Goliath : Est-ce que David peut encore gagner ?

Il est rare de voir le cinéma français s’aventurer sur des sujets engagés et politiques. Généralement plus prompt à aller vers des questions sociales, il semble généralement manquer d’énergie pour s’attaquer de front à des sujets plus épineux et depuis Costa-Gavras (ce qui s’est fait de mieux en cinéma politique francophone), les films de ce genre (et réussis) se comptent sur les doigts de la main. Déjà l’année dernière, Rouge traitait d’une histoire vraie à travers un récit sur la question environnementale et sanitaire. Réalisé par Frédéric Tellier, cinéaste n’ayant pas peur des défis (son premier long-métrage de cinéma, L’affaire SK1 retraçait la traque du tueur Guy Georges), Goliath s’attaque également à une question environnementale mais à travers plusieurs prismes, pour un portrait plus large de notre effrayante société moderne.

Le film est construit comme une mosaïque dévoilant peu à peu ses pièces, s’inspirant évidemment de faits réels. Il suit trois personnages dont les destins vont se télescoper autour d’une sombre affaire de pesticides, produits vendus par ses fabricants en dépit des risques sanitaires qu’ils posent et dont ils ont connaissance. D’un côté, Patrick, avocat solitaire un peu usé, se bat pour que la justice reconnaisse que le cancer ayant emporté une de ses clientes agricultrices est dû à l’usage de pesticides. De l’autre, France, professeure de sport qui milite activement contre les pesticides qui ont rendu malade son conjoint. Et puis il y a Mathias, lobbyiste travaillant pour cette industrie brassant des millions d’euros, prêt à tous les coups pour défendre les intérêts de ses employeurs. Trois personnages, trois trajectoires entremêlées que Goliath va s’attacher à suivre avec un sens du détail et de l’information assez admirable.

En effet, dans un film aussi complexe, il est toujours difficile de rendre clair tous les enjeux pour le spectateur. En comptant sur des acteurs rapidement identifiables mais surtout sur un scénario (fruit d’un long travail de recherche) ne faisant jamais passer sa dimension informative avant sa dimension narrative, Goliath se montre d’une efficacité redoutable. Sans pour autant livrer ses clés rapidement, il déploie sa trame en prenant son temps, laissant au spectateur le soin de réaliser l’ampleur du sujet qui se dresse face à nous. Le constat effectué par le film est effrayant et fait écho à celui fait par le récent Dark Waters : en arrosant tout le monde de pognon et en se foutant ouvertement de tout sens de l’éthique, prêts à commercialiser un produit qui tue des gens tant que ça rapporte et que ça fait tourner l’économie, les lobbys sont partout et risquent fort de mener notre monde à sa perte.

Impossible de sortir de Goliath sans être profondément révolté par ce que l’on a vu. Le film de Frédéric Tellier peut ainsi se targuer d’être d’utilité publique et a pour but d’éveiller les consciences de ses spectateurs sans pour autant demeurer didactique. Non seulement Goliath évite très rapidement tout manichéisme (le personnage de Mathias nous apparaît profondément antipathique mais il n’est jamais traité comme un véritable salaud) mais il sait ménager de beaux moments de cinéma et d’interprétation lors de certaines séquences pivots marquant les esprits (comme celle où Patrick fait face aux parents de sa cliente dans une scène décisive).

Entouré d’un beau casting qui a d’ailleurs évolué avant le tournage (Gilles Lellouche devait initialement interpréter le lobbyiste, Emmanuelle Bercot l’avocate et Pierre Niney le prof de sport), Goliath a trouvé dans sa forme finale les interprètes adéquats. En effet, avec sa dégaine un peu usée, ne payant pas de mine (un peu comme Mark Ruffalo dans Dark Waters), Gilles Lellouche s’avère parfait en avocat combattant farouchement pour la justice. L’acteur, qui réalise là un vieux rêve en interprétant un avocat, affiche décidément un charisme monstre et surtout un jeu s’affinant de plus en plus au fil des années et qui l’impose en l’espace d’une seule séquence comme l’incarnation idéale de ses personnages. Face à lui, Emmanuelle Bercot apporte une bouleversante humanité à son personnage tandis que Pierre Niney se montre impeccable en jeune lobbyiste aux dents longues, nuançant parfaitement son interprétation. Laurent Stocker, Marie Gillain et Jacques Perrin (que l’on aime beaucoup et qui se fait trop rare à l’écran ces dernières années) complètent la distribution de ce film engagé et nécessaire, cri de colère envers le capitalisme rongeant notre société, où le profit passe avant tout, avant l’humain, avant l’éthique, avant la justice. De quoi sortir de la projection remonté, exactement le but recherché par le réalisateur qui n’en a pas moins livré une belle œuvre de cinéma au passage, livrant une jolie double prouesse.

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