Les Monteurs s’affichent : Une rencontre avec Mathilde Muyard et Pauline Casalis

La Sixième Édition du Festival des Monteurs Associés s’est donc déroulée tout récemment dans le confort du Cinéma Luminor Hôtel de Ville entre le 13 et le 18 mars de cette année. Afin de nourrir notre appétit cinéphile et notre goût prononcé pour les voyages d’horizons divers et joliment variés la rédaction de Close-Up Magazine a eu la chance de rencontrer deux des membres de l’association LMA, à savoir l’organisatrice Mathilde Muyard et sa partenaire Pauline Casalis, l’une des figures tutélaires du Comité de Sélection de cette Édition. Retour sur un échange aussi vivant que nuancé.

Bonjour Mathilde, bonjour Pauline. Pour commencer je voulais revenir sur l’association LMA (Les Monteurs associés, ndr) et sur le rôle que chacune d’entre vous a joué dans l’organisation du festival. Il me semble de ce point de vue que vous, Pauline, faites partie intégrante du Comité de Sélection du festival de cette année. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la programmation de cette sixième édition ?

Pauline Casalis : la sélection des films de cette édition a été faite par un atelier composé de quatorze personnes. On a commencé autour du mois d’avril de l’année dernière à faire un appel aux adhérents de l’association LMA pour leur demander quels étaient les films qu’ils souhaiteraient présenter. Nous avons donc reçu un certain nombre de films, et à partir de là nous avons visionné à raison d’une dizaine de films par mois avec l’ensemble des membres du comité, pour ensuite discuter de chaque film en aval de chaque projection. À l’issue de ces discussions certains films sont « mis de côté » par le comité, autrement dit pré-sélectionnés. C’est finalement durant le mois de novembre que nous revenons sur tous les films en question dans le but de finaliser une sélection, après une longue discussion entre les quatorze membres du comité destinée à savoir quels films seront projetés.

Je me suis rendu compte en regardant le programme de cette sixième édition que vous avez sélectionné des films très différents, allant de la comédie dramatique avec Chien de la Casse au documentaire sociale assez spécifique avec Qu’est-ce qu’on va penser de nous ? en passant par un film d’ouverture prenant pour toile de fond la Palestine…

P. C. : Ce n’est pas tout à fait la Palestine : il s’agit d’un quartier de Damas, ou plutôt du premier camp de réfugiés palestiniens au moment du premier exode en 1948 qui est par la suite devenu un quartier très vivant de Damas au coeur duquel vivent un nombre important d’exilés. C’est en Syrie, de fait.

Cette information m’a fait penser à un autre film que j’avais découvert il y a une dizaine d’années, qui est – ce me semble – un film de « pur montage », à savoir Eau argentée, Syrie autoportrait. Ce film peut-il faire écho avec votre choix de programmer Little Palestine, Journal d’un Siège ? Peut-on faire un parallèle entre les deux films ? Ce film datant de 2014 vous a t-il influencé d’une quelconque façon pour la sélection ?

P. C. : Non, pas vraiment. Il y a eu beaucoup de films traitant de la Syrie et de la guerre en Syrie ces dernières années, dont Eau argentée qui est effectivement un film très fort, très puissant, mais cela ne nous a pas forcément influencé…

Je parlais de « pur montage » dans le sens où Eau argentée ressemblerait presque à une certaine forme de found-footage

P. C. : Je ne sais pas vraiment à quoi correspondrait cette formule de « pur montage »… Il y a également une part très importante accordé au montage dans Little Palestine.

Mathilde Muyard : dans tous les films, de fait.

P. C. : Exactement. Il ne s’agit évidemment pas du tout de la même écriture ni de la même narration, mais là nous parlons davantage de la mise en scène que du montage. Tout film, quel qu’il soit, est voué à la notion de montage en fin de compte… A part dans le cas de L’Arche Russe de Alexander Sokurov qui fut tourné en un seul plan-séquence (rires). Tout film témoigne d’une narration dont la dernière phase d’écriture réside dans le montage, indéniablement.

