Infernal Affairs : Retour sur la trilogie culte

Cette année, The Jokers a décidé de nous gâter au niveau du cinéma asiatique. Alors qu’on attend les ressorties d’Audition, de Ring et de Dark Water pour le 13 avril prochain, dès le 16 mars, le distributeur sort en salles la trilogie Infernal Affairs dans de superbes versions restaurées 4K. Une aubaine pour les cinéphiles puisque les opus 2 et 3 n’étaient pas sortis en salles chez nous à l’époque et que nous avons quasiment tous découvert la trilogie via notre coffret DVD édité par Studiocanal. Autant vous dire que c’est avec bonheur que nous accueillons la nouvelle, l’occasion de revenir sur cette trilogie importante qui aura donné lieu à un remake américain non moins fameux : Les Infiltrés.

En 2002, au moment où le film sort, le cinéma de Hong Kong est en berne. La rétrocession n’a pas aidé un cinéma de plus en plus confronté à la concurrence hollywoodienne et à une crise économique difficile. Quand Infernal Affairs sort, le public est habitué à ne plus se prendre de claque par ce cinéma mais à voir des films exploitant encore la même formule. Le choc après la découverte du film n’en sera que plus grand et explique l’immense succès de ce premier opus (les suites seront pensées pendant le tournage) qui reste toujours aussi excellent même après de nombreux visionnages.

Le pitch est d’une efficacité redoutable. À Hong Kong, police et triades se livrent des affrontements sans merci. Alors que Yan, policier, est infiltré dans la triade du redoutable chef de gang Sam, Ming, protégé de Sam est quant à lui infiltré dans la police. Prenant connaissance de leur existence, les deux taupes commencent alors une course contre la montre, c’est à celui qui démasquera l’autre en premier…

Encore aujourd’hui, on ne peut qu’être bluffé par la virtuosité narrative du film réalisé par Andrew Lau et Alan Mak. Le scénario est à la fois dense et parfaitement limpide, concis, à l’os, allant à l’essentiel en 1h40. Rien ne dépasse dans la narration de Infernal Affairs, tout est judicieusement pensé et écrit de façon assez remarquable. Le film allie en effet une indéniable efficacité avec une profondeur psychologique étonnante, chaque personnage (en particulier les deux taupes brillamment incarnées par Tony Leung Chiu-wai et Andy Lau, deux facettes d’un même personnages condamnées à se détruire mutuellement) trouvant le temps d’être développé sans que jamais ne soit sacrifié le rythme narratif. Derrière sa simplicité, le dispositif prend des allures de tragédie quand se dessinent les destins des personnages, destins contrits, composant avec une double vie tout simplement instable. Comment garder en toute conscience à l’esprit qu’on est un flic quand on doit tous les jours se comporter comme un criminel ? Cette dualité au cœur du film n’est pas seulement celle des personnages mais celle de Hong Kong : flics et criminels ne sont que les figures exacerbées d’une société devant composer avec deux facettes : celle du passé et celle du présent, après la rétrocession. Dans ce monde où tout le monde semble corrompu (ou bien est-ce que tout le monde semble être quelqu’un de bien ?), Infernal Affairs capte quelque chose de son époque et – si l’on pousse un peu loin – se montre presque précurseur de notre monde actuel où avec les réseaux sociaux, il est courant d’afficher au monde deux profils totalement différents et de manquer de virer schizophrène.

La grande force du film est d’avoir conscience de cette formidable dualité mais de ne jamais s’appuyer dessus autrement que par le divertissement, en passant par le thriller hard-boiled où les personnages se montrent finalement incapables de prendre en main leurs destins, manipulés par des figures les dépassant, figures menant elle-même parfois un double jeu de façon assez vertigineuse…

La thématique est poussée à son paroxysme dans le deuxième opus sorti en 2003. Une suite à priori inutile tant tout semblait dit dans le premier film mais qui vient au contraire transcender le récit initial en allant dans le passé et en ajoutant des couches de complexité aux personnages. En formant un prélude à Infernal Affairs, montrant les débuts de Yan et de Ming en tant qu’infiltrés et offrant à Sam et à l’inspecteur Wong des passés bien plus troubles qu’on ne pouvait le deviner, cette suite applique à la lettre les principes mis en place et va jusqu’à les dépasser dans un jeu de dupes vertigineux où la frontière entre le bien et le mal se floutent définitivement. Impossible de réellement saisir les motivations de chacun : la tromperie est généralisée, la corruption est partout et les personnages ont tout intérêt à se méfier autant de leur propre camp que de celui de leurs ennemis.

Sommet d’écriture et de mise en scène, Infernal Affairs 2 pourrait légitimement être considéré comme le meilleur volet de la trilogie, rejoignant ainsi les rares Le Parrain II, L’empire contre-attaque, Terminator 2, Spider-Man 2 ou The Dark Knight comme suite dont la réussite transcende un premier volet séminal mais à la thématique pas encore tout à fait développée, trouvant dans une suite l’écrin idéal pour aller jusqu’au bout de ses idées. Forcément, à côté, tout en étant réussi, Infernal Affairs 3 fait office de maillon plus faible.

S’il s’inscrit assez finement dans la continuité du premier film en montrant comment Ming doit gérer les conséquences de ses actes, il convoque de nouveau des flash-backs, cette fois-ci beaucoup plus maladroits, s’inscrivant moins bien dans la teneur globale du récit. La conclusion a sûrement été trop gourmande et s’aperçoit qu’elle n’a pas tant de choses que ça à raconter, meublant une bonne partie de la narration avec des séquences redondantes. Cela n’empêche pas le film d’être toujours hautement recommandable, nuançant merveilleusement le personnage de Ming, taupe dans la police hantée par ses actes, tâchant de faire un acte de rédemption tardif, lui-même confus sur sa propre identité. Une idée très intéressante qu’Andy Lau incarne avec force, rendant palpables toutes les contradictions de son personnage tandis que le scénario nous sert un jeu de dupes qui sent cette fois-ci le réchauffé mais dont on ne peut s’empêcher de se délecter.

On ne saurait donc que trop vous conseiller de vous précipiter en salles (re)voir cette fabuleuse trilogie et d’enchaîner les séances pour ne rien perdre de cet univers fourmillant de détails où chaque personnage affiche une trajectoire aussi habile que tragique, faisant de chacun de ces films une petite leçon de maître sur la façon de construire intelligemment un thriller que l’on peut revisionner sans se lasser tout en ayant passé l’effet de surprise des divers rebondissements du scénario. La marque des grands films.

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  1. Initial D : Le dieu du mont Akina -

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