Ron débloque : Tout comme les intentions du long-métrage.

L’ère est aux robots connectés et à l’ultra socialisation en ligne. C’est avec cette thématique, aujourd’hui universelle, que Ron Débloque tente de s’imposer dans l’univers de l’animation. Produit par Locksmith Animation, boîte de production de la réalisatrice Sarah Smith, et coproduite par 20th Century Studios. Le film met en vedette Zach Galifianakis qui prête sa voix à ce petit robot détraqué, un rôle qui semble lui convenir à sa mesure. Mais le casting n’est pas en reste puisqu’on y retrouve quelques noms intéressants. Le jeune prodige du remake de Ça et de Shazam, Jack Dylan Grazer lui donne la réplique en incarnant le malheureux détenteur de ce robot buggé, Barney. La voix de Donka, sa grand-mère, est habitée par la talentueuse Olivia Colman que vous avez pu voir très récemment dans l’incroyable The Father. On peut également découvrir la récente star de Pokemon Detective Pikachu, Justice Smith, incarnant le PDG de la marque Bubble, Marc, créateur des fameux robots. Et enfin, comme un signe du destin, il s’agit d’Ed Helms qui donne sa voix au père de Barney, le troisième homme de la saga Very Bad Trip, Stu.

Dans un futur proche, une entreprise soucieuse de ne pas laisser sa jeunesse dans la solitude, décide de créer une gamme de robots, appelés les B-bots, chargés d’être les amis des enfants. Visuellement épurés, proche du design de Ève dans WALL-E, les B-bots sont créés pour devenir les meilleurs amis de tous les enfants. Ultra connectés, ils deviennent presque les Community manager et les agents des enfants, dictant presque leur vie pour soigner leur image. Codés sans doute avec un algorithme proche de celui de Tinder, les B-bots se chargent également de décider avec qui être ami ou non. Cools, complets en termes de possibilités, dotés d’une base de données folle leur permettant d’interagir avec les enfants et entre eux dans un panel de domaine quasiment illimité. C’est simple, le B-bots est devenu l’élément indispensable pour tout enfant qui se respecte.

Et c’est là que le long-métrage d’animation s’oublie dans un message pernicieux qui peut faire nettement plus de tort que de bien. Dans le film, Marc créé les robots pour répondre à une exigence intime, un souhait qu’il aurait aimé avoir. Ne plus être seul et avoir des amis. En ce sens Ron Débloque démarre de manière assez limpide, alors que tous les réseaux sociaux du monde existent déjà, les gens continuent d’avoir besoin d’être entouré, d’avoir de la reconnaissance, d’avoir des amis. Mais Barney ne possède pas encore de B-bots et il est désormais encore plus esseulé qu’avant. Même si la thématique est assez brute et balancée à la tête du spectateur comme une vieille chaussette à la machine, au moins, le sous-texte est clair. La popularité fictive ne nous fait pas sentir moins seul. Et dans un monde où il y a plus d’influenceurs insta que d’abonnés qui les suit, le message semble assez véridique.

Ajoutons à cela une opposition intéressante que le long-métrage d’animation propose entre le créateur de la marque, Marc, et le CEO, Andrew. En effet, il s’agit d’une entreprise, comme Apple, Microsoft etc, et les mêmes problématiques s’y imposent. Ce faisant, au fil des intrigues du long-métrage, l’entreprise se retrouve à devoir trancher entre utiliser les données personnelles des utilisateurs à des fins illégales ou respecter leur engagement. Spoilers alert, ils respectent leur engagement. Ah non, pardon. Une manière d’alerter les gens en les prévenant, si nous ne le savions pas déjà, que le monde entier les espionne s’ils sont sur Facebook, Instagram ou Twitter. Sur cette base, bien qu’un peu crédule, le film semble proposer un discours intéressant, d’autant plus si on l’adapte à un jeune public, à des jeunes enfants.

Et malheureusement non, c’est même là que le fiasco démarre. Sous couvert d’être un film d’animation pour enfants, la réalisatrice passe complètement à côté de son sujet. Les enjeux sont forcés, il y a un manque d’équilibre entre l’intention infantile et son sujet à la fois actuel et particulièrement important. Un enfant aujourd’hui ne doit pas vraiment comprendre pourquoi un chef d’entreprise va privilégier le bien-être de ses actionnaires plutôt que celui de ses utilisateurs. Ni même dans quelle proportion il est inadmissible de récupérer l’intégralité des données personnelles d’un utilisateur (surtout pour l’utilisation complètement outrageante et illégale qui en est faite dans le film). À chaque fois que l’histoire pousse à la réflexion dans un sens, il y a une forme de rétropédalage comme si l’intention était de dire que ce n’est pas si grave finalement. Son utilisation pourrait sauver des vies comme le montre le film. C’est pernicieux et donc à double tranchant car le jeune public pourrait devenir moins alerte vis-à-vis de ce qu’il poste sur les réseaux. Il y a d’ailleurs beaucoup de thématiques de fond intéressantes, mais loin d’être vérifiées et applicables comme ils le sous-entendent. Une vidéo diffusée sur les réseaux et ayant fait le buzz, par exemple, ne disparaîtra strictement jamais complètement de la toile, contrairement à ce qui peut être interpréter dans le film, notamment par un jeune public. La finalité tend évidemment vers un message positif, une conclusion en happy end. Mais la réalité est bien plus destructrice que le pire scénario que pourrait proposer le film tant les réseaux sociaux sont néfastes et créateurs de haine et de discorde. Ce n’est pas l’intention qui est à reprocher, mais son cheminement douteux et parfois pervers.

