La vraie famille : la seconde vie de Simon

En ce moment les films se penchant sur une enfance traversée d’épreuves empiriques et de précarité sociale demeurent légion. Que ce soit par l’entremise du petit écran avec l’excellent téléfilm L’enfant de personne réalisé par Akim Isker ou, plus récemment dans les salles obscures, avec l’intense et réussi Placés il semblerait qu’une nouvelle génération de réalisateurs prenne à bras-le-corps la terrible réalité d’une jeunesse livrée à elle-même (au pire) quand elle n’est pas prise en charge par les institutions (au mieux). C’est dans cette logique psycho-sociale que Fabien Gorgeart accouche de La vraie famille, (mélo)drame librement inspiré de son histoire personnelle auquel il appose un regard à la fois humain mais souvent cruel et déchirant, doué d’enjeux scénaristiques solides présentés sous le signe de la double contrainte.

Sur un sujet très proche de celui du téléfilm de Akim Isker (L’enfant de personne et La vraie famille ont pour dénominateur commun l’influence de l’Aide Sociale à l’Enfance sur le devenir d’enfants et préadolescents en situation de crise et en manque de repères maternels et paternels) le nouveau long métrage de Fabien Gorgeart commence d’emblée comme un curieux feel-good movie aux allures de publicité idyllique : une femme, un homme et trois enfants barbotent guillerets dans un centre aquatique, chahutant et riant avec une insouciance trop belle pour être – justement – vraie. Semblant former un modèle familial pratiquement idéal ce quintet de personnages inclut néanmoins un intrus ; entièrement intégré au groupe certes, mais dénotant malgré tout de par son origine familiale : le touchant et vulnérable Simon, enfant placé dans la famille de Anna (Mélanie Thierry, impeccable en mère de famille aimante jusqu’à l’irrationnel, qui fut pertinemment récompensée du prix de la meilleure actrice au dernier Festival du Film d’Angoulême, ndlr) et Driss (Lyès Salem, attachant en papa gâteau sympathique et décontracté) depuis ses 18 mois, qui va se voir littéralement transbahuté entre la bienveillante famille d’accueil qu’il chérit au plus haut point et le retour de son père biologique sur le devant de la scène (Eddy, parfaitement campé par Félix Moati), celui-ci revenant après de longues années d’absence assumer ses charges parentales et profiter un peu de son rôle de modèle paternel…

Si le film commence un peu maladroitement (photographie légèrement surfaite et proche des imageries institutionnelles du rigueur, enchaînement de longs mouvements de caméra tournant un peu vainement autour des personnages mais finalement chiche en termes de densité narrative…) l’interprétation d’une Mélanie Thierry (consacrée, et à juste titre…) complexe et passionnante dans le rôle principal vaut à elle-seule le visionnage d’un film dévoilant assez vite ses tensions inter-relationnelles : dans la même mesure que l’on parvient entièrement à comprendre la jalousie possessive de la figure de Anna accusant le coup du retour de Eddy (celle-ci s’étant livrée corps et âme à l’éducation du jeune Simon à des fins professionnelles elles-mêmes devenues personnelles) on trouve toutes les raisons du monde à aller dans le sens du personnage de Eddy, celui-ci semblant tout droit sorti d’une longue convalescence morale et peut-être même physique et ne cherchant qu’à donner de son amour de père à sa progéniture… On apprend par ailleurs le décès de la mère biologique assez rapidement dans le déroulement du récit, décès survenu lors d’un accident de voiture dont le spectateur ne connaîtra ni les raisons ni même toutes les conséquences (Eddy est-il responsable d’une éventuelle collision ? A t-il sombré dans l’alcoolisme ou la toxicomanie afin de ne pouvoir obtenir la garde de son chérubin ?…). Le film garde ses zones d’ombre tout en troquant progressivement le ton largement désinvolte des premières minutes (avec en point d’orgue la danse euphorisante de Anna et Driss sur le Marcia Baila des Rita Mitsouko) pour un registre davantage amer et douloureux plaçant les raisons des uns et des autres devant le sort du jeune Simon.

Finalement assez proche des dispositifs délibératoires du cinéma du réalisateur iranien Asghar Farhadi (chaque parti à ses raisons et ses causes à défendre, mais aucun n’a réellement totalement raison ni n’est entièrement remis en cause…) La vraie famille fait formellement penser au délicieux La dernière vie de Simon, film fantastique de Léo Karmann sorti deux ans plus tôt : caméra très mobile, caractère très bigger than life de la représentation technique (usage pléthorique du plan-séquence, grands angles sur-esthétisant les acteurs et les décors) et naïveté apparente participent à faire du film de Fabien Gorgeart un beau et bon long métrage dramatique en diable, mais un rien convenu dans sa globalité. Cela reste malgré tout du cinéma touchant et efficace, visible sur nos écrans à partir du 16 février de cette année.

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