La Chute de la Maison Usher : Famille en voie d’extinction…

Cela fait plusieurs années que Mike Flanagan enchante nos automnes en nous collant des frissons avec ses séries sur Netflix, arrivant chaque fois à point nommé en vue d’Halloween. Et s’il s’est désormais associé à Amazon pour ses prochaines créations, nulle raison de bouder La Chute de la Maison Usher, d’autant que cette très libre adaptation des récits d’Edgar Allan Poe était attendue de pied ferme. Alors savourez un bon vieux cognac (ou un chocolat chaud) sous la couette et n’ouvrez pas au corbeau qui tape à votre fenêtre sur le minuit lugubre, c’est parti pour un massacre dans les règles…

Dès l’annonce du projet, on se demandait comment Flanagan allait bien pouvoir tirer une mini-série d’une nouvelle aussi courte que La Chute de la Maison Usher. Il répond très rapidement à notre question en adaptant largement toute une partie de l’œuvre de Poe, ponctuant la série de nombreuses références, que ce soit dans les titres des épisodes, les prénoms des personnages, leurs morts ou encore plusieurs détails. Le fan-service a beau présenter quelques limites, il n’en demeure pas moins plutôt sympathique pour quiconque nourrit un amour immodéré pour Poe et son goût du macabre. Moderne, son adaptation lorgne (dans une moindre mesure) du côté de Succession pour sa description d’une famille richissime et détestable, fortement inspirée par les Sackler, en partie responsables de la crise des opioïdes aux Etats-Unis (si cela vous intéresse, on vous conseille fortement Dopesick sur Disney+).

Roderick Usher et sa sœur Madeline sont en effet à la tête de Fortunato, une immense compagnie pharmaceutique responsable d’avoir mis sur le marché un médicament redoutablement addictif aux effets secondaires tragiques. Poursuivis en justice, les Usher ne tremblent devant aucune menace : leur fortune les rend intouchables. Jusqu’au moment où les six enfants de Roderick meurent à tour de rôle dans de tragiques et étranges accidents. Une malédiction frappe les Usher et semble voué à détruire la famille et son empire. Roderick décide alors de convier son vieil ennemi Auguste Dupin et de lui conter toute son histoire en détails…

Il n’y a rien à redire, tout l’amour que Mike Flanagan porte à Edgar Allan Poe se retrouve infusée dans les huit épisodes composant la mini-série. Qu’est-ce qui nous empêche, dès lors, de trouver la série moins réussie que d’autres proposées par le showrunner ? C’est avant tout son aspect programmatique qui dérange : une fois que l’on a compris que chaque épisode se concluait par la mort affreuse d’un rejeton Usher directement inspirée de la nouvelle dont l’épisode tire son titre, l’effet de surprise s’en retrouve énormément atténué. Cela n’empêche pas Mike Flanagan et ses compères scénaristes et réalisateurs de déborder d’idées mais elles sont tout de même plus convenues que ce qu’il avait pu nous offrir jusqu’à présent. Les six épisodes centraux, tout en étant hautement divertissants, sont ainsi bloqués dans un cycle voué à se répéter. Le fait d’avoir des personnages antipathiques n’aide pas non plus à offrir une ampleur émotionnelle à la série, ce qui faisait la force de Flanagan même dans une tentative plus mineure comme The Midnight Club. Dans la série, si l’on excepte la jeune Lenore et Roderick qui est le personnage le plus développé, tout le monde s’avère être particulièrement détestable, chacun des membres de la famille Usher étant dévoré par l’hubris, l’ambition, la cupidité ou le pouvoir. Nés sous la houlette d’une immense fortune, les enfants Usher sont des êtres pathétiques, condamnés à se battre pour une bribe de pouvoir ou de contrôle dans une vie qui leur échappe. On sera donc loin de les pleurer, ce qui rend le programme réjouissant mais amoindrit son impact émotionnel.

Cependant, une fois cette constatation effectuée, le plaisir reste de mise devant La Chute de la Maison Usher et ce d’autant plus que Flanagan sort les griffes, profitant de ses personnages pour livrer une charge farouche contre le capitalisme qui gangrène tout, contre cette insatiable lutte de pouvoir que se livrent les êtres humains au sommet, se foutant bien des cadavres qu’ils empilent sur leur chemin pour y parvenir. Les Usher ne sont que le symptôme d’un Mal frappant le monde entier, prêts à vendre leur âme pour s’accrocher à leur royaume composé de corps en putréfaction. Flanagan n’y va pas de main morte, faisant dire des choses redoutables à ses personnages dans ces monologues dont il a le secret, parfois trop explicites mais toujours efficaces.

La construction du récit, constituée de la confession de Roderick à Dupin et enchâssée d’une multitude de flash-backs prenant tout leur sens dans le dernier épisode (le meilleur) est d’ailleurs profondément ludique et constitue l’un des grands intérêts de la série, parvenant à tirer son épingle du jeu même quand elle s’aventure sur un terrain attendu.

Saluons aussi (une constante chez Flanagan) le talent du casting réuni à l’écran, essentiellement composé de fidèles du réalisateur. On y croise ainsi Bruce Greenwood (dans son meilleur rôle à l’écran ? On peut légitimement le penser), Carla Gugino, Carl Lumbly, Henry Thomas, Samantha Sloyan, Zach Gilford, T’Nia Miller, Rahul Kohli, Katie Parker, Sauriyan Sapkota, Ruth Codd, Michael Trucco, Igby Rigney, Kyliegh Curran, Annabeth Gish, Robert Longstreet et l’incontournable muse Kate Siegel quand Mary McDonnell (inoubliable Laura Roslin de Battlestar Galactica), Mark Hamill (dans un rôle trouble intéressant) et Willa Fitzgerald constituent de nouveaux arrivants que l’on espère retrouver par la suite.

Le fait que le cinéaste se soit constitué une famille aussi bien derrière la caméra (il reste fidèle à ses nombreux collaborateurs) que devant participe au plaisir du rituel de visionner ses œuvres et de découvrir, au fur et à mesure que le récit avance, quelle figure familière nous allons retrouver. Avec toutes les séries qu’il a réalisées pour Netflix, Mike Flanagan a su faire partie de la routine immuable de nos automnes et créer un rendez-vous immanquable que l’on espère bien vite retrouver, sur une autre plate-forme ou au cinéma, nous prendrons tout ce qu’il a à nous offrir. En attendant ses adieux à Netflix avec La Chute de la Maison Usher nous laissent sur l’impression qu’il aurait pu faire mieux même si le tout reste vivement recommandable : un peu de Poe n’a jamais fait de mal à personne, à part à ses personnages…

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting

On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;

    And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,

    And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;

And my soul from out that shadow that lies floating on the floor

            Shall be lifted—nevermore!

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