Biographie de Robert Redford : Rencontre avec son auteur Michael Feeney Callan

Nous étions en train de dévorer la biographie de Robert Redford parue le 22 mai dernier aux Editions La Trace quand nous nous sommes vus proposer la possibilité de nous entretenir avec Michael Feeney Callan, son auteur. Nous qui nous passionnons depuis toujours pour l’écriture, nous ne pouvions évidemment pas manquer l’occasion d’avoir une discussion avec cet auteur prolifique, à la fois biographe, scénariste et poète. Rendez-vous fut pris pour un appel WhatsApp où la voix de Feeney Callan, bercée par un délicat accent irlandais, nous a accompagné durant près d’une heure. Retour sur une rencontre aux échanges riches :

Tout d’abord, je tenais à saluer votre travail, votre biographie est tout à fait passionnante, elle se dévore et parvient à capter aussi bien Redford l’artiste que l’être humain.

Merci beaucoup, ça me touche et il est certain que ça touchera beaucoup Robert Redford, c’était le but de cet ouvrage : rendre compte de sa mission de vie. Ce n’est pas juste un acteur donc le livre ne pouvait être une simple biographie. Pour moi, ce livre est un essai sur l’Amérique. Redford est unique, c’est un poète. Passer 15 ans avec lui comme je l’ai fait pour ce livre, c’est comme passer du temps avec Walt Whitman. Regarder et comprendre Redford, c’est regarder le spectre complet de ce que c’est que d’être américain. C’est ce que j’ai voulu faire, comprendre l’Amérique, son cinéma, sa démocratie.

Comment avez-vous convaincu Robert Redford de faire ce livre ?

Au début, il m’avait dit clairement qu’il ne ferait jamais de biographie, cela lui semblait presque indécent de s’exposer comme ça. C’est un homme étrange et complexe, il est comme un diamant : il change en fonction de son exposition à la lumière. Nous avons eu beaucoup de conversations tous les deux et c’est l’une d’entre elle, à propos de T.S. Eliot et du Ulysse de James Joyce qui a débloqué les choses pour ainsi dire. Nous parlions d’eux et de la condition humaine. Redford est comme moi, quelqu’un de très intéressé par l’étrangeté de la nature humaine, par notre obsession de soi, par le fait que chacun d’entre nous aurait besoin d’un bon psy. Il a donc fini par me dire ‘’tu sais, ça pourrait m’intéresser de faire ça’’. Il y a vu l’occasion d’analyser sa personnalité, son parcours. Et il y a tant à dire sur lui. Il faut rappeler qu’il s’est battu pour créer Sundance, un espace de liberté pour le cinéma indépendant, qu’il a voulu comme un forum où chacun pouvait s’exprimer. Il a également été précurseur sur le plan écologique, dès les années 70 il alertait sur le réchauffement climatique, il a même organisé l’une des toutes premières tables rondes sur le sujet. C’est un visionnaire, je trouve qu’il a le même esprit qu’un T.S. Eliot, qu’un H.G. Wells ou qu’un Marcel Proust. C’était une formidable opportunité de montrer comment quelqu’un comme lui pouvait devenir acteur ou activiste. Il a un parcours incroyablement cohérent et il l’a dit lui-même, ce qu’il voulait faire ne pouvait se faire en une poignée de films, cela ne pouvait que s’accomplir sur toute sa carrière. Et il me semble que c’est l’une des plus cohérentes du cinéma américain.

Robert Redford avec Sydney Pollack, Natalie Wood et Charles Bronson sur le tournage de Propriété interdite

Le livre fait plus de 700 pages ce qui est beaucoup et en même temps très peu pour raconter une vie, comment fait-on pour donner l’aperçu de toute une vie à travers un nombre limité de pages ? J’imagine que c’est un véritable travail de montage, que garde-t-on ? Que jette-t-on ?

C’est effectivement beaucoup de travail et vous avez tout à fait raison de dire que c’est comme du montage. Pour le dire clairement, ça a été 15 ans de ma vie cet ouvrage. J’ai dû apprendre beaucoup de choses : l’écologie, la politique américaine notamment celle de l’état de l’Utah où se trouve Sundance. Il m’a fallu comprendre tous les aspects de sa vie – et ils sont nombreux : le business avec Sundance, ses propres films en tant que réalisateur, la façon dont il a dû s’adapter à sa célébrité, les choix qu’il a fait tout au long de sa vie. J’aurais pu faire 2000 pages ! D’ailleurs, j’aimerais beaucoup écrire un second volume à ce livre mais un second volume moins classique sur le plan de la biographie, qui serait presque un essai sur l’Amérique à travers son prisme.

Est-ce qu’il y a une distance à respecter entre vous et votre sujet ? J’imagine qu’il faut être proche de lui mais pas trop non plus pour rester objectif, comment faites-vous ?

