Cow : Le martyre des mères

Cow, le nouveau film d’Andrea Arnold (notamment lauréate de trois prix du jury à Cannes : en 2006 pour Red Road, en 2009 pour Fish Tank et en 2016 pour American Honey) sort le mercredi 30 novembre en France . Ce documentaire nous fait partager l’épouvantable sort de vaches dans une ferme laitière. Il est une vibrante allégorie de l’asservissement de la nature par un système d’une froideur telle qu’il n’a plus rien d’humain.

Dès le début du métrage, le ton est donné. Les mugissement plaintifs et colériques font office d’argumentation implacable contre la maltraitance animale que constitue l’élevage des vaches laitières. Nul besoin de commentaire, ni de texte informatif (on peut songer à l’admirable Bovines, film d’Emmanuel Gras, sorti en 2012) : l’horreur est là, évidente et on se la prend littéralement en pleine figure quand une bovine heurte malencontreusement une courageuse caméra. On est en effet au plus près de ces tendres bovines lécheuses, comme des prisonniers infiltrés, au risque de l’écrasement dans ces espaces exigus. Les nombreux gros plans des « visages » maternels sont autant de franchissements du quatrième mur et de prises à témoins de l’infernal quotidien de ces suppliciées des temps modernes. Seule une musique (extra ou intradiégétique, le doute est permis) souvent en discrépance par son caractère entraînant (mais parfois en lien avec le registre élégiaque) fait office de discours satirico-ironique contre l’insouciance criminelle du traitement infligé.

La principale protagoniste du film, Luma (amusante onomastique que cette « louma » au regard désabusé) est l’incarnation d’une tragique destinée laitière. Son caractère mutique et paisible ne se fissure qu’au cours des multiples naissances qui sont autant de déchirantes séparations forcées. Cette mère protectrice est vaincue par une universelle douleur. Ses appels entravés à un nouveau-né déjà loin (les doigts se substitueront aux pies), à l’orée d’une fin programmée, resteront longtemps dans nos mémoires. Le rêve d’une utopie familiale se perd dans d’ocres brumes au son poignant de « I am waiting for you » tiré de la chanson Milk de Garbage.

Comme les ânes de Au Hasard Balthazar de Robert Bresson (1966) et du récent Eo de Jerzy Skolimowski, ces placides bovines semblent l’incarnation d’une certaine forme de sagesse, d’une fascinante abnégation face à l’outrage quotidien qu’elles endurent. « Quand je regarde Luma, notre vache, c’est notre monde que je vois à travers elle. » a déclaré Andrea Arnold. Cette identification empathique n’a rien à voir avec celle, frelatée des bourreaux préservant une sorte d’humanité compassionnelle à coups de « good Girl », « gal » et autres « you’re free » quand ils s’adressent aux bêtes qu’ils dirigent. Terrible est le stigmate pour nos saintes vaches : leur corps ne cesse d’être percé et flétri par le fer et autres instruments que l’on croirait appartenir à l’appareillage des tortures pratiquées par l’Inquisition.

Toute la mécanique de l’oppression du vivant est illustrée par la permanence de ces épouvantables structures d’enfermement. L’empêchement, pour ces animaux si avides de liberté et de vagabondage, est manifeste dans les fréquents travellings d’accompagnement qui nous parcourir, aux côtés des bovins, des coursives étroites, tels des chemins de croix sans autre issue qu’une nouvelle cellule. Tout n’est que barreaux, grillages, cages… Les grincements métalliques ont remplacé les doux accents de la nature. Pour retrouver un peu de fraîcheur dans la froideur carcérale, il faut tendre le cou afin de voir au-delà du mur. Mais l’espoir du retour à l’Eden originel est hors de portée et il faut se résoudre à un horizon claustrophobique.

Pourtant, il y a quelques échappées belles qui sont autant de fugaces miracles joyeux et dansants, mettant cruellement en évidence la cruauté absolue qui gouverne la quasi-totalité d’une vie de vache. Andrea Arnold adore filmer la nature et parvient à partager ce bonheur avec les spectateurs. Nous nous délectons, après tant de passages éprouvants, de ce silence seulement interrompu par de savoureux broutages et de facétieux insectes. Quel plaisir, partagé avec nos bovines qui semblent renaître, que cette liberté retrouvée (malgré quelques insignifiants grillages) dans de providentiels plans d’ensembles verdoyants ! Quelle épiphanie de tous les sens au beau milieu de la nature filmée à contre-jour, du vent dans les feuilles et du flou herbeux ! Seule consolation nocturne après le retour à la ferme, la contemplation des étoiles et des feux d’artifice, telle une muette prière à travers les interstices du malheur.

Cow est un documentaire essentiel, complément bienvenu de films plus didactiques sur le traitement des animaux d’élevage par l’industrie alimentaire. Ce temps passé aux côtés de Luma et de ses congénères est une fable dont la morale pourrait être « plus jamais ça ».

1 Commentaire

  1. Horrible, oui et le mot est falble, tout ce que l’humain fait subir à ces êtres animaux sans se soucier des souffrances mentales et physiques. la maudite race humaine me fait honte.

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