Pour en revenir à cette notion d’écriture j’aimerais revenir sur votre choix d’avoir sélectionné le documentaire Traduire Ulysse : on pourrait presque dire que l’écrivain James Joyce est une sorte de romancier-monteur, dans la mesure où il semble organiser le langage à la manière d’un nouveau montage…

M. M. : Oui. Pour chaque édition du festival nous invitons une association de monteurs d’un pays étranger, et ce fut pour celle de cette année l’occasion d’inviter des membres de KUDA (association des monteurs de Turquie, ndlr). Ces membres ont proposé six films différents, fictions et documentaires confondus, et un sous-atelier dont je fais partie a décidé de sélectionner ce documentaire. (un temps). C’est un film qui ne traite pas directement du roman de Joyce mais qui se penche sur un traducteur kurde qui a entrepris de traduire Ulysse en langue kurde, ce qui ne s’était encore jamais vu jusqu’alors. Ce documentaire a ceci de passionnant que tout se mêle autour de la question de la traduction et de celle du montage, dans la mesure où le roman de James Joyce est presque une forme de « super-montage littéraire » et qu’il réside une résonance entre la condition des kurdes en Turquie et celle des irlandais durant l’occupation britannique (contexte essentiel du roman de James Joyce, ndlr). Ce film s’articule très habilement autour de ces correspondances, notamment grâce au montage qui propose au départ des éléments très parcellaires, très singuliers. Il y a donc une cohérence très forte entre le montage du film et son propos. C’est assez passionnant.

Outre le fait de rattacher certains films de la programmation à des faits historiques et/ou actuels j’aimerais revenir sur deux films davantage rattachés à la notion de mythe, à savoir El Agua et Chien de la Casse. Pourriez-vous revenir sur ces choix pour le moins étonnants, principalement du point de vue de leur dimension mythique et moderne tout à la fois ?

P. C. : (un temps) Je vois bien la notion de mythe dans El Agua, qui d’ailleurs rend compte avec pertinence de questions extrêmement contemporaines par l’incarnation même de ce mythe, mais je n’en dirai pas davantage pour ne pas trop en dévoiler… En revanche sur Chien de la Casse, la notion de mythe m’échappe un peu (un temps). J’y vois plutôt un aspect ou une dimension théâtrale de par son décor unique, car l’essentiel de l’action se déroule dans un village ; nous avons alors deux personnages qui rentrent peu à peu en situation conflictuelle, ce qui pourrait s’apparenter à une forme de tragédie – au sens théâtral du terme. Mais je préfère préserver le suspense pour nos futurs spectateurs (amusement).

Sans trop en dévoiler la relation fratricide entre les personnages de Dog et Mirales (respectivement interprétés par Anthony Bajon et Raphaël Quenard, ndlr) me semblait mythique dans sa portée puissante et universelle…

P. C. : A partir de là tous les films témoignent d’une dimension mythique…

Dans la mesure où Chien de la Casse s’affranchit davantage de son contexte que – par exemple – Little Palestine, Journal d’un Siège

P. C. : Je comprends ce que vous voulez dire. Mais précisément dans le cas de Little Palestine que j’ai découvert lors des pré-sélections pour cette sixième édition le film m’a fait l’effet d’un film très dur mais en même temps complètement universel, et ce telle une évidence. J’ai eu le sentiment de littéralement ressentir jusque dans ma chair cette idée d’universalité. C’est une oeuvre très puissante.

A gauche : la monteuse et membre de l’association LMA Pauline Casalis.

Merci. J’avais une autre remarque concernant les monteuses et monteurs qui se chargeront de présenter les oeuvres en aval de la projection. Il m’a semblé qu’une monteuse parmi les figures de la programmation semble presque « systématique » car « attitrée » à un réalisateur. Je pensais à la cheffe monteuse de Philippe Faucon…

P. C. : Ah oui, Sophie Mandonnet ! (un temps). Je ne dirais pas que c’est systématique, je dirais plutôt qu’il s’agit d’une collaboration de longue durée, ce qui arrive régulièrement dans ce métier. Parfois au contraire certains cinéastes ont envie de changer et de travailler avec des monteurs différents, parfois l’entente réciproque permet de laisser perdurer la collaboration. Tout dépend, de fait. Mais effectivement la collaboration entre Sophie et Philippe Faucon (dont le film Les Harkis fut présenté lors de cette sixième édition, ndlr) date de plus d’une vingtaine d’années, alors tant mieux pour eux (rires).

