American Vandal : Autopsie d’un mockumentaire

A l’occasion de ses 30 ans, le cultissime C’est arrivé près de chez vous bénéficiait d’une ressortie au cinéma ce mercredi 9 novembre. Tout a déjà été dit sur ce tour de force comique : un documentaire parodique (aussi appelé mockumentaire) en noir et blanc, mettant en scène le jeune Benoît Poelvoorde dans le rôle d’un tueur en série. L’équipe qui réalise le faux documentaire va suivre ce serial killer dans sa routine meurtrière et faire découvrir au spectateur ses techniques et son intimité. A la sortie du film en 1992, le genre du mockumentaire n’était pas encore quelque chose d’admis comme il l’est aujourd’hui, même si quelques rares œuvres avaient déjà initié les codes de ce nouveau style filmique avant lui. Cet anniversaire est l’occasion de voir ou de revoir ce film qui, grâce à la créativité de ses réalisateurs Rémy Belvaux, André Bonzel et Poelvoorde lui-même, continue de faire rire mais aussi de mettre parfois mal à l’aise devant ce personnage abject et décalé, incarné avec brio par l’acteur Belge.

Même s’il n’est pas le premier, ce film a néanmoins contribué à la démocratisation du mockumentaire. Depuis les années 2000, les documentaires parodiques déferlent sur le grand et le petit écran : The Office (la version britannique d’origine créée par Ricky Gervais en 2001, et reprise en version américaine avec Steve Carell en 2005) ; Borat (réalisé par Larry Charles en 2006, avec Sacha Baron Cohen) ; Derek (encore de et avec Ricky Gervais, 2012) ; Vampires en toute intimité (créée par Taika Waititi et Jemaine Clement en 2014) pour n’en citer que quelques-uns. Présent sur tous les fronts, Netflix a su s’approprier ce genre pour proposer aussi des petites pépites à dévorer, tels que les récents Death to 2020 et Death to 2021 ou encore la série mise à l’honneur dans ce dossier : American Vandal.

American Vandal est une série en deux saisons indépendantes, prenant la forme d’un documentaire parodique et créée par Dan Perrault et Tony Yacenda en 2017. Dans la première saison le postulat de départ est simple : Dans le lycée de Hanover High School, les vingt-sept voitures du corps enseignant ont été vandalisées. Les professeurs sont choqués de découvrir d’énormes pénis peints à la bombe rouge sur leur véhicule. Dylan Maxwell (interprété par Jimmy Tatro), un lycéen turbulent et fauteur de troubles, est le principal suspect et est immédiatement accusé d’avoir commis ce délit. Mais un autre élève, Peter Maldonado (Tyler Alvarez), est convaincu que quelque chose cloche dans cette accusation. Aidé de son ami Sam Ecklund (Griffin Gluck), les deux lycéens vont tout faire pour prouver l’innocence de Dylan en réalisant un documentaire d’investigation qui les rendra célèbres dans leur établissement.

Je vais être franc, il y a un nombre incalculable de raisons de regarder immédiatement ce petit bijou. Pour commencer, on est en présence d’une leçon de maîtrise de ton. Malgré une situation de départ qui peut paraître triviale ou inintéressante, les créateurs arrivent à nous faire adhérer à leur jeu dès les premières minutes du premier épisode, et cela grâce à une technique très simple : tout est au premier degré. Cette série, malgré sa nature de parodie de documentaire criminel (parodie explicite de Making a Murderer et Serial), n’est pas vraiment drôle à proprement parler. Vous n’allez pas vous étouffer de rire, mais vous allez être capté par le sérieux des personnages qui vont s’évertuer à découvrir qui diable a pu dessiner ces d*cks (vous entendrez ce terme à peu près un million de fois, pour votre plus grand plaisir). Ce récit narré au premier degré, porté par un jeu d’acteur exemplaire, donne un véritable crédit à cette blague qui n’en est pas une. Les créateurs et leurs personnages confirment une leçon essentielle du cinéma : la comédie c’est sérieux. Et c’est là tout le génie du ton de cette première saison qui gagne notre adhésion car nous aussi nous voulons à tout prix découvrir la vérité. Ce qui m’amène au second coup de force de American Vandal : son scénario.

On en a vu des séries policières, des enquêtes, des thrillers psychologiques qui nous retournent le cerveau et qui nous laissent bouche bée à la fin (« QUOI ! C’était lui depuis le début ? »). Étant quelque chose de particulièrement prisé au cinéma et dans les séries, la forme de l’enquête devient donc de plus en plus difficile à renouveler et à réinventer. Aucun problème pour Perrault et Yacenda. A chaque épisode et jusqu’à la dernière seconde de la saison 1, on passe notre temps à changer de bord, élaborer une nouvelle théorie ou encore rester pantois face à un nouvel indice ou une révélation. Les deux créateurs nous baladent dans tous les sens et élaborent un récit extrêmement complexe avec beaucoup de retournements de situation, sans jamais que cela ne s’essouffle ou ne perde notre adhésion. Ils nous donnent à voir une galerie de personnages suspects tous plus croustillants les uns que les autres et la forme du mockumentaire ajoute une plus-value essentielle à ce scénario et au ton très premier degré de la série.

Mais au-delà de sa forme de faux documentaire, pourquoi est-ce que American Vandal touche en plein dans le mille ? Nous trouverons la réponse dans le contexte social qu’elle traite. Au-delà d’une enquête de lycéens qui semble politiquement inoffensive, American Vandal est une série qui questionne les fondements du système judiciaire américain. En vérité, la série parle d’un ado qui a tout de l’image classique du cancre et dont l’accusation et le renvoi, même à tort, ne dérangeraient personne. De la bonne justice expéditive, sans preuve et juste portée par « c’est ma version contre la tienne ». Une justice typiquement américaine qui fonctionne à partir d’un constat simple mais alarmant : quelle histoire plaira le plus au juré ? La notion de vérité devient alors trouble, embaumée dans un tissu soyeux de storytelling. Un enseignant respecté et victime de vandalisme l’emportera toujours sur un cancre fauteur de troubles. Les personnages de Peter et Sam, grâce à leur documentaire, sont là pour faire un rappel à l’ordre : même si tout indique qu’il est coupable, il faut le prouver. Davantage que le système judiciaire américain, c’est aussi la dure réalité des apparences et des préjugés, extrêmement présente dans nos écoles, qui est questionnée dans cette série. Sans aller jusqu’à un acte extrême de vandalisme, combien d’élèves ont été victimes d’injustice sur le simple fait de leur apparence ou des préjugés qu’ils suscitaient chez les autres ?

En clair, American Vandal est un mockumentaire faussement naïf, dans lequel l’humanité et l’empathie sont développées en chacun des personnages, tordant complètement nos propres préjugés. Elle vient habilement rappeler que chaque acte ou parole a des conséquences et qu’il faut parfois faire preuve de mesure et de recul. Donc, retenez bien : la prochaine fois que vous dessinez des b**es à la bombe de peinture sur les voitures de vos profs, pensez à mettre un masque contre les vapeurs toxiques.

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