Chère Léa : Rencontre avec Jérôme Bonnell et Grégory Montel

6 ans après son dernier film, À trois on y va, Jérôme Bonnell revient à la réalisation avec Chère Léa. Une comédie romantique réunissant Grégory Montel, Anaïs Demoustier, Grégory Gadebois, Léa Drucker et Nadège Beausson-Diagne. Ce 7è film du réalisateur démontre une écriture soignée et profonde doublée d’une mise en scène réfléchie et méticuleuse. Jérôme Bonnell nous invite dans son univers passionnel où il interroge la fragilité masculine au plus profond d’elle-même. Accompagné de Grégory Montel qui incarne Jonas, ils nous parlent volontiers et décontractés de l’écriture du scénario, des anecdotes de tournages et de tout un tas de choses autour du film.

Votre film dégage une véritable sincérité dans les émotions, les sentiments et vos personnages semblent vite gagner en maturité sur leurs travers, leurs défauts et les situations dans lesquelles ils évoluent. Quelque part il y a même de la bienveillance qui se dégage de leurs actes. Y a-t-il eu des étapes charnières dans l’écriture de votre scénario qui vous ont amené sur cette transparence émotionnelle ? Une introspection personnelle peut-être que vous auriez incorporé à vos personnages ?

Jérôme Bonnell : C’est un scénario tout simple d’un film que je voulais faire en un seul geste et c’était d’autant plus long et difficile à écrire. Je voulais être très rapide avec ce film, l’écrire vite et le tourner vite en me disant “c’est une journée dans la vie d’un homme”. En fin de compte, j’ai mesuré l’ambition du geste et la précision quasiment musicale que ça demandait. Par ailleurs je pense que tout cela est séparé de la bienveillance qui se dégage du film et qui m’échappe un peu. Mais c’est peut-être ça qu’on retient et tant mieux parce que j’espère que le film ne passe pas à côté de la cruauté de ce que vit le personnage. Et qui est pour moi fondamentale.

JB : Ce qui est sûr c’est que j’aime mes personnages et qu’il est très important pour moi ni de les plaindre, ni de les juger. De les montrer tels qu’ils sont, sans gloire et d’éclairer ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes. Notamment avec le personnage de Grégory Montel, je voulais questionner la fragilité du masculin, et que les hommes dans la société telle qu’elle les a façonné ont plus peur de l’introspection que les femmes. Sur ce sujet, les femmes ont souvent un train d’avance et c’est parfaitement le cas dans le film. 

Le terme bienveillance n’était peut-être pas le plus adapté. Je voulais surtout parler de leur capacité à prendre du recul sur eux-mêmes sans qu’ils ne cherchent à nier ce qu’ils sont ou à faire un procès d’intention aux défauts des autres.

JB : Ah oui, il y a une lucidité grandissante. Ils ont une capacité à regarder au fond d’eux-mêmes qui grandit en passant notamment par la lettre. C’est un peu une illusion d’ailleurs, parce que ça l’aide énormément et en même temps ça souligne un narcissisme qu’il ne va découvrir qu’à la fin. Un narcissisme qui existe dans n’importe quel geste amoureux, généreux, humain. Cela soulève la vieille question, en amour, qu’est-ce qu’on aime ? Est-ce l’autre véritablement, ou soi face à l’autre, ou encore la situation en elle-même, ou bien les obstacles que génère cette situation ? C’est plus les rencontres qu’il fait parce qu’il écrit cette lettre qui vont l’aider plus que la lettre elle-même.

Grégory Montel : C’était important pour Jérôme car c’est un personnage qui a tout fait trop tard. Il a quitté sa femme trop tard, il est revenu vers sa maîtresse trop tard, de son point de vue il a tout raté. 

C’est pour ça que les problématiques du héros semblent aussi universelles, on prend tous des décisions trop tard et on perd ce qu’on aurait pu obtenir. Les hommes d’une manière générale ont cette désagréable capacité à rater les occasions.

JB : Je voulais faire un film aussi intemporel et universel que possible. Pour que l’on puisse tous s’identifier. Et puis ce qui m’intéresse, ce n’est pas la force des gens mais leur faiblesse. Le meilleur moyen de s’identifier, c’est de ne pas avoir peur de la raconter cette faiblesse car on est tous fait de ça.

ça me fait réaliser une aparté. A l’inverse des films d’actions, notamment dans les années 80’ avec Stallone, Schwarzy, Willis et j’en passe. On voit des durs à cuir si puissants et virils qu’on sait que quelque chose au fond d’eux peut les briser. Alors que vos personnages semblent si frêles et fragiles qu’ils développent au contraire une force émotionnelle bien plus puissante. D’une certaine manière, Montel et Gadebois rendent mieux justice à la mascunilité que la virilité exacerbée du cinéma d’action des années 80’.

JB : (rires) C’est une histoire presque musicale, après les trompettes ça fait du bien d’entendre un violon ou un silence. Mais oui, bien sûr, c’est une série de contre-point qui font toute la complexité de l’humanité. Et puis la figure de l’homme au cinéma est un vaste sujet. Pour préparer le film, j’ai revu beaucoup de westerns parce qu’ils questionnent la fragilité du masculin et comment on filme l’espace, l’homme dans l’espace. Chère Léa empreinte tous les codes les plus classiques du westerns même si c’est une comédie sentimentale.

