Tromperie : Avec les mouches (ma vie sexuelle).

Le verbe, ou ce sans quoi le cinéma de Arnaud Desplechin ne serait pas ce qu’il est. Le verbe et même le verbiage, une succession de bons et beaux mots formant autant de laïus déconcertants proférés par des acteurs et des actrices à la diction souvent irréprochables, héritage littéraire et théâtral particulièrement familier à l’auteur de Rois et Reine. Partageant certaines accointances avec le cinéma de Woody Allen (sophistication de la comédie et des moeurs, névrose quasiment autobiographique diffusée au travers des personnages dépeints devant la caméra, boulimie culturelle et intellectuelle ancrée dans un contexte imperturbablement petit-bourgeois, nldr) celui de Desplechin a su par le passé nous réserver de belles surprises, avec en tête le magnifique et protéiforme Rois et Reine tourné au coeur des années 2000 ou encore l’étonnant et diablement incarné Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines), tous deux bénéficiant d’une richesse réfutant toute aridité formelle et discursive tout en pariant sur le ludisme de leur mise en scène…

Permettons-nous aujourd’hui d’émettre de grosses réserves sur le tour que prend le travail de ce réalisateur depuis au moins deux ou trois films, ses dernières oeuvres souffrant d’une sécheresse poussée jusqu’à l’abstraction la plus rédhibitoire à défaut de perdre en péroraison. Si déjà Les fantômes d’Ismaël faisait l’effet d’un pensum proche de la meringue étalée sur plus de deux heures de métrage Roubaix, une lumière témoigna par la suite de la radicalisation auteurisante du cinéma de Arnaud Desplechin, transformant certaines situations burlesques en moments rébarbatifs invitant à l’hermétisme le plus complet. Dernier long métrage en date du cinéaste Tromperie confirme à nouveau la propension du grand homme à faire longuement discourir ses personnages dans le « vide du sujet » ; tourné dans la foulée du premier confinement cette adaptation du roman (en grande partie) autobiographique de l’écrivain Philip Roth ne déroge donc pas à la règle desplechienne de rigueur : ce seront 100 minutes de bavardages quasiment ininterrompus tenant lieu dans une poignée de décors intérieurs peu ou prou interchangeables et mettant principalement en scène deux personnages, faisant de Tromperie l’alibi parfait du huis-clos soumis aux injonctions sanitaires de la Covid-19.

En quelques mots Tromperie parle – à coups de dialogues fleuris et précieux – de la relation adultère d’un écrivain quinquagénaire new-yorkais et de son amante londonienne dans l’intimité d’un cabinet aux allures de psychanalyse… Lui c’est Philip (interprété non sans brio par un Denis Podalydès toujours aussi passionnant à contempler dans sa maîtrise technique et dramatique, maîtrise forcément perpétuée du théâtre, ndlr) et sa jouissance passe par les paroles que lui tend son amoureuse (Léa Seydoux, effectivement idoine en la personne de cette figure féminine à la fois intemporelle et distinguée, de vingt ans la cadette de l’écrivain…). Hormis cette passion sapiosexuelle nous assisterons au cours dudit drame aux discussions sentimentales liant Philip à d’autres amantes passées, avec entre autres le personnage de Rosalie (Emmanuelle Devos, grande habituée du cinéma de Desplechin) en proie à une chimiothérapie interminable ou encore celui d’une jeune étudiante psychotique incarnée par la belle Rebecca Marder (actrice qui sera visible dans Les Goûts et les couleurs de Michel Leclerc, et qui sortira le mois prochain de cette année, nldr). Enfin nous constaterons péniblement les reproches de son épouse suspicieuse, reproches auxquels Philip répond en prétextant s’inspirer de liaisons imaginaires susceptibles de servir de matière à ses futurs écrits…

Bon. Autant d’égotisme et de masturbation nombriliste font – de fait – peine à voir et surtout à écouter. Il faudrait de ce point de vue là se rappeler ce que Gilles Deleuze imputait aux écrivains médiocres de l’ère contemporaine dans son magnifique Abécédaire, à savoir se limiter à écrire un bouquin à partir de sa petite affaire privée à dessein d’écrire un chef d’oeuvreTromperie façon Desplechin a certainement très bien digéré l’oeuvre du romancier Philip Roth (du reste réputée pour sa dimension hautement personnelle et autobiographique), tant ledit film n’a de cesse de parler vainement des petites préoccupations mentales, sexuelles, et patati et patata de son protagoniste mature et snob à qui mieux mieux. Sans aller jusqu’à affirmer que le dernier Arnaud Desplechin s’avère prétentieux (le réalisateur assume à ce niveau là entièrement la vanité et le caractère délibérément commun de son dispositif) il demeure néanmoins tout à fait ennuyeux et antipathique à visionner et à subir. Toutefois disponible en DVD et Blu-ray aux éditions Le Pacte depuis le 4 mai 2022 Tromperie n’a résolument pas du tout convaincu notre rédaction, trop bavard pour ne pas nous assommer et pas assez généreux pour nous rassasier. Une déception, à l’image du titre original du roman dont s’inspire l’objet de notre (dure) critique…

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