16 ans : Rencontre avec Philippe Lioret

Mûrement remis du choc angoumoisin de la projection de 16 ans éprouvé lors de la 15ème édition du FFA de l’été dernier c’est avec une joie non feinte que la rédaction de Close-Up s’en est allée à la rencontre du réalisateur Philippe Lioret, auteur d’un film proprement bouleversant s’affranchissant de toute étiquette et de tout genre préconçus. Retour sur l’un des grands évènements cinématographiques de ce début d’année qui – à l’image de son réalisateur – cultive une véracité de belle envergure et de bon aloi. Rencontre.

Bonsoir Philippe, pour commencer pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a influencé pour l’écriture de 16 ans, au delà de son postulat purement émotionnel et shakespearien ? La vie en elle-même a t-elle une part importante d’inspiration dans votre recherche créatrice ?

Bonjour ! Oui, bien sûr : la vie est le seul élément réellement constitutif de toute dramaturgie, quelle qu’elle soit… Hormis cela ça faisait longtemps que j’avais l’envie profonde de transposer Roméo et Juliette au cinéma de façon purement contemporaine ; je tournais autour de cette idée depuis longtemps car je trouvais l’histoire tellement forte, puissante, simple et complexe à la fois sans le paraître dans le même temps qu’elle me semblait ne demander qu’à être modernisée et vue à travers un nouvel éclairage. Ainsi Shakespeare n’a jamais expliqué pourquoi les Capulet et les Montaigu (noms de famille des personnages principaux de Roméo et Juliette, ndlr) ne s’entendaient pas, et en remettant l’histoire dans notre contexte actuel incluant des différences de classe et de culture il m’a semblé que cela donnait à l’Oeuvre une dimension plus réelle, plus vivante et plus juste à l’encontre de l’intériorité des personnages.

Vous venez de parler de « différences de classe », et – sans mauvais jeu de mots – vous ouvrez votre film sur une scène de rentrée scolaire au coeur de laquelle nous découvrons les protagonistes que sont Nora et Léo. Aviez-vous cette exposition en tête dès le début du processus de fabrication du film et quels rapports entreteniez vous avec le système scolaire dans votre jeunesse ?

Tout était en tête et écrit à la virgule près, et par conséquent rien n’a été fabriqué au montage ou en aval du tournage. Cette première scène était évidemment écrite et prévue de longue date. Et par ailleurs mon rapport avec le système scolaire a été celui d’un cancre assumé pendant des années… Mais le lycée est pour moi une scène de théâtre absolument formidable, parce que c’est un endroit qui – justement – gomme les différences sociales. Rassembler vingt-cinq élèves, des garçons et des filles, dans une salle de classe (et donc les rassembler au même endroit et au même moment) enlève considérablement des problèmes sociaux : voilà ce qui me plaît beaucoup dans l’idée de lycée (tendresse). Ce que raconte surtout mon film est que la rivalité sociale qui entoure les personnages de Nora et Léo ne les touche pas : ils y sont absolument imperméables. Ils tombent puissamment amoureux et pour eux rien d’autre n’a d’intérêt. 16 ans, c’est l’âge de tous les possibles, du goût exquis de la première fois, c’est l’âge où l’on découvre l’Amour, cette grande aventure du Monde – et sans doutes, à mon sens du moins – la seule véritablement intéressante à vivre.

Comment avez-vous trouvé les deux interprètes principaux que sont Teïlo Azaïs et Sabrina Levoye ? J’ai été frappé par la symbiose se dégageant de leur relation à l’écran…

