The Haunting of Bly Manor : Histoire d’amour et de fantômes

Il y a deux ans déjà débarquait sur Netflix The Haunting of Hill House, série que l’on est en droit de considérer comme un chef-d’œuvre du genre, mêlant purs moments de frousse mémorables et drame familial bouleversant. Son créateur, Mike Flanagan (certainement le cinéaste le plus excitant œuvrant dans le genre actuellement) qui adaptait librement l’œuvre de Shirley Jackson, a vite décidé de faire de cette série une anthologie où chaque saison adapterait un classique de la littérature tournant autour d’un lieu hanté. Il aura fallu attendre deux ans, mais c’est ainsi qu’a débarqué sur Netflix The Haunting of Bly Manor, dont les neuf épisodes sont disponibles depuis le 9 octobre dernier.

Ici, Mike Flanagan et son équipe de scénaristes entreprennent d’adapter l’univers de Henry James en se concentrant sur Le tour d’écrou, magistralement porté à l’écran par Jack Clayton en 1961 avec Les Innocents. Une référence imposante dont Flanagan se débarrasse très vite, comme il l’avait fait avec La maison du diable de Robert Wise pour Hill House. Il s’agit donc d’une libre adaptation et d’une somptueuse réappropriation et il faut absolument s’ôter Hill House de l’esprit avant de se plonger dans Bly Manor

Toute comparaison entre les deux saisons, outre pour se régaler d’y retrouver des clins d’œil çà et là, serait vaine tant The Haunting of Bly Manor ne joue pas sur le même plan que Hill House. Pour être tout à fait honnête, la comparaison jouerait même contre Bly Manor qui est amplement moins terrifiante et qui ne dégage pas la même empathie envers ses personnages. Cette saison souffre même d’une légère redondance dans sa structure une fois l’épisode 5 et son formidable retournement passé. Les épisodes 5, 6 et 7 auraient ainsi gagnés à être condensés en deux épisodes pour éviter trop de redites et de rebonds vers le passé.

Mais ce ne sont là que les maigres défauts que l’on trouvera à The Haunting of Bly Manor qui, si elle se visionne dans l’ombre de Hill House, n’en demeure pas moins une franche réussite artistique, incursion dans le genre dans sa tradition la plus romanesque, convoquant une imagerie parfois gothique certes, mais étant surtout profondément romantique, la série racontant finalement une histoire d’amour plus qu’une histoire de fantômes (même si les deux sont la même chose, dira la narratrice incarnée par Carla Gugino).

Ayant bien cela en tête, Bly Manor peut donc se développer sur la même basé que le roman d’Henry James et le film de Jack Clayton : embauchée comme gouvernante auprès de deux jeunes orphelins dans le manoir de Bly isolé dans la campagne anglaise, Dani Clayton, fuyant les fantômes de son passé, ne tarde pas à se rendre compte que des événements étranges se produisent dans la maison. Non seulement les deux enfants agissent bizarrement mais Dani aperçoit un homme rôder dans le manoir. Il s’agirait apparemment de Peter Quint, un homme ayant disparu après avoir dépouillé d’une certaine somme d’argent l’employeur de Dani, amant de l’ancienne gouvernante du manoir qui s’est suicidée dans l’étang de la propriété…

Dans son principe de base, la série ne diffère donc pas de l’œuvre originale. Elle en offre simplement une perspective différente, en développant de façon remarquable les moindres personnages secondaires (Dani a beau être l’héroïne de la série, c’est Hannah qui a le droit au rôle le plus passionnant de la série) pour faire exister leurs personnalités et leurs émotions, chacun ayant voix au chapitre, même les défunts. On a d’ailleurs eu tort de dire plus haut que Bly Manor était une histoire d’amour, la série en racontant plusieurs, chacune étant tout à fait bouleversante et servant comme moteur à la narration jusqu’à un épilogue tout à fait déchirant, conclusion d’une histoire d’amour née d’une rencontre dans un endroit hanté.

Si en termes de réalisation, on peut regretter que Mike Flanagan n’ait réalisé que le premier épisode de la saison (là où il réalisait l’intégralité de Hill House), il a su s’entourer d’une équipe solide où l’on trouve Ciaran Foy, Liam Gavin ou encore E.L. Katz derrière la caméra. On appréciera également qu’il ait habilement su mêler acteurs de la première saison que l’on prend plaisir à retrouver (Victoria Pedretti, Oliver Jackson-Cohen, Henry Thomas, Carla Gugino et même Kate Siegel) avec des acteurs dont on ne connaissait pas le nom mais dont on découvre les immenses talents comme T’Nia Miller, Amelia Eve et Rahul Kohli, chacun trouvant des rôles pour lesquels on se prend immédiatement d’affection.

Mais le plus grand tour de force de la série repose sur sa narration et la façon dont elle joue avec nos attentes. Point de frissons (ou très peu) à l’horizon dans Bly Manor, ce qui ne l’empêche pas de poser un regard fascinant sur la mort et la condition de fantôme. Ainsi, l’épisode 8 qui s’avère être le meilleur de la saison se repose intégralement sur un personnage que l’on n’avait jusqu’ici jamais vu et relate, en une heure, la façon dont les sentiments de colère et de frustration d’une personne peuvent rester jusqu’à sa mort. De mémoire de spectateur, nous n’avions jamais vu à l’écran une représentation nous semblant aussi juste du processus qui transforme un être humain en fantôme, ancré sur terre par une rancœur terrible. Un épisode absolument fascinant qui confirme tout l’ingéniosité de Mike Flanagan et de son équipe de scénaristes, capables de nous terrifier tout en nous arrachant des larmes.

The Haunting of Bly Manor s’impose donc comme une nouvelle réussite incontestable, suffisamment intelligente pour être différente de Hill House sur bien des points tout en la rejoignant sur des thématiques. La mort, les regrets, l’amour, le don de soi, la peur de s’engager, la solitude et la colère sont autant de thèmes abordés avec subtilité, auxquels il est impossible de ne pas se rattacher et qui confirme la haute intelligence du cinéaste quand il s’agit de se frotter au genre, en n’occultant pas les sentiments qui sont indispensables à toute bonne histoire de fantômes.

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