Nayola : rencontre avec José Miguel Ribeiro

A l’occasion de la sortie du film Nayola, le premier long métrage d’animation de José Miguel Ribeiro qui sort le mercredi 8 mars 2023, nous avons rencontré le réalisateur. Il revient sur la genèse du film et ses choix esthétiques.

Nayola est votre premier long métrage, après plusieurs courts remarqués. Pouvez-vous nous présenter votre parcours, vos influences ?

J’ai fait une dizaine de courts métrages, une série pour enfants. Mon dernier court s’appelle Fragments, un film qui parle du stress post-traumatique, en lien avec la guerre coloniale portugaise. Mon père a vécu cette guerre, j’ai fait des recherches par rapport à l’influence des conflits dans la vie humaine. Après, j’ai découvert la pièce de théâtre de Eduardo Agualusa et de Mia Couto A Caixa preta qui nous montrait le point de vue de trois générations de femmes de la même famille et je me suis dit que c’était une opportunité d’explorer ce qui dans la guerre affecte notre vie et de montrer le passage de témoignages entre trois générations de femmes. C’est un film d’amour qui montre un pays, une façon de de nous lier avec la nature, de mettre face à face l’horreur de la guerre et la beauté de la nature et des gens.

Il y avait une gageure : passer d’une pièce de théâtre à une sorte de montage alterné. On ne sait pas d’emblée ce qu’il en est des temporalités. Quels ont été vos choix en termes de gestion du temps, de l’espace et du rythme de narration ?

Il y a le présent, la nuit dans la maison de Lelena, avec l’intrus masqué et, d’un autre côté, le voyage de Nayola pour chercher son mari. Ce voyage est important pour comprendre le présent, un maillon de la chaîne qui va de la guerre intensément vécue au retour à une vie. Ce n’est pas seulement une question de de de peur de de la mort, c’est aussi une question d’intensité de vie et donc avec ces deux lignes temporelles, je voulais amener le spectateur dans un voyage où on passe du présent au passé avec des moments oniriques, où on découvre les rêves de famille jamais concrétisés. Dans la culture angolaise, les personnes sont très liées à la nature, à l’environnement : la mort n’est pas la fin, mais une continuation, il y a cette dimension réaliste et animiste, distincte d’une européenne plus cartésienne où on essaye de donner du sens à tout ce qu’on découvre. Il faut se laisser entrainer pour entrer vraiment dans un voyage où il y a des symboles, où on parle de la mort, de la vie, de l’amour, des rêves des gens qui sont partis.

D’ailleurs, dès les séquences initiales, on se rend compte qu’il n’y a pas d’étanchéité entre le monde onirique et le monde réel. Les trois générations de femmes incarnent trois façons de lutter différentes et leurs parcours sont également entrelacés.

Il s’agit de montrer comment le temps passe, l’héritage d’une présence coloniale énorme par les Portugais qui ont amené le christianisme, qui ont vraiment transformé le pays. Les gens ont besoin de se repérer, de rencontrer, de partager : c’est aussi un projet démocratique. Ces trois générations de femmes ont trois façons de rêver, de lutter pour ce qu’elles croient : la grand-mère est comme un rocher qui soutient sa famille, Nayola part à la recherche de son mari et Yara fait partie de ces jeunes qui parlent dans les rues, qui se manifestent par la musique. J’ai vu un documentaire sur ces mouvements et j’ai découvert qu’un rappeur très connu avait été arrêté par la police, que des jeunes étaient accusés, sur la base de théories conspirationnistes, de lire des livres qui étaient contre le gouvernement.

Il y a une scène vraiment qui m’a vraiment évoqué un passage du Requiem pour un massacre d’Elem Klimov (1985) lorsqu’un avion est abattu dans un cadre paradisiaque, avec un superbe travail sur le son. Votre mise en scène est magnifique, conférant un aspect de cauchemar éveillé. Je voulais vous demander si vous aviez des influences cinématographiques et esthétiques prépondérantes pour Nayola.

C’est assez universel de communier avec la nature, de s’apprivoiser pour survivre. Des films m’ont influencé dans ma vision de la guerre, comme La Ligne rouge (1998, Terrence Malick) qui montre la beauté de la nature et l’horreur de la guerre, qui te laisse le temps et l’espace pour te repérer dans la guerre, celle du Vietnam avec un regard différent par rapport à Apocalypse Now (1979, Francis Ford Coppola) par exemple. J’ai aussi été inspiré par Valse avec Bachir (2008, Ari Folman), par l’univers des films de Miyazaki ou le récent La Fameuse Invasion des ours en Sicile (2019, Lorenzo Mattotti) pour le style graphique, ainsi que par des auteurs angolais, notamment pour la conception des masques africains traditionnels. En fait, avec les masques, il y a toujours le point de vue que c’est pour te cacher. J’ai effectué des recherches avec le scénariste et on a plutôt été surpris d’apprendre que les masques ne sont pas seulement décoratifs, mais sont utilisés dans des rituels où s’établit un contact avec le monde des esprits, de ceux qui sont déjà partis. Dans le film, on a utilisé cette information et eu recours au masque comme façon de communiquer avec les esprits, dans un contexte animiste.

Merci José Miguel Ribeiro !

Merci à vous.

Propos recueillis par Nicolas Levacher le 15 février 2023 dans les locaux d’Urban Distribution, Paris 20ème arrondissement. Un grand merci à Calypso Le Guen d’avoir pu permettre la réalisation de cet entretien.

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