Les Méchants : Soyons sympas avec Les Méchants !

Le 8 septembre 2021 était sorti le premier film de Mouloud Achour, coréalisé avec Dominique Baumard. Les Méchants nous fait partager la journée à moult rebondissements de Patrick et Sébastien métamorphosés en terrorristes pour les besoins d’une chaîne avide de sensationnel décérébrant. Le film est à présent disponible en DVD, VOD et téléchargement .

Le titre, derrière son apparent manichéisme, met en évidence une volonté des réalisateurs de relativiser les concepts de bien et de mal, dans le cadre d’une société contemporaine où les rivalités sont sans cesse exacerbées et montées en épingle pour créer le buzz, une société où chacun peut devenir le « méchant » de l’autre en un clic hâtif. Entre le fan de Dragon Ball et un terroriste, entre le Kaméhaméha et le kalachnikov, la confusion peut vite oblitérer les cerveaux nourris au sensationnalisme des chaines infos ou à la déferlante de tweets enflammés.

Sans spécialement bien connaître la scène dont sont issus bon nombre des comédiens du film, ni l’émission « Clique » de Mouloud Achour sur Canal plus, le visionnage effectué est ici celui d’un néophyte. Le souci est qu’on ne peut s’empêcher, malgré la sincère intention des réalisateurs de ne pas être parodiques, de penser que les acteurs sont en état de stand up permanent et d’autopromo, en particulier Roman Frayssinet, tout sympathique soit-il, et que ce côté « bigger than life » est non seulement assez pénible et éreintant, mais désamorce en fait toute la portée didactique et satirique de l’ensemble qui apparaît bien plus comme une grosse farce essentiellement potache et nonsensique entre potes satisfaits de se retrouver entre eux que comme une analyse fine et pertinente apte à éveiller un tant soit peu les consciences.

Mouloud Achour affirme ne pas avoir voulu occuper une position de surplomb et ne pas juger ceux qui sont représentés dans son film, notamment les intervenants des chaines infos. Force est de constater que c’est un exercice d’équilibriste : on est attaché à certains comédiens qui, eux, sont sympathiques, mais l’outrance de leur jeu ne permet en aucun cas d’éprouver la moindre empathie à l’égard de leurs cibles qui sont irréductiblement représentées comme odieuses et sans colonne vertébrale. A pratiquement aucun moment, étant donné le rythme ultra-rapide d’enchainement des situations qui reproduit justement ce qu’il dénonce (on pense à la critique de la monoforme par Peter Watkins), il n’y a de place pour une quelconque nuance dans la caractérisation, dans le cadre d’une distribution pléthorique (on a l’impression qu’il a fallu caser tous les copains).

Mais le film dispose d’atouts certains. Le duo principal est franchement réussi, notamment du fait du contraste entre le Bip-Bip Sebastien et le droopesque Patrick. Selon les réalisateurs, Patrick incarne le héros pur, tel Jacques Villeret dans Le Dîner de cons ou La Soupe aux choux, voire Ryan Gosling dans Drive (ce qui me fait songer au fameux « Alain Deloin » des Inconnus). Le souhait de mettre en avant l’amour du shonen (tels Dragon Ball, Les Chevaliers du zodiaque, Hunter X Hunter…) dans la trajectoire marquée par l’amitié et la fraternité des protagonistes (assez proche du monomythe de Joseph Campbell), ce qui est vraiment enthousiasmant : l’auteur de ces lignes étant lui-même issu de la « génération Goldorak », il a subi une certaine dose de mépris « xénosnob » de la part de ceux qui dénonçaient les « japoniaiseries » (avant de découvrir Akira ou les œuvres de Miyazaki). L’amour des réalisateurs pour ces récits est pleinement manifestée dans le film par nombre de références avec une euphorie communicative. L’animation japonaise n’est pas la seule source d’inspiration ou de traits communs, même si c’est ici en mode mineur: si Mouloud Achour cite le Chute libre de Joel Schumacher et son Michael Douglas qui « pète les plombs » ainsi que d’autres métrages américains, on peut songer, en provenance du pays du Soleil levant, à de nombreux films déjantés poussant certains délires à leurs paroxysmes de Takeshi Kitano, Yoshihiro Nakamura, Katsuhito Ishii, voire Hitoshi Matsumoto…même si on est loin des geysers sanglants d’un Sono Sion ou d’un Takashi Miike, qui parfois partagent ce même bonheur cartoonesque et référencé à l’univers bédéphile et vidéoludique.Les Méchants aurait peut-être gagné à pousser les curseurs méta et débridés à leur maximum, quitte à abandonner toute vélléité réaliste. La version parodique de Entre Les Murs de Laurent Cantet et A voix haute de Stéphane de Freytas et Ladj Ly, « Entre Les Chaises: l’éloquence à voix haute » est ainsi fort amusante et pertinente et on aurait aimé voir davantage d’exercices de ce style, même si cela pourrait virer au film à sketchs (ce qu’il est un peu de toute façon).

L’un des autres atouts du film est clairement lié à la joie sincère des comédiens de participer à un film dans lequel ils s’impliquent avec une conviction réelle: Roman Frayssinet et Djimo forment un duo très efficace et attachant, Ludivine Sagnier est excellente en présentatrice aux dents longues (variante du rôle de Léa Seydoux dans France de Bruno Dumont), Anthony Bajon met une nouvelle fois en évidence son aptitude à jouer n’importe quoi (ici un rappeur assez névrosé), les performances de Matthieu Kassovitz et Alban Ivanov en duo de chroniqueurs sont très drôles, incarnant l’ultracrépidarianisme et la tartufferie de ces pseudo-experts de plateau…On apprécie aussi les caméos d’un Pierre Palmade ou d’un Omar Sy.

Finalement, on ressort assez réjoui de cette odyssée francilienne qui, malgré certaines lourdeurs et des passages embarrassants, remporte le morceau par la qualité de son interprétation et la richesse de ses références.

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