Gogo : Voulez-vous étudier, Gogo?

Le 1er septembre 2021 était sorti le nouveau documentaire de Pascal Plisson, dont Sur le chemin de l’école avait réalisé plus de 1,5 millions d’entrées en France et été récompensé du César du meilleur documentaire. Gogo retrace la tardive scolarité d’une arrière-grand-mère kenyane de 94 ans qui veut réussir son examen de fin de primaire et guider les filles et femme vers l’émancipation par le savoir. Le film est à présent disponible en DVD, VOD et téléchargement .

Notre vaillante héroïne éponyme a 94 ans! Vous avez bien lu: c’est le storytelling d’une femme qui, toute sa vie s’est résolue à la destinée assignée à son genre (école interdite aux jeunes filles, les champs de gardiennage de vaches pour tout horizon, le métier de sage-femme pour toute ambition), mais, à l’approche du centenaire, l’heure de la révolte a enfin sonné! Un storytelling au passé vitrifié donc: tout commence classiquement à l’école certes, mais à 94 ans. C’est finalement le choix d’Achille qui est celui de Gogo: le combat de l’éducation menant à une gloire (cinématographique) immortelle, plutôt qu’une vie longue, mais laborieuse et asservie. Car, dans cette région à forte longévité, Gogo a toute la fraicheur et la détermination d’une jouvencelle en quête d’émancipation pour elle et ses camarades (qui sont aussi ses…arrière-petits-enfants). De son « parcours », on ne saura presque rien. Gogo n’est pas une diseuse, mais une accoucheuse et à présent, elle désire faire venir au monde des jeunes filles instruites, dont l’apprentissage de l’écriture et de la lecture élargit le champ des possibles fortunes. Le quotidien de notre Olympe de Gouges kenyanne à la conviction contagieuse est devenu épique et les combats légion: scolarisation des filles (et des mères-grands!) et construction d’un dortoir pour le permettre étant donné les distances entre les habitations et l’école (sujet qui était au coeur de Sur Le Chemin de l’école; il faut voir la jouissive séquence au cours de laquelle Gogo manifeste son mécontentement face à des ouvriers penauds et repentants), mais aussi émancipation des mères célibataires. A travers elle, Pascal Plisson confère ouvertement une portée fortement didactique et militante à son film, en faveur d’un enseignement accessible à tous et à tous les âges (comme on peut le voir en Corée du sud ou en Inde) qui seul permettra de dépasser les conditionnements de genre: « Today we learn, tomorrow we lead ». Le danger est toujours celui du « cayattisme » en fiction (sans rien enlever à la qualité de la filmographie d’André Cayatte, comprenant des films aussi extraordinaires que Nous sommes tous des assassins): celui de trop appuyer le message et de le rendre indigeste, ce qui était le souci du film précédent Le Grand Jour (on a bien compris qu’avec efforts et sacrifices, nos rêves se réaliseront!); mais ici ce message est puissamment incarné, grâce au charisme d’une dame forçant l’admiration par son courage, alors qu’elle perd la vue, et par son abnégation, malgré les doutes et la fatigue.

On se pose forcément la question des conditions de tournage, de la part du pris sur le vif et de la reconstitution plus ou moins fidèle. L’authenticité semble de mise ici, car Gogo ne peut vraiment « jouer », elle est pleinement. Ses interactions avec les enfants et les habitants du village respirent la sincérité et la confiance à un point tel qu’on est enthousiasmé par cette utopie fraternelle, loin des marasmes orduriers de nos technologies invasives. Pour la filmer dans les meilleures conditions, Plisson explique qu’ une équipe réduite se trouvait à l’école (de février 2018 à janvier 2019, en trois sessions de quinze jours, à des moments clés de l’année scolaire) et que la relation avec Gogo ne passait pas que par les mots, mais par tout un langage corporel et facial (on pense au « visage » de Derrida, heureusement non masqué, auquel s’attache beaucoup la caméra). Une mise en scène assez sobre a permis la restitution des séances de cours dans toute leur vérité, les rares entorses ayant une valeur symbolique et affective comme un regard caméra de Gogo si fière d’avoir répondu « cent » à dix fois dix. Alors, bien sûr, ensuite, il s’agit de déterminer les principes de montage pour rester au plus près du vécu de ces villageois. Plisson suit relativement les traces de l’immense documentariste américain Frederick Wiseman (absence d’interviews, de commentaires off et de musiques additionnelles et puis montage de 10% environ des rushs), mais avec un aspect narratif plus évident (tel un schéma narratif de conte) et une volonté manifeste de magnifier celles et ceux qu’il filme, ce qui ne permet pas une totale adhésion du spectateur.

Mais force est de constater que c’est un petit coin de Paradis dans lequel nous voyons évoluer Gogo et son entourage. Bien loin de nos classes parfois chahutées et chahuteuses, l’école du village de Ndalat respire la bienveillance entre camarades (qui n’ont pas de livre et ne vont pas au cinéma) et le bonheur joyeux d’apprendre, dont le vert uniforme (et un bonnet pour Gogo) est l’emblème. Le cadre semble vraiment idyllique pour nous pauvres occidentaux, et notamment Parisiens, confinés dans nos espaces corsetés (on peut songer en contrepoint au désarroi des Nigériens venus à Paris dans Petit à petit de Jean Rouch): malgré la pauvreté évidente des agriculteurs, cette harmonie avec la nature, cet horizon verdoyant semblent l’image d’un Eden, perdu ici dans la fumée des pots d’échappement. Une séquence enchantée est d’ailleurs celle du voyage au lac Victoria (dans la réserve du Masai Mara, lieu de tournage de Out of Africa de Sidney Pollack). Une scène particulièrement saisissante est celle de l’arrêt du car pour contempler deux lions assoupis: au-delà du ravissement stupéfait des enfants et des spectateurs, elle prend une valeur allégorique avec l’injonction par Gogo « Réveille- toi le lion » qui sera suivie d’effet du fait d’un montage « à la Méliès ». Le lion éveillé par la magique incantation de Gogo, c’est aussi l’Afrique et ses femmes en quête de destins.

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