Annie Colère : Pas sage(s)-femme(s)…

Beau, touchant, empreint d’une humanité pas si courante dans le cinéma français actuel le nouveau long métrage de Blandine Lenoir fut l’un des évènements micro-médiatiques de la 15ème Édition du Festival du Film Francophone. Hélas reparti bredouille de la compétition angoumoisine le joliment nommé Annie Colère fit également son petit effet lors de sa projection au Festival de Locarno de l’année dernière, le jury saluant une oeuvre ouvertement militante et plus douce que son titre n’aurait pu le laisser présager.

Si le public semble de prime abord ne pas avoir suivi lesdites qualités de cet édifiant long métrage (celui-ci ayant cumulé à peine un peu plus de 170 000 entrées sur toute la durée de son exploitation en salles, nldr) sa sortie en Blu-Ray et DVD disponibles aux Éditions Diaphana depuis le 4 avril dernier pourrait certainement lui redonner sa chance, tant les valeurs véhiculées par la réalisatrice et sa portée éminemment documentaire demeurent plus que jamais d’actualité, à l’aune d’un féminisme qu’il serait bon de nuancer mais qui – ici – trouve grâce à nos yeux et notre esprit de cinéphile assoiffé d’idées progressistes, surtout lorsqu’elles sont habilement et subtilement menées par tel ou telle artiste…

Plus de trente années après le choc généré par le remarquable Une affaire de femmes de Claude Chabrol et seulement un an après le superbe L’évènement de Audrey Diwan Blandine Lenoir s’attaque elle aussi avec panache à la question sensible de l’avortement, nous plongeant sans détours dans la France pompidolienne de 1974, soit seulement quelques mois avant la promulgation de la Loi Veil autorisant légalement ladite pratique. Suivant à la trace la figure titulaire de Annie – incarnée par Laure Calamy avec tout le talent que nous lui connaissons – la réalisatrice reconstitue une France provinciale dans un moment charnière de son Histoire, pour ne pas dire déterminant : jusqu’alors illégal sans être réellement clandestin l’avortement est alors pratiqué par le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, ndlr), un groupuscule d’hommes et de femmes bénévoles venant de tout horizon, opérant au nom de femmes désireuses de disposer de leur corps et de leur sexualité comme bon leur semble ; d’abord encline à subir elle-même ce que l’on pourrait nommer « l’ablation d’un petit bout de vie porté in utero » Annie va peu à peu sympathiser avec les membres de cette communauté marginale mais bienveillante, s’adonnant par la suite au bénévolat organisé par ces derniers – femmes pour la plupart. S’ensuivra un concours de convictions intelligemment mâtinées d’ouverture(s) au(x) dialogue(s) qui lorgnera enfin vers un véritable engagement politique mettant tout un système phallocratique sur la sellette… heureusement exempt de radicalisation misandre et doué d’un certain sens du contrepoint.

Pour ce faire Blandine Lenoir nous épargne le manichéisme opposant les gentilles et courageuses femmes aux sales types irrécupérables, se permettant fièrement de nous livrer une fable dramatique efficiente sur la question. Si les actrices sont en tout point impeccables dans leur interprétation respective (Laure Calamy forcément, mais également Zita Hanrot ou encore la superbe chanteuse franco-américaine Rosemary Standley pour sa première apparition à l’écran, ndlr) les comédiens ont eux aussi leur part belle dans un film mettant un point d’honneur à montrer les progrès mais aussi les limites de l’implication humaine et politique de Annie : ainsi Yannick Choirat excelle dans le rôle du mari mis de côté presque au corps défendant de son épouse, épouse fortement préoccupée par les causes intrinsèques au MLAC et à sa potentielle démocratisation. A sa manière Annie Colère fait figure de film à thèse humblement fabriqué par son auteure, sans doute moins brillant dans sa conduction que le virtuose L’évènement mais témoignant de réelles audaces en demi-teintes (l’avortement du premier quart d’heure de Annie filmé en temps réel équivaut presque à un geste maternel et maternant, idée suggérée puis magnifiée par la berceuse tendrement chantée par Monique incarnée par Rosemary Standley…).

En résulte une oeuvre de cinéma tour au tour simple et évidente, portant un regard profondément humain sur ces femmes (et ces hommes) cherchant à se dépêtrer d’une société conservatrice vouée à disparaître au nom d’une Liberté sexuelle et morale sans précédent dans nos contrées hexagonales. Blandine Lenoir filme sans fioritures ni complaisance et/ou voyeurisme un combat féminin encore et toujours d’actualité au vu de la ghettoïsation d’un tel sujet dans nos médias et nos salles de cinéma. La sortie vidéo de Annie Colère demeure l’occasion rêvée de découvrir ou de redécouvrir un film éhontément boudé par le public voici quelques mois, formidable petit morceau de film porté par une Laure Calamy au sommet de sa forme, et de sa gloire. Superbe.

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