Le monde est à toi (La vie ne m’apprend rien)

Le nouveau film de Romain Gavras, huit ans après son très controversé « Notre jour viendra », aura été l’un des outsiders du dernier festival de Cannes ! Invité par la prestigieuse « Quinzaine des Réalisateurs » et doté d’un trailer électrisant qui promettait une œuvre ultra stylée formellement, on pouvait dire qu’il s’agissait de l’un des films les plus attendus du Festival ! Inutile de tourner autour du pot, il s’agit malheureusement, comme souvent dans ce genre de cas, d’une déception à la hauteur des espoirs placés en lui …

Le personnage principal, François, est un petit dealer pas bien méchant, nourrissant un rêve, devenir le distributeur officiel de Mr. Freeze au Maghreb. Toutes ses économies parties en fumée à cause de sa mère, il aura l’occasion de se refaire avec un plan à priori parfait en Espagne, mais son entourage pour le moins toxique va lui compliquer la tâche, avec des conséquences se voulant cocasses pour le spectateur, et déplorables pour le personnage.

A priori, rien de mal à vouloir traiter sous l’angle d’une comédie mi-tendre, mi-féroce, de sujets propices aux débordements alarmistes, tant abordés dans un certain cinéma français social et naturaliste. Rien de tel ici, le cinéaste assumant au contraire une stylisation du réel, héritée du clip vidéo, qui peut en agacer certains, mais s’avère pourtant plutôt séduisante à l’œil, avec des plans clairement bien pensés et composés, même si cet aspect ne sera pas aussi marqué que dans le court teaser qui misait essentiellement sur les plans qui tuent. Au final, si la mise en scène s’avère n’être pas si audacieuse que ça, elle a le mérite d’être efficace et rythmée ! Le problème principal se situerait plutôt dans la caractérisation des personnages. Si le protagoniste principal, interprété par le formidable Karim Leklou, est rapidement attachant face à cette mouise lui collant à la peau à cause d’un entourage dont personne ne voudrait, à commencer par sa mère indigne jouée par l’impériale Isabelle Adjani que l’on a plaisir à retrouver avec une telle gouaille ; il n’en est pas de même pour ceux l’entourant, assez stéréotypés « Kaïras » de banlieue comme on en a si souvent subies dans des films clairement plus bas de gamme que ça ! Il en est ainsi du personnage féminin, interprété par Oulaya Amamra (la révélation de Divines), dont est raide dingue notre pauvre héros, à l’écriture faiblarde à base de langage grossier genre « je me comporte comme un bonhomme pour pas me faire maltraiter par les mecs », et qui s’avère donc au final totalement contre productive au niveau de l’identification. Difficile de s’attacher à un personnage si antipathique dont on se demande bien comment le personnage de Leklou peut encore s’y accrocher ! Et celle-ci s’avère finalement bien douce à côté des deux racailles de service qu’il se coltine à côté, continuellement hargneuses et violentes, dont les dialogues ineptes aggravent encore le cas. On sauvera Vincent Cassel, assez drôle et inattendu dans le rôle d’un ancien beau-père inoffensif mais à côté de la plaque, voyant des Illuminati partout. Un running gag certes amusant au début (bien que gratuit), mais qui à force d’être répété sans raison d’être finit par s’avérer lassant sur la durée. De plus, le fait que celui-ci parle dans sa barbe avec une diction incompréhensible, même si cela est voulu, finit par se retourner également contre le film.

Mais le plus gros problème sera encore ailleurs. Car on sent bien que Gavras souhaite pousser son film plus loin que la simple comédie gouailleuse pour public adolescent, en abordant des thèmes d’actualité sans clichés bien pensants, fidèle à son image de provocateur pouvant hérisser les poils des plus pointilleux. Ici, il s’attaque donc à la crise des migrants avec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, et même si l’on ne se risquera pas à un discours moralisateur cherchant à voir quelque chose de nauséabond dans ce qui est avant tout une comédie, on sera tout de même en droit de s’interroger sur la réelle nécessité d’intégrer un sujet aussi chaud et non propice à priori à la blague de mauvais goût, dans un récit qui n’avait pas franchement besoin de ça pour se suffire à lui-même. Pour le coup, on peut dire que le cinéaste a eu les yeux plus gros que le ventre, et a semble-t-il voulu penser bien haut sur des sujets peut-être trop grands pour lui, qui méritaient plus d’égards que ce que nous voyons au final. On jettera donc un voile pudique sur le rôle alloué au trublion François Damiens, dont la courte apparition semble franchement à côté de la plaque vu les dialogues qu’on lui met en bouche.

A chercher à voir plus grand que son synopsis de base, Gavras s’emmêle tout seul les pinceaux, en mélangeant un peu tout et n’importe quoi, de manière assez irresponsable, car son film s’adresse avant tout à un public adolescent qui risque, sans jouer une fois de plus les clichés sur l’incapacité des jeunes à réfléchir sur des sujets graves, de passer à côté de l’irrévérence du propos, et de prendre au premier degré des situations un peu limites, en s’esclaffant de manière irréfléchie. Il est tout de fois permis, de n’y voir que l’équivalent d’une production Besson de bas étage qui aurait décidé d’un coup de réfléchir bien fort, au-delà du raisonnable.

On voit bien certaines tentatives pas si bêtes que ça, cette recherche d’une certaine beauté dans la laideur, comme ces scènes en Espagne dans une ville aberrante où l’on croirait voir Las Vegas, évoquant un peu le travail de Harmony Korine sur Spring Breakers ! Mais cela tombe au final un peu comme un cheveu sur la soupe, l’impression première d’un film mal maîtrisé et pensé, persistant au final, au point d’annihiler chaque situation se voulant marquante et évocatrice. On pourra également, pour terminer, évoquer cette soundtrack certes séduisante (on ne se plaindra jamais d’entendre du Balavoine ou du Toto) mais dont certains titres frôlent l’effet juke box, façon Guillaume Canet sur les petits mouchoirs, où le cinéaste donne l’impression de nous faire entendre sa compil perso du moment. Au-delà du plaisir fou d’entendre à fond « Africa » au cinéma, il faudra nous expliquer le rapport qu’entretient le titre avec les images projetées. L’impression ultime de voir le film d’un jeune cinéaste encore un peu immature, se faisant plaisir et pensant faire preuve d’audace à travers des effets finalement assez datés.

Au final, rien de honteux ou antipathique ici,  juste une impression de gâchis, face à un film au potentiel autrement plus grand que cette toute petite chose insignifiante que l’on a en fin de compte. Malgré un Karim Leklou attachant en gentil garçon banal cherchant à se fabriquer une belle vie loin des galères de sa cité, et une Isabelle Adjani, redisons-le tant cela fait plaisir, qui n’a rien perdu de la flamboyance de son jeu d’antan, à tel point que l’on se demande pourquoi il n’y a pas plus de cinéastes cherchant à lui offrir de beaux rôles ; le cinéaste a du mal à faire ressortir l’humanité de personnages dont on ne remet pourtant à aucun moment en cause la sympathie qu’il a pour eux. Il est tout simplement dommage qu’il n’en soit pas de même pour le spectateur. La seule chose qui vient à l’esprit à l’issue de la projection est « huit ans pour ça ? « !

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