Next Door : Fantasmer son sabordage

Next Door est le premier essai cinématographique de Daniel Brühl derrière la caméra. Après deux années particulièrement florissantes et une notoriété internationale grandissante, l’acteur allemand souhaitait explorer l’autre facette du cinéma. Celle de réalisateur dans un film pour lequel il décide également de jouer le rôle principal. Pour une première tentative, il s’entoure de personnalités fortes. D’abord Peter Kurth pour lui donner la réplique, un acteur qu’il avait déjà rencontré à deux reprises. Premièrement dans le film Good Bye, Lenin! en 2003, multi-récompensé à travers l’Europe et lui ayant valu sa notoriété internationale, mais aussi dans le film A Friend of Mine, 2 ans plus tard. Une rivalité de longue date entre les deux acteurs s’adonnant ici à un jeu de duel malsain comme deux prédateurs qui se regardent en chiens de faïence avant de se ruer l’un sur l’autre. Daniel Brühl fait également appel à Daniel Kehlmann au scénario. Un romancier encore vierge du terrain cinématographique mais avec quelques belles récompenses littéraires à son actif.

Pour cette entrée en matière, il faut admettre que Brühl n’hésite pas à se mettre quasiment à nu dans une comédie noire très dérangeante. Next Door raconte l’histoire de Daniel, un acteur à la popularité florissante. On le retrouve un matin, à son réveil, prêt à entamer sa petite morning routine. Une tasse de café, un bisou sur le front de sa femme encore endormie et quelques directives pour la femme de ménage/babysitter qui doit désormais s’occuper de la maison. Puis le voilà parti, en route pour Londres, où il doit rejoindre son agent pour un casting de super héros. Beaucoup d’avance au compteur, il s’arrête dans un bar du coin pour répéter son texte en attendant son chauffeur. C’est là qu’il fait la malheureuse rencontre de Bruno, un être irascible et mesquin qui met tout en œuvre pour saborder aussi bien sa vie professionnelle, familiale que personnelle. Très vite, il découvre que Bruno n’est autre que son voisin, et que leur rencontre n’est pas le fruit du hasard.

Il s’agit là d’une belle exubérance du réalisateur qui n’hésite pas à se fantasmer un sabordage professionnel et public en bonne et due forme. Le film résonne comme une mise à mort de l’acteur tant son rôle empreinte à la réalité de sa vie. Son personnage s’appelle comme lui, a joué dans les mêmes films que lui et dont la vie globale est extrêmement proche. La thématique dominante que l’on pourrait extraire de cette production si on en faisait un résumé particulièrement succinct serait : connaissez-vous réellement votre voisin ? Mais au travers de cette question, ce que Brühl interroge est notre propre connaissance de nous-même derrière l’image perpétuelle que l’on projette de nous. Ainsi on pourrait croire que Next Door cherche à montrer que même les stars sont comme tout le monde. Ou encore que Daniel Brühl, notamment après son rôle dans Good Bye, Lenin! est comme tout le monde. En se mettant en scène dans sa propre fiction, il rend le discours beaucoup plus ambivalent et on se demande à quel moment s’arrête la réalité et où reprend la fiction. Cela laisse entrevoir un visage complexe de son image professionnelle ou de l’image professionnelle de l’acteur. Il use d’une forme de second degré assez sévère avec lui-même. Daniel Brühl évite à la fois de tomber dans une caricature trop évidente de lui même, et donc de ne baser son histoire ou sa narration que sur des effets comiques et un second degré permanent; et en même temps il fait preuve d’une vraie maturité sur sa situation, avec une expérience de la scène prononcée et marquée. Ce recul sur sa situation lui permet de jouer dans les deux tableaux pendant environ 1h30. Il impose à son personnage un duel intérieur puissant entre sa maîtrise de soi et la folie de son impulsivité. Une écriture qui nous offre, entre autres, une scène où l’acteur est capable de demander à son rival de le prendre en photo avec 2 jeunes demoiselles pendant que son belligérant lui assène quelques critiques acerbes sur son jeu d’acteur.

