Black Flies : Une Civière avant l’aube…

C’est à l’aune du Covid-19 que le projet de Jean-Stéphane Sauvaire (initialement prévu pour être réalisé par Darren Aronofsky, ndlr) voit le jour ; adaptation cinématographique du roman 911 du romancier noir Shannon Burke et potentielle relecture du À tombeau Ouvert de Martin Scorsese tourné au crépuscule du XXème Siècle Black Flies fut l’un des films les plus ouvertement critiqués – voire descendus en flammes – de la 76ème Édition du Festival de Cannes . Accumulation de scènes chocs, misérabilisme et racolage à tous les étages : le nouveau long métrage de Jean-Stéphane Sauvaire fut incontestablement LE vilain petit canard de cette édition cannoise annuelle, jugé à raison comme un drame sensationnaliste peu nuancé et surtout trop empreint de surenchère et d’effets tapageurs en tout genre, essuyant fatalement le rejet quasi-total de la critique et du public présents sur la Croisette en mai dernier.

Autant dire que la rédaction de Close-Up Magazine fut loin d’être unanime en ce qui concerne Black Flies. Pourtant si certains y ont vu une indigente variation de À tombeau Ouvert l’auteur de ces lignes fut relativement conquis par cette vision cauchemardesque et littéralement hallucinée des déambulations nocturnes d’un binôme de secouristes proprement aliénés par leur condition ; étant pour sa part plus que mitigé à l’égard du film de Marty Scorsese l’auteur de ce texte assume entièrement préférer la version craspec et racoleuse du film de Jean-Stéphane Sauvaire qui réussit là où le célèbre cinéaste italo-américain avait – à son humble avis – plus ou moins échoué : parvenir à rendre compte d’un enfer urbain gangrénant ses personnages de part en part, traduisant en la forme d’un métrage fièrement cavalier un authentique pandémonium de Cinéma.

En relatant le parcours initiatique du jeune Ollie Cross (Tye Sheridan, notamment vu chez Steven Spielberg dans son clivant – mais très bon – Ready Player One, ndlr) propulsé dans un service d’urgence de nuit dans la Grosse Pomme américaine aux côtés de Gene Rutkovsky (un ambulancier aguerri incarné par le décidément très cinégénique Sean Penn, crevant forcément l’écran au vu de son faciès buriné et galvanisé par l’expérience…) Jean-Stéphane Sauvaire nous plonge dès les premières secondes dans une errance nocturne au coeur de laquelle flashs, effets de montage saccadés et à-coups visuels proprement tape-à-l’œil se mêlent dans un tourbillon de couleurs saturées et aveuglantes dont il est bien ardu de souffrir sans piper mot ; diablement efficace la descente aux enfers que constitue le drame de Black Flies s’affirme comme une belle réussite doublée d’un hommage un rien élégiaque à tous ces témoins anonymes de la misère humaine que sont les urgentistes de New-York… Et même si la vieille recette du « couple-de-personnages-dépareillés-devant-inéluctablement-faire-équipe-par-la-force-des-choses » n’a rien d’une nouveauté sous le soleil (recette qui n’a de ce point de vue jamais été aussi bien mijotée que par David Fincher dans son indétrônable Se7en, ndlr) elle trouve ici une belle puissance ombrageuse voire même un tantinet désabusée au regard de l’évolution tragique du personnage de Rutkovsky.

« Les ténèbres nous entourent, à tel point qu’ils finissent par nous envahir… » Voilà ce que décrète un peu tristement l’un des personnages de Black Flies au coeur du métrage. Depuis Taxi Driver et – de fait – À Tombeau Ouvert l’aliénation urbaine fut une thématique doublée d’un vivier dramatique des plus fascinants du cinéma contemporain. Au gré d’une multitude de quidams, d’éventuels John Doe littéralement contaminés par l’impureté à tel point qu’ils semblent tous arborer un corps et une chair profanés par d’énormes tatouages occultant tout virginité dermique (Jean-Stéphane Sauvaire semble de ce point de vue assurément obsédé par les corps tatoués, motif visuel déjà fortement présent dans son précédent – et déjà très efficace – Une prière avant l’aube sorti en 2017, ndlr) le réalisateur français dépeint une vision irréaliste mais très forte des nuits new-yorkaises, jouant sans fausse pudeur sur une forme outrancière et poisseuse dans le même mouvement de premier degré résolument légitime compte tenu du sujet. A noter que la fameuse scène d’accouchement graphiquement très gore et moralement sans rémission demeure l’une des séquences les plus impressionnantes vues à Cannes cette année, véritable point névralgique d’un récit montrant avec ténuité mais ténacité les limites d’une déontologie mise à mal par ses principaux intéressés.

Black Flies reste pour l’auteur de ce texte une belle surprise de cinéma doué d’ornements et de fioritures dénués d’une délicatesse malvenue au regard du drame admirablement re-présenté par Sauvaire. Même l’apparition fugace mais marquante de Michael Pitt en ambulancier un rien belliqueux finit de surprendre au coeur d’un film confrontant le lyrisme aérien des élégies malickiennes aux plongées nauséeuses du Cinéma de Gaspar Noé, réalisateurs tous deux logiquement remerciés au générique de fin par le cinéaste français. Un choc aux prises de risque tour à tour évidentes et assumées.

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