L’Envol : Rencontre avec Juliette Jouan

A l’occasion de la sortie de L’Envol (au cinéma le 11 janvier), nous avons eu la chance de rencontrer l’actrice Juliette Jouan qui tient le rôle principal du film. Elle nous raconte sa toute première aventure dans le cinéma, nous parle de ses inspirations et de ses ambitions avec humilité et franchise.

Est-ce que tu peux nous raconter comment tu as décroché le premier rôle dans L’Envol ?

Mon père avait reçu un mail pour un casting sauvage qui recherchait une actrice pour le rôle de Juliette, une femme de vingt ans et il fallait savoir chanter et jouer de la musique. Le rôle me correspondait bien, il fallait juste que je sois blonde (je ne suis pas blonde) et que je sache jouer de la guitare (je ne fais pas de guitare). Mon père m’a transmis l’annonce, je devais envoyer une vidéo de présentation et une chanson en jouant d’un instrument. Il m’a aussi dit qu’il ne fallait pas non plus se faire trop d’espoir. Quand j’y repense, mes parents m’ont certes encouragée mais ils m’ont vraiment permis de garder les pieds sur terre en me rappelant que je n’avais encore rien signé.

La phase de casting a duré assez longtemps, plusieurs mois, qu’est-ce qui t’as motivé pendant cette période ?

En milieu de sélection on m’a invité à faire des essais à Paris, parce que jusque-là c’était uniquement par vidéo. C’était un moment important du parcours, la première fois que je rencontrais les comédiens avec qui j’allais jouer et je n’avais jamais fait ça avant. C’était très intimidant mais c’est le moment où j’ai réalisé que ça devenait très concret. J’avais rencontré l’équipe et les comédiens, j’avais passé une première étape importante.

Dans d’autres entretiens tu racontes que c’est ton tout premier rôle, ta première expérience au cinéma et que ça a été bénéfique pour Pietro Marcello qui a pu te diriger sans que tu sois parasitée par des influences de rôles antérieures. On souhaitait quand même savoir s’il y avait des acteurs ou actrices, des personnalités ou des personnages qui ont été une source d’inspiration pour travailler le rôle de Juliette ?

Le réalisateur voulait qu’on soit le plus naturel possible. Il vient du documentaire et il cherchait à avoir des acteurs qui d’une certaine manière, jouaient le moins possible. Mais comme ça reste un film historique, il m’a quand même demandé de regarder des films d’Arletty, comme Les Enfants du Paradis par exemple. D’ailleurs c’était drôle pendant le tournage parce qu’on me disait que j’avais un air d’Arletty quand je disais certaines répliques, donc c’est que le travail a marché. J’ai aussi regardé des films avec Simone Signoret, des films de Max Ophüls, mais j’en connaissais déjà certains, ça ne m’était pas complètement inconnu. En fait, j’avais une petite liste de films de cette époque, dans lesquels les actrices avaient du chien tu vois. Pour Arletty et Simone Signoret, ça se ressent dans leur bagou très reconnaissable et il fallait que je trouve cette force-là. Plus tard quand j’ai commencé à travailler avec une coach qui m’a aidée à cerner le personnage, elle m’a dit que Juliette lui rappelait Orgueil et Préjugés avec Keira Knightley. J’ai regardé ce film et j’ai adoré ce qu’a fait Keira Knightley avec son personnage. Pour ma part quand j’ai lu le scénario la première fois, j’ai tout de suite pensé à La Belle et la Bête. Au départ, Juliette c’était Belle pour moi. Mais ensuite j’ai préféré m’inspirer du travail de Keira Knightley, son personnage n’est pas naïf et ne se laisse pas faire.

Justement puisqu’on parle de toutes ces actrices et ces personnages féminins, est-ce qu’il y a eu une volonté consciente de faire un film avec une dimension féministe ou est-ce que c’est venu naturellement, par la force des choses ?

Je pense que le côté féministe qu’on peut voir dans le film vient de la force du personnage de Juliette. Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds et elle évolue dans un monde assez dur. A mon avis, ce film n’est pas féministe. J’ai prêté à Juliette un peu de ma personnalité et le réalisateur m’a aussi permis de l’endurcir par rapport à sa première version parce qu’il a vite compris qu’elle ne pouvait pas être trop innocente. On s’en est rendu compte pendant le tournage. Au début par exemple, mon personnage souriait beaucoup et plus on avançait, plus on réalisait que ce n’était pas crédible. On comprenait que ça n’était pas possible que cette fille qui grandit dans cet univers soit tout le temps souriante. Donc la dimension féministe du personnage elle réside surtout dans sa force, son indépendance et sa liberté qui peuvent parfois apparaître comme anachroniques pour l’époque. Mais pour moi le film est plutôt féminin que féministe. Les femmes sont clairement mises à l’honneur, mais ça n’est pas non plus une vision hyper moderne des rapports humains. Même si Louis Garrel a rajouté du ridicule au personnage de Jean, beaucoup de spectateurs continuent de remarquer que c’est la figure du prince charmant qui sauve la princesse. Le film est pensé comme un conte avant tout, donc ça fait partie de cet aspect du récit. Mais pour moi, ce conte n’est pas modernisé au point de devenir féministe, même s’il est féminin.