Au fond, Ron Débloque ne parle pas d’un robot qui bug, mais d’une société connectée instable en constant équilibre précaire sur un fil de fer tendu au-dessus du vide; mais où l’on a remplacé les crocodiles au fond du canyon par un gigantesque trampoline pour en anéantir tout effet d’anxiété à l’idée que les conséquences de cette situation puissent être irréversibles. La vision du monde de l’entreprise est naïve à travers ce film. On veut tous que Marc devienne le PDG définitif de Bubble, il apparaît improbable en revanche qu’on lui fasse une telle ovation lors d’une conférence comme celle montrée dans le film. Il s’agit d’une conférence d’investisseurs, de business men, de journalistes, de scientifiques pour annoncer un objet révolutionnaire, ce n’est pas l’E3 avec Keanu Reeves pour nous présenter Cyberpunk 2077. Ce genre de conférence n’est pas un one man show, mais plutôt un rendez-vous d’investisseurs. Donc une personnalité sérieuse qui cherche à faire du profit coûte que coûte à plus de chance d’être préféré. Disney devrait en connaître un rayon à ce niveau. Il y a un véritable décalage entre la réalité et l’utopie qu’Internet nous a vendu. Un décalage que les scénaristes semblent encore ne pas différencier. Il s’agit d’une fiction, le véritable problème n’est donc pas dans la conclusion des évènements, mais bien dans ce que le film cherche à transmettre en toile de fond. En l’occurrence, non, tout ce qui a été posté sur Internet ne disparaîtra jamais définitivement. Donc c’est potentiellement dangereux si on ne fait pas attention à ce qui circule. Mais bon, dans une moindre mesure, Maïmouna Doucoure a déjà essayé de nous avertir de ce risque avec le film Mignonnes et les gens ont préféré tourner les yeux.

D’autres parts les effets comiques sont pour la plupart assez consternants. Ron en lui-même est rigolo mais pas hilarant, la famille de Barney côtoie le ridicule sans en toucher ses aspects comiques, la plupart des adultes, à l’image de la réalité cependant, se croient cools et amusants alors qu’ils sont juste gênants et consternants. On n’échappe pas au moment où l’antagoniste principal se ridiculise en public, et encore c’est plutôt sobre ici. Ce qui donne lieu à des scènes certes gratifiantes pour le spectateur qui ne veut pas voir la tête de gland qui leur sert de CEO arriver à ses fins; mais qui nuit à la crédibilité de l’œuvre tant elle tend vers une illusion complète de ses différents aspects et thématiques. Le petit plus pourrait venir des personnages qui ne semblent pas si méchants les uns envers les autres de prime abord. Et pourtant si on y regarde de plus près, là encore une multitude de détails dévoilent à quel point la vie scolaire est traître et sans pitié. Sans même parler du petit gredin qui harcèle Barney jusque chez lui, il s’agit surtout de son amie Savannah qui n’hésite pas à appliquer un filtre le faisant tout simplement disparaître à l’image de ses lives ou n’hésite pas révéler un secret qu’il lui a expressément demander de ne pas faire. En surface ils semblent tous avoir un peu pitié de Barney, mais au fond, chacun y va de sa petite crasse pour soigner son image. Pour un objet qui cherche à rassembler tout le monde sous l’égide de l’amitié, il est bien prompt à supprimer de son existence ceux qu’il ne juge pas nécessaire à une amitié. Peut-être est-ce là aussi une problématique mise en avant par la réalisatrice, les sombres aspects des réseaux sociaux, cependant cela ne colle pas du tout au personnage de Marc qui, si l’on en croit son discours, ne souhaiterait jamais une telle chose. Mais là encore, par manque d’assiduité d’écriture des personnages, certains apparaissent comme étant bien naïfs. Un peu trop encore une fois pour oser tenir un discours aussi crédule sur le fonctionnement des réseaux sociaux et l’addiction qu’ils développent.

En dehors de ça, on retrouve Henry Jackman à la musique, qui s’est sans doute laissé amadouer par l’ambiance futuriste du long-métrage d’animation. Mais l’OST, notamment conduite par le titre Sunshine de Liam Payne, est l’un des rares éléments entraînant qui donne parfaitement le rythme de la narration et aide à apprécier sa séance. Au final même si le film est très malvenu en l’état et particulièrement maladroit, en prenant du recul et en acceptant l’histoire dans une forme plus narrative, on passe un moment relativement agréable. L’animation est très propre, les acteurs s’en sortent bien. Le véritable problème relevé est l’énorme gâchis du sous-texte de l’histoire vu le potentiel de son synopsis. Le film reste divertissant bien qu’il perde toute crédibilité lorsqu’on creuse un peu. On ne rigole jamais à plein poumons, mais on ne s’ennuie pas non plus au point de se taper une petite sieste pendant la séance. Et si vos enfants ont du mal à rester en place sur leur siège, réfléchissez-y, ce n’est pas forcément qu’ils ont des soucis de concentration.

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