Ce ne serait pas la première fois que des films font le parallèle entre la comédie romantique et le film de western.

JB : Bien sûr, le genre n’est qu’un alibi de toutes manières. Le genre permet d’exalter beaucoup de choses. A l’image de David Cronenberg par exemple. Personne ne va plus loin que lui dans l’intime et l’introspection tout en flirtant avec l’horreur et le fantastique.

Comment avez-vous abordé la préparation de ce personnage en particulier, Grégory ?

GM : Ce que j’aime bien faire et c’est comme ça que je me rassure, je me dis “Il y a ce personnage, l’acteur que je suis et la personne que je suis, comment je peux les faire cohabiter?”. Cette fois-ci je suis allé un peu au-delà, je suis rentré un peu plus dans l’intériorité du personnage car Jérôme m’a demandé d’écrire cette lettre en amont, pour qu’on l’ai. Donc c’était très technique. Pour me plonger dans l’écriture de cette lettre j’ai lu des textes que m’a conseillés Jérôme et que je me suis conseillé. En piochant dans toutes ces influences, cela a été une méthode particulière pour préparer ce personnage. Peut-être qu’à l’avenir j’écrirais la lettre intime de chacun de mes personnages. Ce que je n’aurais pas nécessairement fait sans cette demande spécifique de Jérôme. Ensuite je me suis vraiment fondu dans le scénario en essayant de m’approprier au maximum ces dialogues.

Vous avez eu une part d’improvisation ?

GM : Non, l’écriture de Jérôme était trop précieuse pour cela. Si je voulais changer quelque chose j’allais d’abord lui en parler directement mais sinon ce n’était pas non plus son souhait de mise en scène.

Est-ce que vous aviez des idées de choix de casting ou des souhaits de travailler avec certains acteurs lors de l’écriture du scénario ?

JB : J’ai écris le scénario en ne pensant à personne et le casting s’est fait dans un second temps. C’est déjà arrivé que j’écrive directement pour des acteurs. Mais à part Anaïs avec qui j’avais déjà travaillé, une fois que nous avions auditionner les deux Grégory, je ne pouvais plus imaginer qui que ce soit d’autre. Je connaissais Grégory Gadebois lorsqu’il était élève au conservatoire avec moi, où il faisait des petits rôles dans mes films. Un jour je lui ai dis “Ce n’est plus possible que tu ne fasses que des petits rôles. La prochaine fois, c’est soit un grand rôle, soit rien”. J’ai attendu plus de 10 ans pour lui proposer quelque chose (rires). C’était un bonheur parce qu’il a en lui un mélange miraculeux de douceur et d’autorité qui fait que personne d’autre n’aurait pu jouer ce rôle.

C’est vrai que Grégory Gadebois à un charisme assez incroyable, je suis chaque fois époustouflé par la prestance qu’il dégage dans ses films.

JB : Moi c’était chaque jour de tournage. Et de montage (rires).

Quel a été votre première impression, votre premier ressenti lorsqu’on vous a parlé du projet Grégory ?

GM : Je vous avoue qu’avant de lire le scénario, j’étais déjà séduit par l’idée que cet auteur là s’intéresse à moi car je connaissais un petit peu son cinéma. Donc l’idée de pouvoir m’emparer de son univers, de ses mots, de ses personnages, m’a séduit parce que c’est un réalisateur qui sait faire du cinéma. Il sait comment le poser, l’écrire, le mettre en scène, et le fait toujours dans la délicatesse. Et puis c’était aussi l’occasion pour moi de pénétrer un monde un peu nouveau, une écriture que je connais moins, quelque chose de très sensible, très précis. Je suis plutôt un acteur assez volatile alors l’idée de m’ancrer dans quelque chose de très écrit c’était passionnant. Ça me donnait envie de me challenger. Enfin j’ai lu le scénario que j’ai vraiment beaucoup aimé, je l’ai joué puis j’ai vu le film dans lequel j’ai encore vu des choses qui m’avaient échappé. Donc j’y suis vraiment allé pour plusieurs raisons. Des raisons qui émanent du texte lui-même, du réalisateur et puis des raisons égoïstes d’avoir quelque chose à y gagner également en tant qu’acteur et professionnel du cinéma.

C’est plutôt sain d’être égoïste parfois. Cela permet de se challenger, de se surpasser, d’atteindre la meilleure version de soi.

GM : Bien sûr, et puis ça permet d’explorer de nouvelles méthodes de travail. Et puis quand j’ai appris avec quels comédien(ne)s j’allais jouer c’était encore autre chose parce que j’avais face à moi des acteurs puissants. C’était passionnant pour moi, j’ai beaucoup appris.

C’est assez surprenant car avec tant d’acteurs et actrices charismatiques, chaque personnage parvient à trouver sa place sans empiéter sur celle des autres. Personne ne vole la vedette à un autre et chaque personnage a sa scène de gloire.

