Dalva : L’enfance volée

Ce fut l’un des chocs émotionnels de la quinzième édition du FFA ; également récompensé du prix de la critique internationale au dernier Festival de Cannes le premier long métrage de Emmanuelle Nicot sort donc le mercredi 22 mars de cette année, à la lisière d’un printemps débutant sur les chapeaux de roue. Et pour cause : Dalva – du haut de ses 85 petites minutes – est de cette catégorie de films laissant le spectateur littéralement sur le carreau, véritable uppercut moral et dramatique tenant lieu dans une succursale de l’Aide Sociale à l’Enfance de la région ardennaise et qui suivra à la trace son héroïne-titre…

Dalva Keller a 12 ans mais détient l’allure d’une femme. Dès les premières secondes du métrage cette jeune fille refuse d’être séparée d’un père qu’elle appelle tendrement Jacques, homme lui ayant été rapidement dérobé par des instances judiciaires éhontément criminelles, la privant d’un amour plus puissant que tout autre… S’ensuivra une longue traversée du désert durant laquelle Dalva (Zelda Samson, incroyable de justesse, de vulnérabilité et de force mêlées, qui s’impose comme l’une des révélations majeures de cette année 2023, ndlr) devra composer avec les restrictions du foyer de l’ASE dans lequel elle tentera de supporter sa camarade de chambre Samia (Fanta Guirassy, superbe en adolescente meurtrie et délibérément insolente), une jeune fille d’origine congolaise au franc-parler bien prononcé qui finira peu à peu par accepter cette figure aux allures de poupée doucereusement glamour.

On comprend assez vite la terrible réalité dépeinte avec force et justesse par Emmanuelle Nicot : Dalva est depuis son plus jeune âge la victime d’un père incestueux et pédophile, éduquée dans l’aberration morale et familiale la plus ignoble et la plus erronée. Résolument sous emprise, séquestrée par son géniteur aimant maladivement à en faire l’égale d’une femme ou d’une compagne unique et sensuelle Dalva rejettera dans un premier temps tout ce qui fera barrage à cet amour secret mais désespérément précieux : les éducateurs du foyer (principalement représentés par l’excellent Alexis Manenti, acteur que nous devrons décidément suivre de très près dans les années à venir…), les autres enfants et adolescents livrés à eux-mêmes de l’instance sus-citée et le système scolaire prohibant une féminité que la jeune fille juge bon d’exprimer au nom d’une idylle pourtant malsaine, illusoire et moralement inacceptable.

Taillant dans le chou du réel, vériste et savamment documenté Dalva est une première oeuvre de cinéma brillante et captivante, ne perdant jamais de vue son héroïne au point d’en emprunter le regard et la subjectivité. Vu à travers les yeux de l’adolescente le film de Emmanuelle Nicot en demeure davantage dur et éprouvant, nous invitant à tenter de comprendre ce qui a amené cette figure fragile et profondément manipulée à accepter l’impensable au seul nom d’une normalité n’appartenant qu’à elle-même. La cinéaste belge n’en évite pas pour autant l’espoir ni la douceur à l’égard de sa figure titulaire, montrant Dalva de plus en plus réceptive aux frasques de Samia et sa bande à mesure que le récit avance, s’encanaillant tout en acceptant les règles du foyer et du collège et même de renouer avec une mère laissée pour absente à l’orée du métrage. Singulier et douloureux Dalva est un premier essai en forme de beau tour de force émotionnellement brutal mais plein de bienveillance à l’encontre de toutes et de tous ces jeunes enfants auxquels nous aurions volé une innocence à jamais perdue, leur permettant néanmoins de se reconstruire avec courage et résilience. Un film indispensable.

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