Édito – Semaine 25

En fin de semaine dernière, nous tâtonnions sur le sujet de cet édito, nous ne savions pas trop quoi dire : il y a des semaines où l’inspiration ne vient pas, où l’actualité cinéma reste calme et où nous voulons éviter de répéter encore quelques platitudes. Et puis nous avons appris la mort de Jean-Louis Trintignant. Nous avons hésité un moment : encore un édito en hommage à un acteur décédé ? Nous n’avons pas envie de transformer le rendez-vous en rubrique nécrologique mais force est de constater qu’il nous était impossible de ne pas rendre un dernier hommage à l’acteur, l’un des derniers monstres sacrés du cinéma français.

Jean-Louis Trintignant était un immense acteur, il faut le dire haut et fort. Le plus discret du cinéma français certainement, lui-même étant d’une timidité maladive, ayant longtemps lutté pour se trouver bon. Il pouvait pourtant tout jouer, aussi bien les héros que les salauds. Sa voix, reconnaissable entre mille, était capable de donner de fabuleuses nuances à ses personnages et il excellait dans tous les rôles avec toujours une grande part de subtilité qui le rendait inattendu : ses héros étaient loin d’être lisses, ses salauds (rôles qu’il prenait un malin plaisir à interpréter, il y excellait) étaient loin d’être purement diaboliques, il leur donnait une humanité, une fragilité. Une fragilité et une sensibilité qu’il donnait avec d’autant plus de ferveur que Trintignant a été durement malmené par la vie. Pendant le tournage du Conformiste de Bertolucci, il perd sa fille Pauline, à peine âgée de dix mois. Il traverse le tournage et le film comme un fantôme et Bertolucci confiera d’ailleurs avoir utilisé la peine de l’acteur pour servir le film. Et puis en 2003, c’est son autre fille Marie qui meurt, tuée par Bertrand Cantat. Pour ne pas sombrer, Trintignant, qui s’était progressivement éloigné des planches et du cinéma, se faisant plus rare (avec tout de même des rôles marquants chez Kieslowski, Jacques Audiard ou Patrice Chéreau) remonte sur le devant de la scène tout en confiant régulièrement en interviews qu’il se sent prêt à mourir.

Cette vie, marquée depuis le début par des drames (il a vu sa mère tondue à la fin de la seconde guerre mondiale pour avoir eu une liaison avec un soldat allemand), Trintignant la mène avec un mélange de résilience et d’optimisme, continuant à avancer malgré la douleur. Il faut du temps, quand on est cinéphile, pour apprendre à aimer Jean-Louis Trintignant. Il n’est pas comme Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon un acteur avec lequel on grandit : ses choix de carrière sont exigeants et quand on l’aperçoit dans des films, on est surpris par son jeu réservé. Forcément, face aux cabrioles de Bebel ou à la beauté incendiaire de Delon, il faisait pâle figure devant nos yeux d’enfants. C’est en grandissant, à travers les découvertes successives du Grand Silence, du cinéma de Costa-Gavras (où il est impeccable dans Z) et plus tard, de Amour de Michael Haneke que l’on réalise combien nous étions passés à côté de lui et de toute la puissance de son jeu, puissance qui ne s’affirme pas, qui ne se montre pas, qui reste tapie dans l’ombre, prête à bondir à tout moment. Depuis, nous n’avons de cesse d’explorer sa vaste filmographie, toujours surpris de le voir dans un film, rester en surface sur la même note, la même tonalité pour finalement toujours proposer quelques belles audaces, jamais démonstratives mais toujours au service de ses personnages. Celui qui disant que être acteur, c’est  »être une page blanche, partir de rien, du silence. Dès lors, on n’a pas besoin de faire beaucoup de bruit pour être écouté » est donc finalement décédé la semaine dernière à l’âge de 91 ans. Cette mort, redoutée par beaucoup, souvent espérée par lui qu’on savait malade ces dernières années, nous espérons qu’elle fût douce et qu’elle lui permettra de rejoindre ses enfants, il reste en tout cas à jamais éternel et il nous reste une belle quantité de films pour nous consoler de cette disparition.

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