Larry Flynt : Subversion du rêve américain

Il y a des films qui possèdent une aura particulière. Des films que l’on range dans un coin de notre tête parmi les mastodontes auxquels on n’ose pas se confronter trop tôt. En ce qui concerne Larry Flynt, nous nous revoyons parfaitement un soir d’été 1998 lorsque notre père a ramené la vidéo à la maison. La jaquette provocatrice de cette dernière nous avait intrigué malgré l’interdiction formelle du paternel de le regarder du haut de nos sept ans. Voilà comment le film s’est retrouvé dans notre liste des incontournables. La culture cinématographique sur laquelle nous avons forgé nos fondations, nous la devons en grande partie à notre père. Et si papa était intéressé par ce film, c’est qu’il en valait nécessairement le coup. Les années se sont écoulées et nous avons découvert la filmographie de Milos Forman lorsque nous étions lycéens. Notre porte d’entrée, comme la plupart des gens, fut Vol Au-Dessus d’Un Nid de Coucou. Inutile de rappeler à quel point le film demeure un chef d’œuvre astronomique, et si d’aventure vous ne l’auriez toujours pas vu, c’est une mandale de laquelle vous ne pourrez vous relever indemne. S’en suivront rapidement les découvertes des autres pépites de cet auteur : Hair, Valmont et les inégalables Man on the Moon et Amadeus qui dynamitent le biopic au firmament des meilleurs films du genre. Il aura fallu attendre que Wild Side réédite Larry Flynt en blu-ray à partir d’un nouveau master 2K flambant neuf pour que nous nous offrions enfin le droit d’enfreindre cet interdit que l’on nous avait imposé il y a 24 ans.

De son enfance misérable dans le Kentucky, Larry a gagné l’art de la débrouille, le goût d’entreprendre et l’irrépressible désir d’améliorer sa condition. Propriétaire d’un bar à stripteaseuses, il flaire le bon coup et lance, en 1974, Hustler, une publication licencieuse qui fait bientôt de l’ombre à Playboy en ne reculant jamais devant le scandale et l’obscénité. Mais un succès aussi sulfureux ne pouvait qu’attirer les foudres des dévots : l’Amérique puritaine fera tout pour mettre Larry au pilori.

Le biopic est un genre dans lequel Milos Forman s’exprime avec le plus de ferveur et d’inspiration, et Larry Flynt ne déroge pas à la règle. D’un point de départ polisson où nous pensons découvrir la vie banale d’un provocant créateur d’un magazine pour adultes, le film nous emmène rapidement vers d’autres chemins. Forman se sert de la figure atypique de son personnage haut en couleurs afin d’y asséner une critique sur les libertés de la presse et d’expression en enveloppant le tout sans jamais céder à une quelconque glorification de son héros. Le réalisateur ne se formalise jamais afin de lisser les traits de ce dernier, bien au contraire. Larry Flynt, l’homme, est une entité difficilement décorticable. Forman parvient à traiter toute sa complexité en mélangeant savamment plusieurs tons narratifs allant de la comédie au drame en passant par le film de procès. Il a compris mieux que quiconque quel homme était ce businessman et l’a retranscrit le plus fidèlement possible au point de laisser le véritable Larry Flynt s’adjoindre un caméo délicieux dans lequel il rentre dans la peau du premier juge à l’avoir condamné à de la prison.

De fait, Larry Flynt ne manque jamais de panache et encore moins d’audace. Le film nous plonge au cœur d’une Amérique puritaine afin de la confronter face à sa propre médiocrité. A cette époque, tout le monde lisait Hustler, mais personne ne l’assumait. Le magazine qui faisait passer Playboy pour un livre pour enfants a permis de mettre à mal tous les bien-fondés d’une Constitution qui ne tolère pas qu’on se moque allégrement d’elle, même dans un esprit érotico-parodique. Tout le monde en a pris pour son grade, des éminences politiques aux figures religieuses immensément respectées. Tout est bon pour faire parler du magazine sous couvert du Premier Amendement de la Constitution Américaine qui dit : « Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. » Pourtant, Larry Flynt aura payé les frais de cette immense entorse par le biais d’une multitude de procès et de provocations toujours plus farfelues, allant jusqu’à essuyer une tentative d’assassinat qui le clouera dans un fauteuil roulant jusqu’à la fin de ses jours. Son histoire mise en corrélation avec la liberté de la presse ainsi que celle des individus à pouvoir exprimer leurs avis donne le cadre idéal à Milos Forman pour nous offrir une œuvre formidablement indispensable.