Malgré une carrière encore en pleine effervescence, il prouve avoir un sens artistique prononcé des effets de mise en scène et une certaine dextérité dans la structuration visuelle de son film. Il y a de nombreux beaux plans. Dans le bar, la caméra est posée, les angles sont réfléchis, la narration prend son temps et le réalisateur construit l’image. Les passages en caméra épaule, notamment en extérieur, permettent à la fois de dynamiser l’histoire et de se concentrer sur le personnage de Daniel. Durant ces scènes, l’intrigue n’est jamais vraiment posée et la mise en scène est continuellement en mouvement, à l’image de son anxiété et de son émotion qui s’emballe. Lui ne sait plus quoi faire, ou donner de la tête, il est confus avec ses propres sentiments et l’évolution rythmique du film joue avec son état d’esprit. Il règne alors sur le long-métrage une ambiance angoissante et anxiogène tout au long du récit. L’atmosphère est en suspens constant. Le film démarre comme une sorte d’histoire un peu pop et se transforme vite en une sorte de thriller social. L’évolution est progressive et profonde. On se demande à quel moment l’intrigue va exploser. Avant de continuer à se dégrader sans jamais atteindre de point de rupture. Next Door joue avec nos nerfs avec une continuelle ambiguïté dans les intentions. D’un côté nous découvrons petit à petit ce Bruno dont les motivations semblent avoir une justification lointaine, et de l’autre ce Daniel que l’on semblait connaître par coeur depuis Inglourious Basterds nous dévoile sa personnalité défaut après défaut. Le spectateur ne sait jamais à quoi se rattacher si ce n’est une image de lui branlante, oscillant entre le jeune fan dont les yeux pétillent à la moindre occasion, à la groupie écervelée en manque d’attention. Quand ce n’est pas simplement un couple désintéressé par la célébrité potentielle d’une star. Avant de nous rattacher à la réalité de ce voisin dont la sociopathie se transforme progressivement en une véritable psychopathie.

Bruno devient tellement intrusif dans la vie de Daniel qu’on finit par se dire qu’il va forcément sortir de ses gonds à un moment donné et que l’intrigue va totalement changer de ton pour laisser place à une sorte de slasher. Ce moment est continuellement repoussé. À chaque fois que l’antagoniste va un peu plus loin dans son cynisme, au contraire, Daniel apparaît de plus en plus intéressé, curieux, comme s’il contemplait une introspection morbide de toutes ses tares et ses défauts au lieu de développer une haine de son opposant. Comme s’il attendait que l’antagoniste révèle au grand jour tous ses vices cachés et ses failles. Comme si se faire percer au grand jour de la sorte était un spectacle libérateur. Next Door joue avec nos nerfs car on est continuellement dans l’attente. Plus le film avance, plus on attend qu’il se passe quelque chose de réellement libérateur. On voit les choses se dégrader, les mines se déconfire mais on ne voit jamais le personnage principal s’énerver, se déchaîner telle une furie. Il essaie perpétuellement de comprendre la situation, de chercher une réponse à ses questions chez l’antagoniste, de rationaliser. Comme s’il savait pertinemment que l’antagoniste ne terminera jamais son laïus sur Daniel tant il est un puit sans fond de défauts. On ne comprend jamais clairement la finalité des intentions, on ne sait pas qui est censé être le méchant, quelles sont les leçons à en tirer ou les enseignements à retenir. On ne sait pas vraiment à quel point Daniel est pris de culpabilité par ce que lui révèle son opposant, ni à quel point ses actes, semblent-ils innocents, ont pu avoir un impact négatif sur la vie d’autres personnes. Ce mystère irrésolu donne une dimension plus tortueuse au film et prend à contre-pied cette attente universelle d’avoir des gentils et des méchants. La vie étant surtout faite d’être humains faillibles, en proie à leurs vices de caractères certes, mais rarement avec une mauvaise intention.

On peut également y voir une analogie dans Next Door avec le texte que Daniel Bruhl essaie de répéter. Il est censé travailler un rôle de super héros pour son futur casting. On le voit avec une page de dialogue qu’il essaie de répéter avec Bruno durant une courte scène. Ce dernier n’hésite pas à critiquer l’intelligence d’écriture des dialogues. Daniel ne conteste jamais mais on remarque bien que ça lui tient vraiment à cœur de jouer ce rôle, c’est une occasion en or à ne pas rater. Il y a ce parallèle dans le film où en réussissant à agir ainsi envers son opposant, il réussit à acquérir les capacités, l’image pour représenter le super héros. Sans le savoir et sans travailler le texte, il s’approprie déjà le rôle que doit jouer un tel personnage au cinéma. C’est une image qu’il essaie de garder durant tout le film mais a la fin il succombe à ses pulsions primaires, il ne montre qu’il n’est qu’un homme.

Next Door évolue dans une perpétuelle retenue. L’impulsivité du protagoniste n’explose que dans la dernière partie du dernier acte mais il est déjà trop tard, ça n’a déjà plus de sens ni d’importance pour lui. La complexité du personnage de Daniel Brühl qui se dégage dans le film est assez hypnotisante. On ne sait jamais si c’est juste une manière de dénoncer les travers de la célébrité ou s’il se flagelle lui-même d’être cet archétype de star du cinéma. Pour un premier film derrière la caméra, il montre une belle maîtrise de celle-ci. Une comédie noire, dérangeante et amusante à la fois, tout en proposant un début d’introspection sur sa carrière et l’image qu’il renvoie. Un essai concluant qui l’amènera sur des sentiers de plus en plus ambitieux de ce côté-là.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*