Mignonnes : De si jeunes filles

On est toujours un peu sur la réserve lorsqu’un projet comme celui-ci arrive jusqu’à nous. Non que nous ayons quoi que ce soit contre le nouveau cinéma d’auteur français, capable de grandes choses lorsqu’il le veut bien. Mais plutôt que dans la catégorie du cinéma social à sujet sensible, on peut vraiment trouver à boire et à manger, la tentation de la démonstration de force avec moralisation pénible étant souvent plus forte que l’envie de faire du cinéma. On peut tout à la fois trouver un geste fort capable réellement d’interpeller notre conscience, comme se retrouver face à un énième téléfilm à thèse s’en prenant à nous spectateurs comme si l’on était responsables de toutes les misères de cette société. Heureusement, ce film-là appartient à la première catégorie, et c’est en plus avec une véritable assurance pour un premier long-métrage que la jeune cinéaste Maïmouna Doucouré déroule son récit, réussissant le petit exploit de rendre celui-ci de plus en plus pertinent et évocateur au fil de son évolution.

Centré sur une jeune fille de 11 ans, Amy, dont le point de vue constitue le point d’attache pour le spectateur, le récit débute alors que celle-ci vit un bouleversement familial majeur. Élevée par sa mère dépassée, essayant de la mettre sur le chemin des diktats religieux la tenant elle-même prisonnière d’un mode de vie qu’elle est forcée à accepter alors que cela la rend évidemment malheureuse, elle cherche comme tout enfant de cet âge à se faire une place dans la vie, écartelée entre cette éducation religieuse, et ses envies d’émancipation de cette vision de la vie. Et cette rébellion se voit enclenchée par sa rencontre avec un groupe de filles de son âge, qu’elle observe régulièrement en train de danser dans des poses excessivement sexuées, le tout dans l’espoir de remporter un concours. Mais là où dans n’importe quel autre film, ce concours et sa préparation constitueraient le socle de la structure scénaristique, il est ici le catalyseur d’une révolte silencieuse face à une situation vécue comme intolérable par la jeune fille, mais certainement pas montré comme une rébellion saine, au vu de la nature des danses.

Et c’est bien là l’une des grandes forces du film, et son audace principale, le fait de filmer ces gamines se croyant femmes, s’habillant comme dans les clips qu’elles visionnent à longueur de temps, parlant de Kim Kardashian comme d’un exemple à suivre, en ayant conscience de l’aspect dérangeant que ces scènes peuvent avoir sur le spectateur, mais en s’y confrontant afin de faire passer son message, non pas en force, mais de la manière la plus impactante possible. Nulle hypocrisie dans le regard de la cinéaste, tout comme il n’est pas question pour elle de juger ses jeunes protagonistes un peu trop durement. Car elle n’oublie jamais qu’il s’agit avant tout de jeunes filles, dans une période de transition entre l’enfance et l’adolescence, se débattant entre des préoccupations bien de leur âge et un besoin de s’émanciper face à une certaine démission des adultes. Car si à aucun moment le film ne s’attache à filmer la vie familiale des filles, hormis de Amy, il est évident, au détour de certains dialogues tout sauf anodins, qu’elles sont un peu forcées à se faire une place dans l’existence avec leurs propres armes, et la principale se trouve être leur corps dont elles pensent maîtriser la façon dont il est vu par les autres, mais dont elles n’ont pourtant pas réellement conscience des codes comportementaux qu’elles appliquent aveuglément.

S’appropriant des codes assimilés aveuglément, sans se rendre compte de l’hyper sexualisation les sous tendant, elles pensent pouvoir maîtriser leur propre corps et la façon dont leur entourage peut les voir de cette façon, alors qu’elles passent tout simplement à côté de leur jeunesse et des préoccupations autrement plus naïves qui devraient être les leurs à cet âge charnière. Du côté de Amy, on sent bien que ce besoin d’appartenir à ce groupe ne vient pas tant d’une réelle envie enfouie au plus profond d’elle que d’un besoin de s’affranchir de règles ancestrales à l’origine du pourrissement familial. Son père, parti au Sénégal, y revient avec une seconde femme, et sa mère, se voyant seconder par la tante dictant ses préceptes de vie, subit en silence, sous les yeux de la jeune fille tentant tant bien que mal de se faire un chemin dans la vie sans pouvoir se confier à son entourage direct. Celle-ci assiste donc à ce qui agite le microcosme familial, ayant conscience que cette situation n’est pas épanouissante pour sa mère, et que la condition des Femmes dans cette culture patriarcale dont les règles sont acceptées depuis des lustres, est réellement intenable. Alors elle s’attache à ce petit groupe, malgré les querelles, la difficulté à se faire accepter, car elle a besoin de ça pour se révéler à elle-même.

On pourrait penser, dit de cette façon, que ce que raconte le film n’a rien de très novateur. D’une certaine façon, dans ses thématiques, il n’a pas vocation à révéler des choses que l’on n’aurait jamais dites. Mais ces dernières sont évoquées par le prisme d’un sujet jamais vu, ou en tout cas jamais montré avec une telle honnêteté du regard. Empathique mais un brin voyeuse, la caméra n’hésite pas à filmer les corps de ces petites filles se prenant pour des grandes, dans des poses outrancièrement lascives apprises par coeur sans le moindre recul. Car elle ne veut justement pas faire de ce concours final le climax de son film, la cinéaste ayant tout à fait conscience du caractère dérangeant de ce sujet, elle s’y confronte sans jamais s’excuser, car c’est la seule solution pour que le message passe. Sans grand discours plombant, à travers des images expressives et le jeu particulièrement captivant de la jeune Fathia Youssouf, le récit va tranquillement vers une issue quasiment bouleversante, dans son universalité et sa force évocatrice. Grâce aussi à des dialogues extrêmement fins, notamment un ultime échange avec la maman d’une dignité qui brise le coeur, qui dit les choses sans paraître excessivement appuyé, et laisse une porte ouverte à une lueur d’espoir.

Oui, ce petit brin de femme que l’on a vu grandir par ses propres moyens durant tout le film, n’est encore qu’une petite fille devant vivre des choses de son âge sans précipitation, à son rythme, sans être prisonnière du moindre carcan muselant. Un discours fort mais évitant le piège du tract revanchard, car la cinéaste déjà très mature dans son écriture et sa mise en scène, a compris que pour faire passer un message important dans un film, la voie du cinéma, du plan évocateur (se faisant parfois lyrique) et du dialogue était bien plus opérante qu’un discours frondeur pouvant être contre productif. Vraiment un très beau film faisant son chemin dans le coeur et l’esprit.

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2 Rétroliens / Pings

  1. Mignonnes : 5x1 place à gagner ! -
  2. Ron débloque : Tout comme les intentions du long-métrage. -

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