Je voulais revenir sur ce cas de figure car je me demandais simplement : Sophie Mandonnet peut-elle être considérée comme la seconde responsable de l’écriture des films de Philippe Faucon ? A la différence que peut-être d’autres monteurs seront davantage au service de l’écriture initiale d’un long métrage donné, de par leur participation ponctuelle et non régulière avec un réalisateur ou une réalisatrice…

M. M. : Je veux bien répondre à cette question. Lorsque l’on monte un film nous ne sommes pas au service d’un réalisateur mais bel et bien d’un film, que la collaboration soit nouvelle ou durable. Nous mettons notre sensibilité, notre technique et notre esprit au service d’un récit filmique qui est porté au départ par un cinéaste puis qui passe ensuite par l’énergie du tournage et des comédiens (si c’est une fiction) ou des intervenants (dans le cas du documentaire). Lors d’une première collaboration nous apprenons à connaître l’Autre et à saisir ce qui l’anime, ce qui le meut et ce qu’il veut traduire à travers son film ; dans le cas d’une longue collaboration il y a de toute évidence un acquis mais aussi une entente et l’idée que la façon de travailler de l’un convient à l’autre. Mais Sophie travaille avec d’autres réalisateurs que Philippe Faucon est il est fort probable qu’elle travaille différemment avec eux…

P. C. : Et je pense aussi qu’elle s’adapte à chaque nouveau film de Philippe Faucon. Ce n’est pas parce qu’ils travaillent ensemble depuis de nombreuses années qu’ils se sont installés dans une certaine forme de routine. Chaque film doit nécessiter une nouvelle écriture, une nouvelle méthode de travail, une façon différente de trouver sa narration propre. Remettre à chaque fois l’ouvrage sur la table, en quelque sorte…

Je voulais justement vous poser une dernière question à ce sujet Mathilde : j’ai récemment vu deux des longs métrages de Patricia Mazuy sur lesquels vous avez travaillé, à savoir Sport de Filles et Paul Sanchez est revenu ! . On constate effectivement que dans ce cas précis vous n’êtes pas du tout au service de la réalisatrice mais bien au service de l’oeuvre, les deux films étant très différents dans leur découpage. Une certaine linéarité dans le cas de Sport de Filles, et une impression étrange et presque dissonante dans le cas de Paul Sanchez

M. M. : Dans le cas de Patricia nous pouvons typiquement parler d’une longue collaboration, je crois que nous avons travaillé sur pas moins de cinq films ensemble. On s’est rencontrées sur un film assez spécial intitulé Basse Normandie, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction qu’elle a co-réalisé avec Simon Reggiani en 2003 il me semble. Ce fut un montage de longue haleine, et nous avons appris à nous connaître et à travailler ensemble. Ce que vous dites est donc l’illustration exacte de ce que je disais précédemment : on travaille pour un film, et chaque film nous pose des questions différentes et nous oblige à travailler différemment. Nous avons peut-être – dans l’absolu – une manière de monter qui nous est propre, mais chaque film nous impose sa logique de montage, et Patricia est quelqu’un qui a la chance et la qualité de faire des films très différents, elle remet en jeu son Cinéma à chaque nouveau projet, comme en témoigne son dernier long métrage Bowling Saturne qui propose lui aussi un tout autre regard. C’est dangereux et drôle en même temps, et l’on se doit de travailler à chaque fois de façon inédite.

Propos recueillis par Thomas Chalamel le 9 mars 2024. Un grand merci à Mathilde Muyard et à Pauline Casalis ainsi qu’à Paul Chaveroux pour avoir permis la réalisation de cet entretien.

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