Chère Léa : Savoir cultiver le mystère de la passion

Il s’agit du 7è film du réalisateur Jérôme Bonnell, et le premier qui semble questionner l’intimité profonde de la fragilité masculine. Sous ses airs de western des temps modernes, Chère Léa raconte en réalité une profonde introspection romantique d’un homme en décalage total avec lui-même. Son mariage brisé pour assouvir un fantasme qu’il n’a pas su entretenir l’emmène vers tout ce qu’il fuyait de lui-même. En une journée, Jonas, joué par Grégory Montel, fait un constat avec lui-même de tous ses échecs sentimentaux comme professionnels. En posant ses doutes et ses peurs à l’écrit dans une lettre qu’il ne destine alors qu’à son for intérieur, il vit au rythme des rencontres de ce petit café qui lui font prendre conscience petit à petit du mauvais chemin qu’il empruntait.

Accompagné durant son voyage émotionnel et mental par Grégory Gadebois, Anaïs Demoustier, Léa Drucker et Nadège Beausson-Diagne, Chère Léa offre une magnifique petite équipe d’acteurs plus talentueux les uns que les autres. Grégory Gadebois, après ses personnages forts de président puis cuisinier royal enchaîne avec un rôle plus modeste d’apparence auquel on se rattache tant il en impose à l’image. Sa présence charismatique est une forte entité pour faire le lien entre le spectateur et le héros. Léa Drucker et Nadège Beausson-Diagne sont deux voix féminines plus terre à terre qui résonnent dans nos têtes comme un pilier sur lequel Jonas peut s’appuyer pour garder l’esprit lucide. Enfin Léa, interprétée pas Anaïs Demoustier, agit comme la sirène qui détourne les hommes de leur pleine capacité de raisonnement. Tourmentée dans une pluie de questions, elle-même ne sait plus où donner de la tête avec Jonas, à l’image de la scène où il va récupérer ses affaires chez elle juste avant de repartir.

Chaque personnage agit de manière très puissante sur un acteur commun, Jonas. L’histoire paraît simple et pourtant emplie d’un onirisme concret. La légèreté de ton, la sincérité des sentiments, l’honnêteté des personnages rend la narration extrêmement fluide et attendrissante. Chaque personnage a ses failles et ses faiblesses sans pour autant les cacher aux yeux des autres. Seul Jonas, Grégory Montel, semble encore pudique à l’idée d’en exposer ses défauts que l’on peut pourtant lire en lui comme dans un livre ouvert. C’est ce paradoxe que Chère Léa essaie d’explorer quelque part tout en faisant une association à notre rapport à nos faiblesses. Souvent, ce sont nos faiblesses que l’on essaie au maximum de camoufler et qui sont les plus faciles à cerner. Ici, Jonas apprend petit à petit à accepter ses échecs et déchéances pour mieux vivre avec et aller de l’avant.

Est-ce parce que les rôles sont parfaitement taillés pour les acteurs ou est-ce simplement l’écriture qui dégage autant d’empathie pour ses protagonistes ? Toujours est-il que l’histoire laisse transparaître la sensation de ne pas voir des personnages dans une histoire mais bien des personnes dans leur quotidien le plus authentique avec un bonus sympathie. Un pari évidemment pris et donc réussi de la part de Jérôme Bonnell. Le spectateur se retrouve presque malgré lui client de ce petit café du 12ème arrondissement de Paris. L’écriture paraît si authentique qu’elle dégage une sorte de naturel qui semble venir directement des acteurs. Comme s’ils jouaient littéralement leur mentalité et non un rôle prédéfinis. Une prouesse quelque part de parvenir à rendre une histoire aussi simple soit-elle de prime abord, aussi attendrissante par le jeu d’acteur et le naturel des réactions.

Tout cela est en partie réussit grâce à la caméra, utilisée de telle sorte qu’elle paraisse elle-même faire partie du décor, et plus encore, des spectateurs. Elle n’est plus un simple objet par lequel on nous compte une histoire, elle est la passerelle entre la fiction et le témoignage qu’elle nous en livre. Nous invitant non pas à être spectateur mais bien acteur passif de cette histoire. L’autre partie de la réussite vient du mystère qui plane continuellement sur cette histoire. En vérité, on ne sait que ce que les clients supposés du café peuvent savoir. Évidemment à quelques exceptions près, mais correspondant parfaitement à ce que nous pourrions nous imaginer tant l’histoire ne cherche pas à surprendre par son originalité mais bien par sa narration. Tout l’objet de cette lettre nous échappe totalement, exceptées la foi et la passion que Jonas met dedans. L’objet devient une convoitise que l’on ne souhaite pas vraiment découvrir. Toute la sève de cette histoire réside également dans une inconnue qui en restera une à jamais. En tant qu’espiègle de ce petit manège, nous ne pourrons nous assouvir que de la paix intérieure que Jonas obtient lorsqu’il quitte l’établissement, apaisé avec lui-même. Il n’a pas exécuté ce qui l’a motivé à faire le vide en lui, il a néanmoins trouvé les réponses aux questions dont il ignorait chercher la signification.

En fin de compte le film nous atteint par sa simplicité. Il est la version parfaite de l’échec amoureux que nous avons tous subi. Son histoire est universelle et sa version explore avec justesse les étapes d’acceptation de nos erreurs. Une histoire dont on est aussi le héros malgré nous. Chaque personnage possède une justesse d’écriture si précise qu’ils paraissent tous agir comme guides d’échecs amoureux passés. Comme s’ils n’exploraient plus seulement les failles du personnages principal mais aussi les nôtres. De plus, si l’histoire paraît simple car elle est le miroir de ce que chaque homme peut vivre au quotidien, elle n’en est pour autant pas simpliste. Abordée avec une magnifique maturité, la mise en scène elle-même montre un film réfléchi et bien pensé. La caméra apparaît comme un dernier personnage grâce à son placement continuellement pensé comme cela. Elle nous invite dans cette histoire, dans ce cadre, dans ces tourments à chaque plan. Et finalement, même l’histoire la plus simple, abordée avec maturité et sérénité, peut nous faire voyager bien plus loin que devant une simple tasse de café dans un bistrot parisien. Ce ne sont pas toujours les histoire les plus courtes qui sont les meilleures, mais il faut croire que ce sont les plus posées qui sont les plus belles.

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  1. Maria Rêve : d'une nouvelle vie. -

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