Non content de nous embarquer avec fascination au cœur d’une histoire palpitante, Larry Flynt doit énormément à son casting flamboyant. Woody Harrelson y trouve l’un des rôles les plus majeurs et emblématiques de sa carrière. Il exulte dans l’art de provoquer et d’en rajouter toujours plus afin de faire parler de lui. Il incarne à la perfection l’image du majeur parfaitement tendu vers le ciel, telle une belle grosse verge en érection bien décidée à en découdre avec tous les culs coincés croisés sur sa route. Un rôle proposé à Bill Murray et Tom Hanks qui n’ont pas donné suite et qui vaudra à Woody Harrelson d’être nommé aux Oscars dans la catégorie du Meilleur Acteur en 1997. Woody Harrelson scintille de mille feux et est servi par une sacrée brochette de comédiens. A commencer par un jeune et débutant Edward Norton qui campe le rôle de son avocat. Le jeune acteur se montre parfaitement à l’aise dans un rôle plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, il se doit de tenir tête à Larry en toute circonstance et de le défendre avec conviction en dépit du fait qu’il affiche clairement aux yeux des jurés qu’il n’est aucunement d’accord avec son client. Pour lui, il ne s’agit pas de condamner ou non son client, il s’agit de ne pas condamner la liberté d’expression. Par une posture raide et ferme, Norton insuffle un talent inouï à son personnage et ira jusqu’à reprendre le même plaidoyer que l’homologue qu’il incarne lors du dernier procès avec une force impressionnante. On assiste avec un plaisir délectable à la naissance d’un grand acteur qui n’aura de cesse de prouver par la suite qu’il est une star sur qui l’on peut compter (malgré l’horrible réputation qu’il traînera sur les tournages et lui vaudra d’être évincé peu à peu des plateaux).

Le noyau dur Harrelson/Norton ajoute une plus-value non négligeable au film, mais n’oublions pas de citer Courtney Love. Cette dernière crée un miroir si fin avec la personne qu’elle est dans la vie qu’on peut définitivement affirmer qu’elle ne joue pas, mais qu’elle est. Elle est cette femme capricieuse, elle est cette amoureuse transie, elle est cette droguée dégénérée. Le fan de Kurt Cobain aurait envie de la détester, mais le critique objectif ne peut qu’admirer l’alchimie qu’elle possède avec Woody Harrelson. On y croit dur comme fer à leur histoire d’amour. Milos Forman ne tombe jamais dans le poussif ou le racoleur juste pour s’assurer le succès, le ton est toujours juste et force est de constater qu’il a su canaliser au maximum Courtney Love (au point de l’engager à nouveau pour Man on the Moon) et n’en tire que du qualitatif. Le film demande à ses comédiens de se plonger en permanence dans l’excès puisque la magie du montage se chargera du reste. Forman trouve toujours le ton juste entre voyeurisme et intimisme. Ainsi, il provoque les émotions justes aux bons moments. On se marre à gorge déployée lorsqu’il le faut, on pleure lorsqu’un malheur arrive et l’on applaudit lorsque des coups éclatants surviennent. Larry Flynt est un chef d’œuvre dont l’impact sur les mentalités qu’il met en scène se parallélise idéalement avec notre société actuelle. Si l’on tend à penser que tout a changé, le film nous fait rapidement nous rendre compte qu’on nous met encore beaucoup trop de poudre aux yeux pour se prétendre libre de tout.

Disponible chez Wild Side dans un combo DVD/Blu-Ray/Livret, Larry Flynt est un incontournable de la filmographie de Milos Forman. Pour sa mise en scène exigeante, ses acteurs au diapason et sa délicieuse impertinence, ce biopic sur l’un des hommes d’affaires les plus controversés d’Amérique trouvera une place de choix autant dans votre collection que dans votre cœur. Larry Flynt est clairement un chef d’œuvre qu’on se congratule de voir être remis en lumière de nos jours. Un achat plus qu’indispensable !

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