La pièce rapportée : Retour d’ascenseur…

Assez rarement mais néanmoins régulièrement Antonin Peretjatko revient – le faisant presque exprès – nous donner de ses nouvelles. Après La fille du 14 juillet et La loi de la jungle (le premier faisant figure de drôlerie brillante d’inventivités en tous genres lorsque le second s’avérait davantage poussif et ampoulé dans sa globalité) il accouche durant l’année 2020 de La pièce rapportée, comédie de mœurs de haute voltige et désopilante au ton une nouvelle fois loufoque et parfois pince-sans-rire, véritable petit plaisir de cinéma plein d’esprit et d’idées visuelles à revendre…

S’ouvrant sur une improbable chasse à courre flanquée d’une kyrielle de lévriers amenant leur propriétaire à passer l’arme à gauche dès les premières secondes du métrage La pièce rapportée retrace l’intronisation (presque) involontaire d’une modeste poinçonneuse de la station métropolitaine de La Haute du-énième-arrondissement-façon-bon-chic-bon-genre dans l’intimité d’une famille de la grande bourgeoisie parisienne Rive droite et Molitor et patati et patata… En une multitude de plans et de séquences toutes plus cocasses les unes que les autres Peretjatko le Fou livre le portrait acerbe, foutraque et bien senti de la famille Château-Têtard, assemblée de nantis vivant des rentes de leurs aïeux inventeurs et concepteurs de leur état (avec grosso modo une pelletée de brevets concernant les mobiliers à roulettes et les ascenseurs d’une Tour Eiffel revisitée par notre cinéaste-trublion…). Entre la reine mère jouée par une Josiane Balasko au demeurant peu commode voire carrément atrabilaire, Paul le fils de bonne famille campé par un Philippe Katerine plus nonchalant que jamais et le chauffeur de taxi incarné par un Sergi Lopez jouant les amants du dimanche ladite famille va tout à trac devoir accueillir Ava, jeune femme sans ambitions et guichetière de la RATP désireuse d’amour et d’eau fraîche, mais aussi de promenades à la petite semaine et de passions légères, frivoles, désinvoltes… Entré à son corps défendant dans les souterrains du métro parisien (faute de taxi à disposition, note de la rédaction…) Paul Château-Têtard va subrepticement tomber sous le charme de cette prolo à l’allure godardienne à laquelle la pétillante Anaïs Demoustier prête joliment ses traits, allant un peu par dépit lui proposer la botte des hauts lieux du 16ème arrondissement.

Entre détails réalistes et fabrications fantaisistes particulièrement amusantes et inattendues La pièce rapportée nous promène d’une saynète à l’autre tout en jouant de façon presque récréative avec les nombreux ressorts narratifs du cinéma, le réalisateur filmant la capitale française comme un avant-gardiste post-Nouvelle Vague ; on constate, comme au temps du facétieux La fille du 14 juillet, l’atavisme du cinéma de Jean-Luc Godard et son incomparable liberté de ton, une volonté de nous livrer une pure comédie caustique vouée à perpétuer les motifs du slapstick tout en les modernisant de manière habile et élégante. Katerine, Balasko et Demoustier sont en tout point impeccablement dirigés par Antonin Peretjatko, caricatures de classe sociale bien supérieures à celles du cinéma plan-plan et finalement assez ordinaire de Étienne Chatiliez. Usant délibérément de ses faux-raccords et de sa grammaire cinématographique gentiment malmenée La pièce rapportée se muera par la suite en une intrigue policière façon whodunnit au coeur de laquelle l’étourdi William Lebghil prêtera ses services à la reine mère Château-Têtard puis entreprendra de filer la belle Ava à dessein de découvrir son éventuel amant… pour mieux tomber dans les bras énamourés de la belle pépée en bout de course !

Bref c’est très drôle et impertinent tout en étant très intelligemment réalisé. Si l’ensemble tend surtout à nous divertir sans complexe la dimension caricaturale du propos en fait un morceau de cinoche formidablement révélateur de l’indolence oligarchique des hautes fortunes parisiennes… En résulte un formidable long métrage en passe d’appartenir à la catégorie tant précieuse des films cultes, pied-de-nez fourmillant de trouvailles formelles et humoristiques, à voir et à revoir absolument dès le 1er décembre de cette fin d’année.

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