Chien de la Casse : Rencontre avec Perrine Bekaert, monteuse du film

C’est dans l’intimité du salon surplombant la salle de projection du Luminor Hôtel de Ville que la rédaction de Close-Up Magazine a eu la chance de rencontrer Perrine Bekaert, monteuse de l’excellent Chien de la Casse – premier long métrage de Jean-Baptiste Durand qui fut logiquement récompensé du prix du meilleur premier film lors de la dernière cérémonie des Césars. Dans le cadre du Festival des Monteurs Associés la monteuse d’origine belge est revenue, peu de temps avant sa projection, sur cette expérience fructueuse avec le réalisateur originaire du Sud-Ouest, collaboration mêlée de rigueur et certainement de bonne humeur, à l’image de la galerie de personnages foncièrement attachants que le film ne manque pas de dépeindre admirablement. Rencontre.

Bonjour Perrine, pour commencer j’aimerais savoir comment en es-tu arrivée à travailler avec Jean-Baptiste Durand sur Chien de la Casse, et aussi en savoir un peu plus sur ton parcours et tes débuts dans la profession…

Perrine Bekaert : Je vais commencer à parler de mon parcours. Je suis Belge et j’ai fait mes études en Belgique ; après un master en philosophie j’ai intégré l’INSAS (Institut Supérieur des Arts, ndlr), une École de Cinéma située à Bruxelles dont les sélections s’effectuent sur concours et comprenant divers corps de métier liés au Cinéma : j’ai donc choisi le montage lors de cette promotion. J’ai ensuite fait un peu d’assistanat sur quelques longs métrages en Belgique, mais dans une certaine précarité. Je suis alors partie à Paris pour poursuivre mon expérience d’assistante, puis faire peu à peu du montage sur des courts, moyens et longs métrages ainsi qu’une série mettant en scène Pierre Niney (la saison 1 de Castings, ndlr). J’ai donc alterné entre des expériences de montage et d’assistanat pendant un certain temps.

Lorsque tu parles d’assistanat tu parles d’assistanat de mise en scène ou de montage ?

P. B. : non, non : de montage.

Et pour en revenir à Chien de la Casse

P. B. : Concernant Chien de la Casse j’avais monté un an auparavant Fragile de Emma Benestan, qui connaît très bien Jean-Baptiste Durand de par le fait qu’ils viennent tous les deux de Montpellier. Jean-Baptiste cherchait un monteur pour son premier long et a donc demandé à Emma comment s’était passée notre collaboration. Emma nous a donc mis en relation et j’ai lu le scénario que j’ai beaucoup aimé. Voilà comment s’est passée notre rencontre, assez simplement finalement…

C’est amusant, il me semble que Raphaël Quenard jouait déjà un petit rôle assez remarquable dans Fragile

P. B. : Oui aussi, c’est vrai (amusement)…

Concernant Raphaël Quenard et les acteurs de Chien de la Casse, j’ai remarqué que Jean-Baptiste accorde une grande importance aux comédiens et aux personnages dans son film. Comment as-tu réussi à trouver un bon équilibre entre le côté taciturne du personnage interprété par Anthony Bajon et la dimension plus verbale, plus loquace de Raphaël ? Tu parviens habilement à leur donner un place assez équitable dans le montage…

P. B. : C’était un véritable enjeu, effectivement, car le contraste existait déjà au scénario. Néanmoins la figure de Dog incarnée par Anthony avait davantage de répliques par endroits, mais certaines choses ne nous semblaient pas pouvoir exister face à Mirales (personnage joué par Raphaël Quenard, ndlr) car elles remettaient en question la légitimité de cette relation lorsque Dog prenait un peu trop la parole. On avait alors le sentiment que sa position comme « en retrait » était parfois incompatible avec cette prise de parole plus fréquente. C’est pourquoi notre travail avec Jean-Baptiste consistait à le rendre plus taiseux, ce qui en outre était entièrement mis en valeur par les subtilités de jeu d’Anthony, capable de faire passer plein de choses par son regard et ses silences. Je ne sais pas si l’équilibre est là, en tous cas le fait de les avoir séparés tous les deux pendant une bonne partie du métrage (20 à 25 minutes) leur permettait d’avoir chacun leur propre trajectoire, individuelle j’entends. Ce n’était pas vraiment le cas durant la phase purement scénaristique, voire pas du tout. Ces trajectoires individuelles permettaient de laisser une place à la relation liant Dog à Elsa (personnage interprété par Galatéa Bellugi, ndlr) pour mieux la faire exister, tout en nous permettant d’éprouver la solitude de Mirales et celle de Dog compte tenu de leur relation.

On constate d’ailleurs que Galatéa Bellugi a, elle aussi, toute son importance : c’est presque le « troisième larron » du film…

P. B. : Oui…

La structure du film me semble assez limpide. Ce qui m’a frappé lors d’un nouveau visionnage c’est cette sensation de « temps qui passe », de temporalité un peu indéterminée. Cela se passe t-il sur plusieurs semaines, plusieurs mois ? Il y a entre autres choses pas mal d’ellipses… Peux-tu revenir sur cet aspect de la structure narrative ?

