En corps : Ce qui nous meut…

C’est sur l’accordage d’un orchestre et la rumeur ambiante d’une salle de spectacle que s’ouvre le nouveau film de Cédric Klapisch, jolie surprise de ce début de printemps 2022 annoncé comme une semi-renaissance culturelle après les marasmes de la crise sanitaire. Réalisateur aguerri car capable de s’entourer des comédiennes et des comédiens les plus en vogue selon l’époque et/ou le projet (il a notamment révélé Romain Duris dans le cultissime Le Péril Jeune et l’a dirigé par la suite dans plusieurs longs métrages, principalement la trilogie des aventures de Xavier inaugurée par L’auberge espagnole en 2002, ndlr) Cédric Klapisch revient donc assez régulièrement derrière la caméra, à raison d’un film tous les deux ans environ… Il nous avait laissé sur un certain Deux moi, comédie dramatique somme toute très plaisante mais finalement assez secondaire à y repenser, en dépit d’un pitch entièrement dans l’air du temps, au diapason des préoccupations existentielles d’une génération de trentenaires en proie au fléau de la solitude intrinsèque aux réseaux sociaux…

Bel hymne à la vie et au feu sacré animant potentiellement tout un chacun En corps nous permet de retrouver l’auteur des Poupées Russes et de Paris en très grande forme, formidable morceau de cinéma peuplé de personnages tour à tour sympathiques, passionnés et élégamment vulnérables. Portrait humain et doux-amer d’une jeune danseuse de ballet qui se reconvertit par la suite dans la danse contemporaine cette tranche de vie s’ouvre donc sur une rupture, une déchirure, une fracture : dans les coulisses du théâtre organisant la représentation du spectacle auquel elle participe le soir même, la jeune Élise Gauthier surprend son petit ami dans les bras d’une autre danseuse. Blessée, meurtrie Élise rentre alors en scène avec tout le professionnalisme dont elle est alors capable… jusqu’au moment où le pas de trop entraîne sa chute sur les planches d’un spectacle alors à son apothéose, chute marquée par une grave déchirure au pied de la belle jeune femme… Le verdict sera terrible et sans appel : Élise devra – selon les médecins – se résoudre à ne plus pratiquer la danse classique pendant une durée minimum d’au moins deux ans, obligeant la jeune adulte à littéralement changer son fusil d’épaule.

En corps saisit par son souffle dramatique efficace et pleinement agréable à suivre, montrant encore une fois la prédilection de Cédric Klapisch pour les scénarios de vie pariant sur l’identification du spectateur à ses personnages. Impeccablement interprété par l’ensemble des actrices et des acteurs (Marion Barbeau, véritable danseuse à l’Opéra de Paris dans le civil, joue subtilement de son charme timide et magnétique dans le même temps) En corps permet également à Pio Marmaï et à François Civil de retrouver la caméra bienveillante de Klapisch cinq ans après le grisant Ce qui nous lie… Et si le premier excelle en restaurateur intempestif énamouré de la belle Sabrina (incarnée par l’égérie suisse Souheila Yacoub, déjà vue dans Climax et Le Sel des larmes, ndlr), le second s’avère drolatique en kinésithérapeute transi d’amour pour la filiforme et gracieuse Élise. Attachants, résolument humains et imparfaits les personnages klapischiens nous parlent tous chacun de leur petite voix intime et faussement légère, à commencer par Élise et ses doutes, ses failles et son incapacité salutaire à abandonner sa passion première : s’exprimer par et pour son corps, avec flamboyance et pugnacité.

Alors en pleine résilience et involontairement découragée par un paternel qui l’aurait préférée juge ou avocate (Denis Podalydès est pratiquement irrésistible en père intellectuel, froid et aveugle aux aspirations de sa fille, rajoutant une dimension comique à un film qui l’était déjà, du moins en partie…) Élise Gauthier devra donc faire face au sens véritable de sa vie, croisant sur son chemin des figures significatives : la charismatique Josiane (Muriel Robin est ici, contre toute attente, pas loin d’être bouleversante), probable substitut symbolique de la mère défunte de la jeune femme ou encore le séduisant Mehdi qui va l’initier aux plaisirs pratiquement telluriques de la danse contemporaine… Il en résulte un film particulièrement charmant et aéré, n’hésitant pas à in(corps)porer des éclats de légèreté dans un drame profondément grave en paradoxe, à l’image des élans gracieux des ballets classiques des premières séquences laissant peu à peu place aux communions tribales des danses modernes du second chapitre. Un beau moment de cinéma, simple et attrayant tout à la fois. Superbe !

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  1. Houria : À la pointe des conventions -

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