
S’il existe un dieu de l’édition vidéo, nul doute qu’il s’est penché sur le berceau de Carlotta à sa naissance tant l’éditeur, fêtant ses 25 ans cette année, enchaîne les sorties à un rythme régulier sans jamais se répéter, avec un goût prononcé aussi bien pour le bon gros classique incontournable que pour les pépites à découvrir ou à réhabiliter d’urgence. L’audace l’a même poussé à sortir en juin dernier, dans de très belles éditions Blu-ray et 4K, le diptyque formé par les films Heroic Trio et Executioners, réalisé par Johnnie To en 1993. Soit l’une des choses les plus dingues qu’il nous ait été donné de voir ces derniers temps, les deux films ne ressemblant à rien d’autre qu’eux-mêmes, joyeux mélanges d’une multitude de genre que To embrasse avec une générosité ultime, les rendant donc tout à fait indispensables.

Rare itération de film de super-héros made in Hong Kong, Heroic Trio est une perle rare. Alors que la police est confrontée à une série d’enlèvements de bébés, elle va devoir compter sur l’aide de la Justicière-volante, une héroïne masquée et sur celle d’une chasseuse de primes intrépide pour résoudre l’affaire. Une troisième femme, dotée du pouvoir d’invisibilité et responsable des kidnappings mais animée de remords va se joindre à elles, affrontant un ennemi puissant terré dans les sous-sols de la ville, décidé à faire de l’un des bébés le futur empereur de Chine…
Pas la peine de chercher plus loin les grandes thématiques du scénario, suffisamment intelligent pour donner à ses héroïnes une caractérisation et une backstory tragiques mais néanmoins bien conscient que l’essentiel du film ne repose pas sur lui. Heroic Trio est ce que l’on pourrait qualifier de petit miracle tant il réussit l’exploit de choper ses références à tous les râteliers (on cite aussi bien Terminator 2 que le comic-book movie avec une ville filmée comme la Gotham des Batman de Tim Burton et l’on fricote dans le même temps avec le fantastique, le wu xia pian et la catégorie III) tout en parvenant à garder en son sein une identité qui lui est propre et une réelle personnalité, aussi fantaisiste soit-elle, capable de purs moments de comédie directement hérités du slapstick comme de moments bien plus cruels. Semblant n’obéir à aucune loi si ce n’est celle du spectacle débridé (il faut voir un personnage s’asseoir sur un bidon puis coller de la dynamite dedans pour le faire décoller), Heroic Trio est joyeusement foutraque mais en même temps parfaitement cohérent dans sa volonté de sans cesse nous surprendre, chaque scène amenant en son sein son lot de surprises faisant dévier le récit du chemin dans lequel on le pensait engagé.

Et si la mise en scène de Johnnie To est à saluer, le travail du chorégraphe Chin Siu-tung (réalisateur, entre autres, du culte Histoires de fantômes chinois et de ses suites) n’est absolument pas étranger dans la réussite du film tant chaque combat (dont de nombreux sont câblés évidemment, pour notre plus grand plaisir) est une pure merveille défiant aussi bien les lois de la gravité que celles de l’imagination.
Mais le charme du film et de sa suite tient essentiellement sur son trio d’actrices vedettes dont le charme et l’énergie irradient la pellicule. Si Maggie Cheung capte plus l’attention en chasseuse de primes dont la cupidité cache en fait un grand cœur, c’est parce qu’elle bénéficie du personnage le plus exubérant, le plus drôle (et le plus sexy, on ne va pas se mentir), contrepoint parfait au pendant sérieux d’Anita Mui (excellente actrice malheureusement décédée d’un cancer à 40 ans) et au pendant tragique de Michelle Yeoh dont l’arc narratif dans le film est celui d’une rédemption et d’un amour impossible. Les trois actrices forment un trio attachant à l’équilibre parfait et l’on en vient à regretter que ce diptyque ne soit pas devenu une trilogie…

Réalisé la même année, Executioners n’atteint pas le même degré de folie que Heroic Trio mais a le mérite d’être une suite ne se reposant par sur ses acquis et rebattant entièrement ses cartes. Le récit se déroule plusieurs années après Heroic Trio et prend place dans un univers post-apocalyptique. Une guerre nucléaire a en effet dévasté le pays et l’eau potable est devenue une denrée rare sur lequel règne l’impitoyable Mr. Kim (le génial Anthony Wong, héritant ici d’un double rôle après avoir incarné un antagoniste étonnant dans le précédent), décidé à renverser le pouvoir en place. Le trio, désormais séparé et vivant des vies différentes (la Justicière-volante, devenue mère, a juré à son mari de ne plus reprendre du service) va devoir se reformer…
Plus inégal, Executioners lorgne du côté du film post-apocalyptique (Mad Max n’est pas loin) et du thriller politique, déployant un récit plus complexe et moins débridé dans lequel les valeurs morales se heurtent à la corruption généralisée d’un monde en déliquescence (symbolisé par le visage ravagé par les radiations de Mr. Kim). Johnnie To affiche un ton plus pessimiste et déploie par endroits une densité narrative ambitieuse, entendant montrer comment le pouvoir peut s’exercer facilement en des temps troublés. Ce qu’Executioners gagne en épaisseur, il le perd en réjouissance, le trio restant presque un moment en périphérie de l’intrigue principale. Cela n’empêche pas le film d’être une nouvelle réussite, aussi bien dans son ambition narrative qu’esthétique mais il est beaucoup moins décomplexé visuellement et beaucoup plus sage narrativement.

Reste que l’existence de ce diptyque fait partie de ces petites merveilles cinéphiles pour lesquelles on peut remercier le dieu du cinéma de les avoir rendues possibles. Inclassables, uniques en leur genre, et donc totalement précieux, Heroic Trio et Executioners sont à découvrir d’urgence et l’on peut remercier Carlotta de nous avoir fait ce beau cadeau, du genre que l’on aimerait avoir plus souvent…
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