P. B. : C’est en effet une question qui s’est beaucoup posée au montage, on ne sait pas vraiment durant combien de temps se déroule le récit. En effet l’enjeu dramaturgique important – car susceptible de faire ressentir ce « temps qui passe » et de déterminer quelle type de durée convenait à l’histoire – réside certainement dans le conflit entre Dog et la jeune fille qu’il drague en début de métrage. Toute cette partie scénaristique est mis de côté pendant un certain temps pour revenir au moment où Dog se met à dégrader la voiture de la bande incluant la fille ; entre temps Dog a vécu pas mal de situations avec Elsa et Mirales, c’est pourquoi cet enjeu de départ a finalement été accepté, toujours dans cette idée de temporalité indéterminée. Certaines séquences ont également été éludées, notamment entre Dog et Elsa, par souci de faire avancer les choses et de ne pas tomber dans une sorte de ventre mou narratif. Il fallait que les choses avancent pour tous les personnages.

Y avait-il beaucoup de rushes ?

P. B. : Pas vraiment. On a dû enlever en tout et pour tout cinq ou six séquences. Les rushes étaient proportionnels à la durée du tournage qui fut finalement assez courte, 25 jours il me semble… Il y a aussi des séquences qu’ils n’ont pas tourné et l’équipe à dû réorganiser le scénario en fonction du plan de travail… En prenant en compte ces quelques scènes non-tournées et les quelques séquences escamotées du montage on ne devait pas avoir une énorme quantité de rushes, même si je ne m’en souviens pas exactement en détail…

Parce qu’il me semble que tu avais auparavant travaillé avec Abdellatif Kechiche sur La Vie d’Adèle

P. B. : Oui là pour le coup c’est l’inverse (amusement). 750 heures de rushes !

J’imagine que ton rapport avec le réalisateur est différent d’un film à l’autre. Mais quels rapports entretiens-tu avec la sélection des rushes, des images d’un film donné ?

P. B. : En fait, cela se joue beaucoup au niveau de la durée du temps de travail, car j’ai l’impression que tant que l’on a pas « essoré les rushes » on a le sentiment de ne pas être allé au bout de quelque chose. La structure et la vision finale d’un film nécessitent de retourner encore et encore vers les choses, par souci de ne pas avoir oublié un élément important du récit ou d’affiner les traits d’un personnage. Quelque chose qui nous semble anodin au départ peut se révéler important par la suite. Retraverser les rushes quand il n’y en a pas des heures et des heures me semble effectivement plus simple que des rushes interminables… C’est ce qui permet de terminer un film en douze semaines, et pas en vingt (rires)!

Pour en revenir à Raphaël Quenard je crois savoir qu’il effectue beaucoup d’improvisations. Cela a t-il participé au fait de sélectionner certaines séquences plutôt que d’autres ? Par ailleurs Chien de la Casse repose beaucoup sur un principe de saynètes, de séquences proches de sketches…

P. B. : C’est toute la force de Raphaël Quenard ! Il improvise un peu, en effet… Dans mon souvenir il a besoin de passer par cette forme d’improvisation pour « se lancer » et arriver au texte, néanmoins Jean-Baptiste Durand était très à cheval sur son texte, ce qui ne l’empêchait pas de laisser exister la personnalité de Raphaël comme celui-ci le désirait. Quoi qu’il en soit ils en revenaient toujours au texte. L’intelligence de jeu et ce que propose Raphaël ont donné cette sensation d’improvisation et d’appropriation du texte intimement confondues toutes deux. Par exemple vers le début du film Mirales passe un coup de téléphone à Dog et lui laisse un message en lui disant « Si t’es pas mort, rappelle moi. Et si t’es mort… » cela devait se terminer par « Ciao bonsoir » et Raphaël a rajouté « Passe le bonjour à Satan« . Ce sont des trouvailles qui lui sont propres et qui sont très chouettes à conserver et à équilibrer dans le montage final. En revanche, certaines séquences nous ont un peu obligé à « recoudre le texte » : je pense au moment où Mirales parle de sa mère sur la place du village…

Ah oui, au moment où Dog/Bajon semble ne l’écouter qu’à moitié…

P. B. : Oui, sans vraiment l’écouter. Pour moi c’est peut-être le seul endroit du métrage où je me serais permise de moins découper l’action pour mieux laisser place à la parole de Mirales et rester avec lui… Mais cela fait partie du processus du montage, il peut se passer plein de choses pour les comédiens. Il fallait donc laisser la place à Anthony Bajon tout en mettant en valeur l’essentialité du discours de Mirales.

Merci à toi. Pour finir peux-tu nous parler de ton dernier coup de coeur en matière de montage et/ou de réalisation ? Un film qui t’ait vraiment plu récemment…

P. B. : (un temps). J’ai vu L’innocent de Louis Garrel il y a quelques jours, et je me suis régalée. J’ai trouvé le film hyper réjouissant et très bien écrit, avec son jeu sur les codes de mise en scène et de montage tout à fait savoureux. J’ai adoré.

Propos recueillis par Thomas Chalamel le 16 mars 2023. Un grand merci à Perrine Bekaert et à Paul Chaveroux pour avoir permis la réalisation de cet entretien.

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