Ce n’est pas facile mais effectivement il faut savoir maintenir une certaine distance. On s’est beaucoup disputés pendant la rédaction du livre, c’est impossible de faire autrement. Je n’ai absolument aucun intérêt à écrire une biographie de vendu qui serait totalement hagiographique, ce n’est pas mon but. Il se battait souvent pour que certaines choses n’apparaissent pas dans le livre. C’est un combat que je ne pouvais me permettre de perdre. Si je le laisse prendre le dessus, j’échoue en tant que biographe. Il me fallait voir les motivations derrière ses déclarations, parfois il banalisait l’apport artistique de certains de ses collaborateurs, je devais donc aller les interroger pour avoir leur version des faits. On s’est vraiment engueulés à plusieurs reprises, ce que je comprends totalement, c’était difficile pour lui, il avait parfois l’impression d’écrire son épitaphe. Je suis resté très proche de lui et de sa famille mais c’est le travail le plus difficile que j’ai eu à faire de toute ma carrière.

Avec Alan J. Pakula sur le tournage du film Les hommes du Président

Et pourtant vous êtes rompu à l’exercice, vous aviez déjà écrit les biographies de Sean Connery et Richard Harris qui n’étaient pas réputés pour être faciles…

C’est pourtant avec Redford que ça a été le plus compliqué, j’avais souvent le sentiment de monter sur un ring et de me faire tabasser par Mike Tyson, c’était éprouvant. J’avais parfois l’impression de me punir moi-même, c’était à la fois la meilleure des périodes et la pire, c’est très particulier comme sensation. Avec la fiction, tout est plus facile, nos personnages sont des pions que l’on peut contrôler, écrire sur Redford, c’est écrire sur quelqu’un d’impossible à contrôler. C’est un homme qui ne se pose jamais, il est difficile à suivre. Lors de l’une de nos premières rencontres, il m’a amené faire du cheval sur un sentier compliqué, comme une sorte de test pour voir si j’allais tenir la cadence et c’était toujours un challenge d’être à ses côtés. Il a vraiment l’âme des premiers pionniers américains, d’un frontiersman de l’époque. C’est pour cela que Jeremiah Johnson est son film préféré parmi ceux qu’il a fait, parce qu’il résume parfaitement sa carrière, celle d’un homme devant survivre et rester fidèle à ses valeurs en territoire hostile. Mais c’est cette difficulté, cette complexité qui nous a également fait tenir le coup, qui nous a fait avancer. Il a partagé avec moi des choses vraiment fortes sur le plan émotionnel : son épisode dépressif en Europe, son premier mariage qui s’est brisé. C’était dur mais c’est également une façon de s’identifier à lui, d’humaniser la star, de montrer notre propre fragilité en tant qu’êtres humains. Lire que Redford est comme nous, révéler ses propres échecs – qui sont aussi signifiants que ses succès – c’est quelque chose de très fort et je garde de merveilleux souvenirs avec lui.

Vous n’êtes pas seulement biographe, vous êtes également scénariste et même poète, quelle est la forme d’écriture que vous préférez ?

Je me considère avant tout comme un poète, c’est la forme d’écriture que je préfère, c’est mon premier amour. C’est l’art du langage compressé, on peut dire énormément avec peu de mots. Comme je vous le disais c’est grâce aux poètes que Redford et moi nous sommes rapprochés. Il me citait des vers de ses poètes préférés, je lui citais des vers de mes poètes préférés. On a beaucoup partagé en 15 ans. Je me souviens qu’un jour il était très triste suite au décès d’une activiste pour l’écologie qu’il aimait beaucoup. Je lui ai alors cité ces vers de Dylan Thomas que je trouve magnifiques : ‘’do not go gentle into that good night […] rage against the dying of the light.’’ Ces mots lui ont fait du bien. Plus que cette biographie, c’est la poésie qui nous liait.

Brad Pitt et Craig Sheffer dirigés par Redford sur le tournage du film Et au milieu coule une rivière

Quinze ans de travail c’est long et on le sait, l’écriture est un processus créatif parfois douloureux, vous n’avez jamais été assailli par le doute ?

Je vais vous confier quelque chose que Redford m’a dit : le doute c’est notre meilleur moteur. Quand le doute frappe à notre porte, il faut absolument tout faire pour partir loin de lui et rejoindre les champs de la créativité. C’est parfois difficile mais c’est en doutant que l’on avance. Si l’on veut écrire, il faut continuer à le faire encore et encore. Et je dis ça à tous ceux qui veulent écrire : à partir du moment où l’on a quelque chose à dire, écrire est légitime.

Est-ce qu’il y a une phrase qu’il vous a dit qui vous a plus marqué que les autres ?

Il m’a dit tellement de choses et nous avons eu tellement de conversations merveilleuses qu’il m’est impossible de retenir une chose en particulier. Mais je me souviens lui avoir demandé ce qu’il comptait faire alors que notre travail ensemble s’achevait. Il s’est gratté le menton et il m’a dit qu’à son âge, il avait presque tout contre lui mais qu’il allait continuer, qu’il ne pouvait faire autre chose. Il a souri et il a dit ‘’The End’’.

Propos recueillis par téléphone le 6 juin 2022. Un grand merci à Michael Feeney Callan pour sa gentillesse et sa générosité ainsi qu’à Sophie Bataille pour l’organisation de cet entretien.

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