Youssef Salem a du succès : Le voyeurisme fait vendre

Youssef Salem a du succès raconte l’histoire de Youssef Salem, un écrivain de fiction, qui a du succès. Voilà, c’est tout pour nous, à la prochaine. Plus sérieusement, il s’agit là certainement du synopsis le plus court et le plus limpide de toute l’histoire des synopsis. Et pourtant, c’est bel et bien ce que raconte ce film. On y retrouve Ramzy Bedia, jouant donc le rôle de Youssef Salem, un écrivain arabe venant de publier un roman de fiction. Son roman est un vrai carton au point que sa renommée le dépasse. Mais une méprise vient rapidement s’interposer entre son succès et ses proches, les médias confondent son histoire avec sa vie. Il se bat alors pour que l’on reconnaisse son œuvre en tant que fiction et non une autobiographie.

Doté d’un casting impressionnant, le scénario démarre comme une banale comédie française un peu loufoque. Noémie Lvovsky, qui incarne son éditrice Lise, sait d’ailleurs bien y faire. Habituée des rôles extravertis un tantinet provocateurs, elle endosse une nouvelle fois à merveille son rôle. Il en va de même pour Melha Bedia qui joue contre toute attente la petite sœur de Ramzy. Son rôle ne jure pas non plus avec ceux pour lesquels on la connait, comme dans Forte par exemple. Elle apporte cette boule d’énergie à la fois fidèle et réprobatrice. D’une manière générale, les acteurs jouent bien, des rôles qu’ils ont l’habitude de jouer ou qui ont participé à leur renommée actuelle au cinéma. Mais le tour de force est surtout de constater à quel point l’écriture se sert correctement de ces caractères bien trempés pour mieux les déconstruire. Cela n’est pas anodin évidemment vu ce que le film tente de raconter. L’histoire cherche à mettre en avant une transparence entre ce que l’on est vraiment et ce que l’on cherche à montrer aux gens. C’est l’écart entre ces deux vies d’une personne qui est au cœur de la problématique du film. En transposant des acteurs incarnant ce qu’ils sont véritablement ou ce qu’ils savent le mieux incarner, on cherche doublement à mettre à nu ce jeu.

Là où la comédie excelle dans son écriture provient encore une fois dans son double discours. Youssef est né d’une famille musulmane, à priori croyante ou du moins très attaché à leur culture. Pour son roman, ce qui l’intéresse, ce sont les faux-semblants que sa famille se cache à elle-même et les mensonges et défauts qu’elle ne s’assume pas. Il met à nu sa famille et à travers elle, les dérives d’une culture, d’une religion. Mais l’écriture de son roman n’est pas là pour dénigrer les habitudes, croyances, volontés et éducations qui ont forgé à la fois son caractère et sa famille. Au contraire, il les affiche aux yeux de tous afin de mieux vivre avec et de les accepter tels qu’ils sont, car ils font partis de ce qu’ils sont. En mettant en exergue des dérives de discours et de tradition, Youssef Salem a du succès en profite avant tout pour nous confronter face à nos propres peurs et nos propres hésitations. Le long-métrage de Baya Kasmi cherche à mettre en exergue toute l’essence de l’hypocrisie qu’il peut y avoir au sein d’une famille. La mettre en exergue et l’accepter plutôt que de la cacher.

Ici, il s’agit d’une famille musulmane, avec toutes les traditions qui la composent. Le long-métrage se servant donc de la religion pour mettre en exergue certains de ses défauts. Cependant, la problématique est universelle et le film le montre bien. La religion en question n’est qu’une excuse pour mieux montrer l’universalité de l’hypocrisie. Peu importe à quel courant on appartient, dans quel pays on est né ou de quelle famille on vient, on a tous des choses à cacher que l’on n’assume pas. Youssef Salem a du succès montre bel et bien cette réalité de la chose. La plupart des gens n’assument pas qui ils sont. Youssef Salem n’est que cette petite voix dans notre tête qui ne supporte plus de devoir se cacher perpétuellement derrière des faux-semblants, des mensonges et des excuses sans fondement. En réalité, l’auteur incarné par Ramzy Bedia n’espérait qu’une chose, que l’on découvre les dessous de sa véritable identité sociale. La comédie dévoile d’ailleurs toute son ampleur dramatique lorsque tout le monde ne semble s’intéresser qu’au fait que sa fiction n’en soit pas vraiment une. En insistant sur la forme autobiographique de sa fiction, la narration présente toute une société camouflant leur propre hypocrisie derrière celle de Youssef Salem. Sauf que sa famille est plus intelligente et fait preuve de plus d’abnégation en acceptant finalement ses travers, chose que les autres protagonistes (lecteurs, présentateurs, journalistes ou éditeurs) ne font pas. De cette manière, Baya Kasmi espère certainement mettre le spectateur face à sa propre hypocrisie, notamment celle de se cacher systématiquement derrière celle des autres sous couvert de simple curiosité, plus proche pourtant du voyeurisme pervers.

Un autre film actuellement au cinéma pourrait répondre par le drame parfaitement bien à cette comédie. Il s’agit de 16 ans, réalisé par Philippe Lioret. Avec un angle différent et une thématique autre, les deux se complètent relativement bien sur la question de l’hypocrisie. Doit-on y voir une mouvance à venir sur une forme du comportement humain devenant bien trop envahissante ? Toujours est-il qu’avec le temps, qu’il s’agisse de nos élus, de nos voisins ou du pégu lambda sur les réseaux, l’hypocrisie est un défaut de plus en plus encombrant dans notre société. Cela fait du bien de voir comment cette tare est exposée intelligemment au travers d’une comédie. Même si le genre du long-métrage amoindri l’impact de son propos, il en reste une excellente œuvre sur le sujet, parfaitement scénarisée et mise en scène. Ce début d’année nous promet un cinéma français de bon augure.

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