racontée à plusieurs reprises (notamment dans le documentaire Directed by John Ford de Peter Bogdanovich) mais la voir sous nos yeux demeure un plaisir à ne pas bouder. On ne peut d’ailleurs qu’imaginer Spielberg sourire quand il tourna le dernier plan du film, prenant en compte les conseils de Ford et nous donnant envie de nous replonger dans toute sa filmographie. Oui, Steven Spielberg est grand et on souhaite qu’il continue à nous enchanter encore.

2 Rétroliens / Pings

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