Athena : Rances et insoumis…

Cliptomane chevronné, cofondateur du collectif Kourtrajmé et rejeton du grand Costa-Gavras Romain nous revient aujourd’hui avec son troisième long métrage, exclusivité Netflix disponible sur la plate-forme depuis le vendredi 23 septembre : l’ambitieux mais raté Athena, hénaurme film annoncé comme l’une des plus incroyables prouesses techniques de la décennie en cours, reconstitution d’un soulèvement humain au coeur de la cité-titre généré par une prétendue bavure policière ayant causé la mort du frère benjamin d’une fratrie issue de l’immigration.

Sur le papier Athena promet en quelque sorte ce que l’on appelle – de façon un rien galvaudée et réductrice – un authentique « film de banlieue » tenant lieu sur l’esplanade dallée d’une cité fictive au nom de déesse grecque pour ne s’en tenir qu’ici, là, dans le milieu naturel d’une jeunesse laissée-pour-compte en soif de revanche et de justice affrontant le camp adverse des CRS et des policiers. D’emblée Romain Gavras expose la programmatique technique de son projet : celle d’une immersion voulue proche de l’interaction entre le spectateur et les sujets filmés, inaugurant son métrage par un plan-séquence au demeurant bluffant et – de fait – virtuose ; caméra ultra-mobile, fluidité d’une foule de figurants parfaitement orchestrée par le cinéaste, effets de manche tapageurs et provoc’ bien comme il faut (ici un cocktail Molotov galvanisant la haine des gars de la téci, là un drapeau tricolore fièrement arboré par une caillera se faisant visiblement une piètre image de la France, et cetera…). Dix minutes durant le réalisateur nous plonge dans un manège en forme de roller-coaster particulièrement brillant à défaut d’être pertinent, ou même simplement légitime… Une légitimité qui finira peu à peu par disparaître complètement d’un film résolument limité dans sa portée, et surtout proprement ininterprétable dans son discours.

Pas à pas Romain Gavras présente sa poignée de personnages, autant d’avatars réduits à leur fonction narrative et dépourvus de la moindre épaisseur psychologique ou même simplement dramaturgique. Il y a – au centre de cette guerre déliquescente filmée à la manière d’un chaos réorganisé – le jeune Karim, instigateur de l’insurrection visiblement bouleversé par la mort récente de son petit frère Idir et interprété par Sami Slimane sans réelle finesse ni complexité. Haineux et entêté dans sa quête monomaniaque de rétablir la balance en contrepartie du nom des responsables de la mort de Idir cette figure n’est rien de moins qu’un stéréotype scénaristique susceptible de nourrir un film mettant un point d’honneur à instrumentaliser la banlieue à des fins esthétisantes.

Aux côtés de Karim les autres personnages ne sont pas en reste en termes de stigmatisation et d’idées reçues sur l’image que le public peut se faire de la vie d’un quartier suburbain : un frère musulman fricotant avec le djihad aux allures de reclus ténébreux (Alexis Manenti, logiquement récupéré par Romain Gavras des Misérables de Ladj Ly, lui-même coproducteur du film dont il est ici question, nldr), un frère incompris par ses pairs ayant rejoint les ordres de la milice nationale (Dali Benssalah, crédible au départ puis finalement plus du tout) ou encore un frère aîné baignant dans le business du stup’ depuis belle lurette, campé par un Ouassini Embarek surjouant comme pas permis… De l’autre bord le cinéphile pourra remarquer la présence de Anthony Bajon interprétant un CRS reconverti en bouc émissaire par la horde de gavras… de gavroches mettant à feu et à sang la cité d’Athena ; habituellement excellent le jeune comédien se voit ici dans la nécessité d’incarner une figure proche de la coquille vide, faisant passablement le job mais décevant comme la majeure partie d’un casting jouant sur tous les poncifs du genre.

Peu ou presque rien de foncièrement « authentique » dans le dernier film de Romain Gavras. Ici pas de discours délibérateur façon La Haine (chef d’oeuvre dans lequel Mathieu Kassovitz parvenait à dépeindre avec style et et intelligence le quotidien de Saïd, Vinz et Cousin Hub’ dans leur ennui mâtiné de burlesque, témoignant d’un argument initial très proche de celui d’Athena), là pas de retranscription organique et urgente des violences perpétrées par la jeunesse des banlieues meldoises du très réussi Ma 6-T va crack-er (film à notre sens terriblement mesestimé, réalisé par un Jean-François Richet aux convictions marxistes indubitables et au style mal taillé en parfait accord avec son propos prolétaire, nldr) : simplement une virtuosité amenant Gavras vers les chemins douteux d’un cinéma très canada dry, « film de banlieue de luxe » noyé dans des choeurs grandiloquents et des plans d’ensemble incessamment filmés au drone pour mieux susciter le caractère très VR de son projet.

Souvent attendu au tournant de la controverse pour ses précédents films (le racisme intentionnellement prêté au superbe clip furax Stress à la fin des années 2000, le communautarisme et l’amoralité fièrement affichés du très bon Notre Jour Viendra, le cynisme loufoque du sympathique Le Monde est à toi…) Romain Gavras avance ici d’un grand pas dans l’ambivalence de son discours, semblant montrer ces petits monstres assoiffés de haine comme de potentiels modèles à suivre : policiers très très méchants, zone de non-droit dans son bon droit, et patati et patata… A bien y revoir il est bien difficile de ne pas ressentir de l’antipathie pour cette jeunesse désœuvrée, livrée à elle-même certes, mais à l’esprit revanchard indissociable d’une certaine forme de barbarie exempte de tout discours réellement cohérent. Abdel, Mokhtar et Karim ont perdu leur petit frère, soit, mais les proportions que prend cette interminable émeute mêlée de bruit et de fureur empêchent d’y croire ne serait-ce qu’à moitié.

Une France entière qui sombre dans les marasmes d’une guerre civile totale (si l’on en juge par les médias présentés par le cinéaste par le biais d’un truchement plutôt astucieux, ndlr) suite à la bavure d’un prétendu représentant de l’ordre est une chose à laquelle nous, spectateurs, avons bien du mal à croire et/ou à simplement envisager. Mettons éventuellement ceci sur le compte d’un certain déni de réalité… toujours est-il que cet Athena belliciste et prétentieusement tragique demeure et restera trop sur-filmé pour rendre grâce aux peuples appelés à se soulever par un Romain hésitant entre propos révolutionnaire et formalisme chic et creux. Dieu que nous préférions l’époque à laquelle Gavras vomissait les roux… Tristesse.

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