Donc finalement, c’est cette forme du conte qui a peut-être gêné le potentiel discours féministe qui aurait pu apparaître dans le film…

Oui probablement, mais c’était la volonté de Pietro de réaliser un conte pour sa fille, et du coup les spectateurs et la promo du film se concentrent sur le couple Jean et Juliette, donc le prince et la princesse, alors que le vrai noyau du film est autour du duo père-fille entre Raphaël et Juliette. Je pense que ce qui a aussi permis à mon personnage d’avoir malgré tout cette force et cette indépendance, c’est la présence de beaucoup de femmes dans l’équipe technique. Il y a certaines scènes qui ont été modifiées, notamment la scène du premier baiser avec le personnage de Louis. Au départ c’était lui qui devait m’embrasser de force et je devais finir par céder. A ce moment-là, l’ensemble de l’équipe s’est rendu compte que ça ne marchait pas et il y eu un rappel à l’ordre en disant qu’il fallait modifier la scène. Heureusement d’ailleurs, on a changé la scène qui est bien mieux comme elle est maintenant.

Tu as eu l’occasion d’aller en Corée du Sud à l’occasion du Busan International Film Festival, durant lequel L’Envol était projeté, comment s’est passé ta rencontre avec le public sud-coréens ?  

C’était un public très chaleureux. Le cinéma français est très apprécié en Corée. Il y a beaucoup de cinéastes coréens qui se disent influencés par le cinéma français de toutes les époques. C’était vraiment cool de voir des gens très jeunes dans la salle, en grande majorité de moins de 30 ans. Ils étaient très enthousiastes et super mignons. Ils posent beaucoup de questions sur les couleurs du film. Ils essayent de comprendre la signification de chaque couleur utilisée. Ils ont un rapport très analytique à l’image, ils veulent une explication, alors qu’il y a beaucoup d’éléments qui relèvent aussi du hasard.

Ton meilleur souvenir de tournage ?

J’en ai pleins. On est tout le temps en équipe pendant deux mois et demi et on était vraiment très soudés. Ce que j’adore c’est les sons seuls. T’as fait un nombre incalculable de prises, t’as enfin fini la scène, l’équipe est en train de remballer, et il y a le preneur de son qui arrête tout le monde pour faire un son seul. Donc il faut remettre les acteurs au travail, tu refais la scène avec beaucoup moins de monde autour de toi, et surtout tu rejoues la scène en silence. On prend juste le son de tes actions et de tes mouvements, donc tout passe par les regards. J’ai vécu des moments très beaux avec des comédiens pendant les sons seuls. Raphaël Thierry disait que les plus beaux dialogues du film sont dans les silences et ça je l’ai vraiment ressenti pendant les sons seuls. Et puis je me suis beaucoup amusé aussi, j’ai eu des fous rires. Je pense que le métier de comédien permet un grand espace de liberté.

Du coup tu es partante pour d’autres films…

Oui, bien sûr ! Je suis très curieuse de découvrir d’autres techniques. Dans ce film il y avait énormément d’improvisation, c’était un terrain de jeu énorme. Ce qui est super avec Pietro c’est qu’il cherche avec nous. On essayait un truc, il ne nous disait pas grand-chose et il faisait une remarque quand ce n’était pas ce qu’il voulait. Dans ces moments-là j’étais contente parce que je savais ce que je ne devais pas faire. C’était une manière d’avancer. Mais j’ai aussi envie de me plier à des metteurs en scène plus rigoureux.

Comment tu envisages la suite ?

J’ai envie de continuer en parallèle le cinéma et la musique. Je rencontre des gens et j’ai envie de diversifier mes expériences de jeu. Je vais continuer d’apprendre et de me former au contact des metteurs en scène. J’ai hâte de voir ce qui arrivera après la sortie de l’Envol.

Nous remercions chaleureusement Juliette Jouan pour sa disponibilité et sa générosité durant cette rencontre qui s’est tenue le 17 décembre 2022.

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