Blonde : Norma Jeane et son double

C’est le film événement de cette rentrée et il est tristement sur Netflix (disponible ce jour, le 28 septembre), la plate-forme au N rouge ayant été la seule assez audacieuse (et ce malgré quelques combats internes entre eux et la vision finale d’Andrew Dominik) pour porter et distribuer Blonde, un film que l’on imagine effectivement mal taillé pour une sortie salles à l’heure où tout ce qui nous vient d’Amérique n’est quasiment que franchises, suites, reboots et spin-offs. Blonde est en effet un film aussi exigeant que l’est le roman dont il est adapté, biographie fictive écrite par Joyce Carol Oates publiée pour la première fois en 1999.

Biographie fictive, bien que richement documentée, Blonde est le récit éprouvant de Norma Jeane Baker et de son double créé de toutes pièces pour les projecteurs hollywoodiens : Marilyn Monroe. L’histoire d’une vie passée à fantasmer sur un père qu’elle n’a pas connu, l’histoire d’une vie passée à tenter d’exister pour elle-même là où les hommes ne voyaient qu’une blonde sexy, une machine à fantasmes qui ne pourrait donc pas exister autrement que par leurs regards concupiscents. On sait depuis longtemps, notamment par la publication de ses poèmes dans le très beau Fragments (disponibles aux éditions Points) que Marilyn Monroe était une femme d’une grande sensibilité, d’une intelligence et d’une acuité remarquables, bien au-delà que ce que le grand écran a bien voulu la cantonner, une femme prisonnière de son image.

C’est donc à toute la mythologie entourant Marylin Monroe que Blonde s’attaque et de fait, il sera essentiellement question de Norma Jeane Baker ici. Adaptant fidèlement le roman, Andrew Dominik décide même de faire voler sa structure linéaire en éclats, travaillant plus sur le sensoriel (le cinéma de David Lynch n’est pas loin) que sur le narratif. Il est d’ailleurs certain que si Blonde est un film exigeant, il le sera encore plus pour quiconque n’ayant pas lu le roman original, celui-ci permettant de fixer un point de repère et surtout de savoir à quoi s’attendre car le voyage, étiré ici à 2h45 n’est pas tendre. Interdit aux moins de 18 ans sur Netflix suite au refus de Dominik de revoir son montage, Blonde est une plongée anxiogène au plus près de Marylin Monroe, ne nous épargnant rien des sévices qu’elle a subi toute sa vie, de ses débuts à la Fox où son entretien chez Zanuck se finit à genoux sur la moquette du bureau ou de sa relation avec Kennedy, loin d’être aussi glamour qu’on a bien voulu le croire.

En collant au plus près de son héroïne, Blonde nous enferme avec elle, dans son aliénation au monde des projecteurs et à sa persona qu’est Marilyn Monroe, celle pour qui elle a tant sacrifié (et pour quel résultat au final ?). Ana de Armas est donc logiquement de quasiment tous les plans et il faut saluer le travail remarquable de l’actrice qui crève l’écran, interprétant de façon troublante une Marilyn plus vraie que nature avec un mimétisme impressionnant qu’elle parvient à dépasser très vite pour offrir une interprétation tout à fait personnelle et intense, donnant chair aux tourments de son personnage avec une puissance particulièrement émouvante.

C’est que le film est éprouvant, on l’a dit car Andrew Dominik ne dévie jamais une seule fois de sa trajectoire et c’est donc pendant 2h45 que nous allons souffrir avec Marilyn Monroe. Pour illustrer ce parcours erratique et presque schizophrénique, le cinéaste multiplie les effets de style, le film étant comme un kaléidoscope géant des blessures de son héroïne : séquences en couleurs, en noir et blanc, en grand angle, en plan subjectif… Les effets de style se multiplient dans une esthétique sublime (avec en prime une nouvelle belle partition musicale de ses compères Nick Cave et Warren Ellis) mais dans un souci de cohérence que l’on peine à saisir. Si la narration non-linéaire et la mise en scène protéiforme viennent donner une impression de chaos à l’ensemble en pleine cohérence avec la psyché de son héroïne, le nombre de fois où Dominik varie les angles et les styles parfois au sein même d’une seule séquence donnent une impression de trop-plein.

C’est en effet à de nombreuses reprises que le film en fait trop, parfois presque auto-satisfait et pas toujours digeste. Le chef-d’œuvre espéré n’est donc pas là (Dominik ne fera donc jamais mieux que son fabuleux L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, l’un des meilleurs films des années 2000) mais le résultat est cependant beaucoup trop audacieux pour ne pas être salué. C’est un film qu’il fallait faire tant c’est un formidable et courageux portrait sur l’aliénation mentale et il n’y avait certes qu’un cinéaste de la trempe de Dominik pour en venir à bout. On ne peut donc qu’apprécier la puissance artistique du film et saluer son existence même qui paraît presque aberrante dans le paysage cinématographique américain actuel. La façon dont Blonde tient sa ligne directrice dans toute sa durée, confrontant le spectateur à ses propres pulsions scopiques en le faisant basculer derrière le miroir et en montrant les souffrances de Norma Jeane Baker est absolument admirable et achève de faire du film une sorte de monstre de cinéma auquel il est indispensable de se confronter.

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