Super Express 109 : Here Ouigo !

Un genre prédomine le cinéma des années 1970 : le film catastrophe. Alors que les États-Unis s’embourbent toujours au Vietnam, les secousses sociétales se ressentent jusque dans le divertissement. Le western vit ses dernières cavalcades, le Nouvel Hollywood sort des rangs quand des producteurs/margoulins sentent le vent tourner. Il est temps de faire trembler les cinémas américains. Airport est le premier représentant d’un genre qui revit après La Grande Dépression de 1930 et toute une série de films produits jusque les années 50, notamment l’Invasion des Profanateurs, prend le pas pour une décennie de SF.
Airport est le premier gros succès US dans le genre catastrophe avec son casting de stars has been dont les ZAZ se marreront bien une décennie plus tard en réalisant Airplane. Avec la popularité de ce premier long métrage dont 3 autres suites seront produites dont le dernier avec le Concorde et Alain Delon, les studios se mettent à l’œuvre. Les Aventures du Poséidon avec Gene Hackman est produit en 1972, Tremblement de Terre l’année suivante et le fier représentant du genre La Tour Infernale sort en 1974 avec son casting 5 étages dont Steve McQueen, Paul Newman, Richard Chamberlain, William Holden et Faye Dunaway.
Le succès de tous ses films à l’international donne des idées ailleurs, notamment au Japon. La Toho est le premier studio à prendre le pas des Américains en produisant en 1973 La Submersion du Japon réalisé par Sakyō Komatsu. Le succès est au rendez-vous, alors le studio enchaîne avec Fin du Monde – Nostradamus An 2000 qui devient un succès faramineux poussant le bouchon un brin trop loin en faisant référence directement à Hiroshima et ses effets radioactifs. On découvre dans le film des enfants irradiés mutant en des monstres hideux conséquence de la fin du monde invoqué par Nostradamus. Le film est censuré et peu diffusé depuis sa sortie malgré son nombre important d’entrées.

La Toho rencontre le succès avec ses deux premières propositions. Au tour de sa concurrente, la Toei de proposer un film catastrophe. Sur un scénario de Junya Sato, l’histoire prend place dans le Nunkatsen, train à grande vitesse japonais. Un homme revendique la pose d’une bombe qui se déclenchera si le train dépasse les 80 Km/h. Le pitch vous rappelle un blockbuster phare des années 1990 ? Le scénariste de Speed ne se targue pas d’avoir pioché l’idée dans ce film, mais plutôt dans Runaway Train d’Andreï Konchalovsky sur un vieux scénario d’Akira Kurosawa.
Bref, Super Express 109 aka The Bullet Train trouve le meilleur endroit possible pour un nouveau film catastrophe. Soutenu par une galerie de comédiens populaires dont Sonny Chiba ou Ken Takakura, Super Express 109 a tout pour être un succès.

Et un succès il le sera dès sa sortie au Japon rapidement acheté à l’international, notamment la France via la Gaumont qui remonte le film l’expurgeant de 50 minutes. Une version light que l’on retrouve en bonus dans la belle édition sortit chez Carlotta en compagnie d’une interview du réalisateur et d’une analyse du film par Fabien Mauro, journaliste cinéma.
D’une durée de 100 minutes pour la France, le film dure dans sa version intégrale 152 minutes. Super Express 109 est un film mille feuilles où trois genres cohabitent malgré eux : le film-catastrophe/le polar/le film social.
La colocation au sein même du métrage se passe bien gré mal gré. Il faut avouer que l’on s’ennuie ferme pendant un moment essayant de raccrocher les wagons tellement certaines intrigues voire certains personnages sont mis de côté un certain temps. Les intrigues au cœur du train par exemple sont laissées bien trop longtemps en suspens avant d’y revenir. Le film s’échappe la plupart du temps à suivre les exactions des terroristes, de comprendre leurs motivations via le drame social de petites gens laissés pour compte par la société japonaise en reconstruction sous le joug des grands groupes. En parallèle, la partie polar déroule l’enquête pour retrouver ses fameux poseurs de bombe et délivrer la rançon demandée. On note également une légère partie politique dans le centre d’aiguillage laissant penser au Pirates du Métro de Joseph Sargent sorti plus tôt aux USA avec beaucoup de succès. Le rythme de ce film plutôt intéressant est lancinant. Les 152 minutes se font bien ressentir et l’on peine à se passionner pour tout le film. Clairement partie prenante de Super Express 109, tout le récit autour du personnage incarné par Ken Takakura est celle qui intéresse le plus son réalisateur Junya Sato. Nous nous prenons d’empathie pour cet homme démuni et charismatique menant une vendetta contre la société, lui qui a tout perdu, sa société et sa famille. Quoi de plus représentatif que le Nunkatsen pour attaquer la société japonaise, fer-de-lance de son industrie depuis une dizaine d’années. C’est alors cramponné à son canapé que l’on suit sa traque dans la dernière partie du film à l’aéroport, alors qu’il s’échappe pour le Brésil avec la valise pleine de pognons. La séquence est trépidante laissant suggérer une reprise sans faille par Micheal Mann pour le final de Heat. Fabien Mauro semble tout autant douteux dans son bonus que nous lors du visionnage. C’est un flagrant délit d’inspiration jamais cité par le réalisateur de Miami Vice.

On remercie hautement Carlotta de proposer ce film mille feuilles dont beaucoup de futurs grands réalisateurs ont goulument pris une part pour s’en inspirer. En dépit d’une partie catastrophe caricaturale dans le train, on perçoit dans cette commande de la Toei que le principal n’est point dans le genre, mais dans l’intention du réalisateur qui a malignement détourné le récit pour narrer autre chose. La catastrophe est la conséquence d’une société sous le joug des grands groupes ne laissant peu de places aux PME de l’époque. Branle-bas de combat dans ce pays aux maux évidents dont le genre catastrophe vient en peinture de fond pour libérer la parole. Super Express 109 est un film gourmand, peut-être trop pour divertir, un modèle de production entre maquettes et conclusion infernale bien troussée pour nous raccrocher, notamment lors du parallèle des deux trains pour transvaser du matériel et non pas sauver des passagers reprise telle quelle dans le Speed de Jan De Bont. Super Express 109 aka The Bullet Train est au final un modèle loin d’être réduit qui a nourri avec générosité une pelleté de blockbusters futurs entre les années 80 & 90 pour eux rien d’autre que divertir avec plaisir et sans prise de tête.

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