J’ai effectué un casting, et en ce qui concerne Sabrina elle n’avait jamais fait d’essai auparavant : elle est finalement tombée sur la petite annonce/affichette à la sortie de son cours de théâtre pour finalement contacter la directrice de casting, et a participé au casting parmi de nombreuses autres prétendantes. On a vu près de quatre-vingt Nora potentielles et cinquante Léo, et Sabrina fut longtemps dans le peloton de tête des sélectionnées. D’autres jeunes comédiennes s’avéraient tout à fait talentueuses mais aucune n’a réussi à me toucher autant que Sabrina ; elle avait un « truc » qu’elle dégageait qui me plaisait beaucoup, entre la fragilité et l’intensité. Et lorsqu’on a dû travailler pour trouver la justesse qu’il fallait pour le rôle mon choix fut définitif : je ne voyais personne d’autre capable d’incarner aussi bien la figure de Nora. Quant à Teïlo il est arrivé au casting après cette décision et a donc eu beaucoup de chance, puisqu’il est tombé sur une partenaire qui avait déjà le rôle ; dans la mesure où l’on avait beaucoup travaillé en amont avec Sabrina ce fut plus simple pour lui, car elle était déjà Nora. Mais quoi qu’il en soit Teïlo comme Sabrina m’ont beaucoup surpris, nous avons répété l’ensemble du film pendant deux mois avant le tournage, avec eux-mêmes mais aussi tous les autres acteurs. S’en est suivie la préparation du film, Sabrina et Teïlo ont pris du temps pour eux durant près de deux mois et demi, jusqu’au premier jour de tournage : ils ont prouvé dès leur arrivée sur le plateau qu’ils étaient les personnages. Il n’y avait de fait rien à leur expliquer car ils étaient détendus, parfaitement conscients de la direction du film et de ce vers quoi je les emmenais. Cela s’est déroulé avec une facilité incroyable, surtout grâce à ces deux mois de répétition. Ils ont été supers, et je leur demandais – pour ainsi dire – de ne pas jouer, mais d’être eux-mêmes, de donner la part documentaire d’eux-mêmes à leur personnage. Ils l’ont trouvé et ce fut formidable car ils ont insufflé une telle fraîcheur que, grâce à eux, j’ai souvent eu l’impression de faire mon premier film : c’était vraiment bien. Car l’idée était de faire un film très incarné, avec des personnages auxquels on puisse immédiatement et intensément s’identifier, comme une manière de vivre cette histoire à leur place… Un peu comme si chaque spectateur avait lui-même 16 ans, d’une certaine façon.

Vous parlez très justement d’incarnation. A ce propos quelles sont vos sources d’inspiration pour caractériser vos personnages, finement étudiés du plus grand au moindre rôle ? Par exemple lors d’un bref passage Nora et Léo font connaissance en parlant d’astrologie : est-ce un détail volontaire ou purement fortuit ?

(un temps). Ah oui, parce qu’à un moment elle lui demande s’il est Bélier, et qu’il est de notoriété publique que les Béliers sont volontaires ! Ce n’est pas une réelle discussion sur l’astrologie…

Oui, c’est vrai. Vous y faites simplement allusion.

Oui, c’est comme lorsque l’on ne sait pas quoi dire lors d’une rencontre. Cela sort comme ça, spontanément, cela n’a pas grand intérêt à mon avis… En tous cas l’astrologie n’a pas sa place dans mes sources d’inspiration, si telle est votre question.

Merci. Oui justement nous parlions plus tôt de l’importante part de vie dans la recherche créatrice, c’est presque une banalité de la vie de tous les jours que Nora énonce à Léo, comme ça, de but en blanc…

Bien sûr. Cela montre à quel point on peut être banal lorsqu’on est gêné par une rencontre qui nous touche à ce point : elle est troublée, et lui aussi. J’ai fait le film en ne pensant qu’à trois mots : tension, mouvement et intensité, avec la pure envie de faire un thriller ; que cette histoire là soit une histoire tendue et intense, et en mouvement permanent. Qu’il y ait également une grande part d’intimité entre Nora et Léo, même si je ne voulais pas que 16 ans soit un film intimiste ! Mais je pense que la principale réussite tient dans cette tension générée par les dix acteurs principaux du film, et c’est vraiment ce que je voulais : qu’il n’y ait aucune mièvrerie dans tout cela.

Pour finir je tenais à vous dire avoir fortement apprécié la dimension intemporelle de 16 ans. Seriez-vous a contrario intéressé de réaliser un film purement historique, ou alors de revenir vers des sujets typiquement contemporains comme ce fut le cas pour Welcome, par exemple..?

Peu m’importe que mon prochain film soit « historique » ou « contemporain », je suis beaucoup plus inspiré par la force d’un sujet et de l’intensité qui en découle, les personnages et tout ce qu’ils impliquent en matière de dramaturgie. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment fait de pur « film d’époque » à part peut-être L’équipier qui se situait dans les années 1960, sur une île au bout de la France… Tous les films que j’ai fait sont des films contemporains, je suis à priori plus tourné vers ce qui se passe autour de nous que vers – par exemple – les préoccupations des hommes et des femmes du XVIIIème Siècle, même si je suis féru des lectures et des romans de cette époque. En revanche si un moyen précieux de raconter un sujet donné à une époque donnée s’impose naturellement à moi là, oui, évidemment.

Propos recueillis par Thomas Chalamel le mardi 3 janvier 2023. Un grand merci à Philippe Lioret et à Mathis Elion pour avoir permis la concrétisation de cet entretien.

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