Wake in Fright : Cauchemar éveillé

Il y a les films qui remuent, dérangent voire traumatisent et il y a les mastodontes qui vous écrasent en mille morceaux. Pour sûr que le marathon jusqu’à Halloween s’annonce gigantesque cette année sur Shadowz. Un film tous les jours est proposé jusqu’à l’apothéose tant attendue le soir du 31 Octobre. Parmi les derniers arrivés, il était évident pour nous de nous arrêter sur Wake in Fright. Réalisé par Ted Kotcheff en 1971, le film a surtout connu une seconde jeunesse en 2009 lorsque des négatifs du film, que l’on pensait disparu à tout jamais, furent retrouvés et restaurés à Pittsburgh en 2002. Depuis, des dizaines d’articles et autres vidéos YouTube ont mis en avant ce film démentiel si bien que nous arrivons largement après la bataille. Nous l’avons découvert il y a quelques années et nous avions du mal à ordonner nos idées afin d’en parler pleinement. Aujourd’hui, nous sommes prêts à vous décrire l’immense parpaing que nous nous sommes mangés sans crier gare afin de vous armer au mieux à la découverte de ce chef d’œuvre… oui, on ne voudrait pas que vous n’arriviez pas en entier au bout de ce marathon Shadowz.

John Grant, instituteur dans un petit village de l’outback australien, est en partance pour passer ses vacances de Noël à Sydney. Il fait escale dans une petite ville minière de Bundayabba avant de prendre son avion pour la capitale le lendemain. Le soir, il joue son argent et se saoule. Ce qui devait être l’affaire d’une nuit s’étend sur plusieurs jours. Jonh Grant va découvrir l’enfer.

Lorsqu’on prend le temps d’analyser les divers classements de films qui ont marqués durablement leurs spectateurs, très régulièrement nous avons affaire à des films de genre dans lesquels l’horreur impacte psychologiquement plus que visuellement, ce qui est tout à fait le cas de Wake in Fright. Si on n’y dénote rien des codes spécifiques qui nous permettrait de le ranger dans une des branches de l’horreur, le film de Ted Kotcheff n’en est pas moins un véritable film de genre. Pour commencer, sa direction artistique très marquée bouscule tous les sens. A mi-chemin entre le documentaire ethnographique et le film d’exploitation, il s’y dégage une atmosphère poisseuse et irrespirable. Le film brise rapidement la zone de confort du spectateur au fur et à mesure que le héros s’enfonce dans sa folie, nous faisant oublier que nous sommes devant une œuvre fictive. Aussitôt, l’ivresse permanente qui habite chacun des personnages nous enveloppe de façon suffocante. Wake in Fright est un film qui suinte la crasse, les odeurs de tabac froid et, surtout, la bière. Film idéal si vous comptez vous sevrer d’un quelconque problème d’alcoolisme, vous ne remercierez jamais assez les bienfaits d’un grand verre d’eau frais après avoir vécu cette douloureuse épreuve initiée par le film. Wake in Fright est un film plus que palpable. Il est de ces pépites dont on peu ressentir chaque brûlure de soleil, chaque goutte de sueur… Il s’agit d’une expérience sensorielle de laquelle on ne ressort pas indemne.

Au-delà de son aspect technique, Wake in Fright aborde des sujets qui, s’il n’avait pas été une production australienne, l’aurait inscrit au panthéon des incontournables du Nouvel Hollywood. Ted Kotcheff préfigure ce que fera John Boorman en 1972 pour Délivrance, à savoir les destructions de la classe aisée par une population laissée pour compte, pour ne pas dire indigène (à sa manière). Pendant plusieurs jours, le héros va tenter de refréner ses pulsions, de se convaincre que sa culture et son éducation peuvent combattre l’aliénation de ses nouveaux camarades de jeu. Seulement, pris dans une folie d’ivresse, il va inéluctablement céder à la violence dans ce qui est, indéniablement, le point d’orgue du film : une partie de chasse aux kangourous. Scène culte de Wake in Fright, et probablement la plus difficile à encaisser, la séquence de chasse entremêle les plans de fiction avec les acteurs avec de véritables images de massacres d’animaux. On aurait tendance à employer le mot « traumatisant » à tout va, mais croyez-nous lorsque l’on vous dit que cette scène l’est réellement. On en revient donc aux fondamentaux qui gangrènent l’être humain et régissent l’Ordre Mondial depuis toujours : l’argent prévaut sur tout, l’argent détruit tout. John est arrogant en début de film, persuadé que son argent va lui donner un quelconque pouvoir autoritaire sur son prochain. Lorsqu’il se retrouve dépouillé, il comprend que les pulsions primitives de l’Homme peuvent le détruire et que ceux qu’ils considéraient comme inférieur à lui seront inévitablement ceux qui le mèneront à la tombe. Kotcheff décortique un retour à l’état sauvage. Son film remue les tripes et nous fait nous questionner durablement sur notre propre condition. Sommes-nous le reflet des valeurs qu’on nous a transmis ou ne sommes-nous pas tous des loups primitifs endormis sagement derrière le masque de notre éducation ? Sans compter la condition des rares femmes présentes dans le film qui est malmenée de manière outrancière et qui soulève d’autres problématiques, Wake in Fright est un film qui n’en finira pas d’analyser une société qui, les années passantes, demeure diamétralement la même.

Wake in Fright est un sacré morceau qu’il va falloir, de prime abord, encaisser, puis digérer longuement. Le film ne finit pas de résonner des jours, des mois, des années après sa découverte. C’est un coup de poing phénoménal comme on n’en voit plus aujourd’hui et qui mérite une attention particulière pour quiconque cherche une expérience horrifique qui va au-delà d’un simple assassinat à l’arme blanche. Kotcheff déconstruit et assassine ce que nous croyons être le genre humain pour nous ramener à notre condition animale. Plus qu’une prouesse, plus qu’un choc, Wake in Fright est une déferlante immanquable.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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