GM : Tout à fait. Ce n’était pas du tout un concours d’ego, à aucun moment. Et je peux vous en parler d’autant plus que je découvre ça moi aussi qui fait de plus en plus de cinéma. A quel point l’ego vient s’immiscer dans des endroits où il ne devrait même pas être là. Notamment dans certaines scènes où c’est une catastrophe. Là je n’ai jamais perçu l’ego de qui que ce soit d’autre que celui des personnages dans certaines circonstances. Mais à aucun moment l’ego des comédiens n’est intervenu. Le film est ultra équilibré par rapport à ça car on est tous venus avec un univers que l’on a accepté de céder au film. Et puis chaque personnage est là pour montrer à quel point la passion amoureuse est dévorante à différentes échelles. Ils incarnent différentes versions possibles de Jonas. Au travers des autres personnages, il voit ce qu’il aurait pu faire à Léa, ce qu’il aurait pu être, comment il aurait pu agir dans des circonstances moins confortables pour lui. Tout fait écho à sa propre histoire, c’est très bien écrit, rien n’est gratuit, rien n’est laissé au hasard.

Est-ce que vous avez eu des difficultés au niveau de la production pour trouver le lieu de tournage et pouvoir y filmer les scènes (le film est tourné en grande partie au café Capri’s dans le 12è arrondissement ainsi que dans la rue dans laquelle il débouche, ndlr).

JB : Pas spécialement, mais ce qui était rigolo c’était lors des repérages. Une fois que j’avais trouvé le bon café, je voulais que tout se passe dans le même espace, autour de la même bulle. Il fallait que Léa apparaisse à la fenêtre d’en face, que Grégory Gadebois habite dans les logements d’à côté. Je suis allé questionner beaucoup de gens du voisinage, je ne voulais pas tricher sur ce point car il me semblait important. Tout cela était très compliqué et très rigolo en même temps.

C’est honorable de votre part d’avoir poussé jusqu’au bout cette volonté de tout tourner dans le même lieu pour conserver cette authenticité. Beaucoup auraient triché en tournant ça en studios sans qu’on ne s’aperçoive de rien à l’écran. Je trouve ça important pour la beauté du cinéma d’aller jusqu’au bout de ses idées et de ne pas céder à la facilité. Est-ce que vous avez tout de suite pensé à un café ou est-ce qu’à différentes versions du scénario c’était un autre type de lieu ?

JB : Non très vite ça été un café. Il représente cette passion amoureuse de laquelle il n’arrive pas à s’échapper. J’aimais beaucoup l’idée que ce personnage, agité par ce sentiment, soit remarqué par les autres et qu’ils l’observent en retour. Je voulais filmer le portrait de la fin de la passion d’un homme durant une journée de sa vie qui raconte finalement toute son histoire. J’ai donné beaucoup de place au hors champs en ne filmant pas la passion elle-même et en racontant aussi tout ce qu’on ne voit pas. C’est important de mettre autant de soin dans ce qui est montré que ce qui est caché. C’est un hors-champ aussi bien temporel que géographique. Ça se déroule dans une journée et dans un lieu unique. Tout en s’éloignant du théâtre et de ses codes. C’était autant de défis qui m’intéressaient et me stimulaient beaucoup.

C’est vrai que le hors-champ agit comme un personnage supplémentaire dans le film et donne toute la notion de mystère à l’histoire de Jonas. Le travail sur le hors-champ et le placement de la caméra est extrêmement méticuleux.

JB : Il y a cette lettre qui nous est cachée, la caméra qui est surprise, j’adore l’idée que la caméra ait des sensations. Par exemple, elle sort en avance de l’appartement d’Anaïs car elle ne s’attend pas à ce que le personnage y retourne. Puis les filme en train de faire l’amour à travers l’encadrement de la porte qui se ferme et on ne voit rien. C’est un film dans lequel il ne fallait surtout pas s’installer. C’était très piégeux pour ça. Si on s’installe dedans, le film est mort. Il faut toujours être dans l’instant présent, dans la vibration et ne surtout pas avoir d’avance sur le personnage. Même chose lorsque Grégory Montel entre dans le café la première fois. La caméra reste à l’extérieur, on n’entend que la voix de Grégory Gadebois, on ne le voit pas encore, il est traité comme un figurant. La seconde fois elle rentre avec lui mais on ne voit Gadebois qu’assez mal. Tout cela reste très diffus, c’était important de ne pas tout mettre sous le nez du spectateur tout de suite. Il fallait faire naître le mystère et être surpris qu’on reste aussi longtemps dans ce café en fin de compte.

Merci beaucoup pour cet entretien et félicitation encore pour ce film. Chère Léa sortira au cinéma le 15 décembre 2021 et à Close-Up, on vous le conseille chaleureusement.

Propos recueillis à Paris le mardi 30 novembre 2021
Remerciements à Diaphana Distribution et Pierre Galluffo pour nous avoir permis de conduire cet entretien.
Un grand merci à Jérôme Bonnell et Grégory Montel pour s’être prêté au jeu de cet entretien.

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