L’Envol : Poétique indocile

En juin 2022, Le Forum des Images a proposé une rediffusion de la programmation du festival de la Quinzaine des Réalisateurs. Des célébrités bien connues du public se sont partagées l’affiche du festival : Adèle Exarchopoulos dans Les Cinq Diables de Léa Mysius ; Virginie Efira dans Revoir Paris d’Alice Winocour ou encore Léa Seydoux dans le nouveau film de Mia Hansen-Løve Un beau matin. Néanmoins, le festival s’est ouvert avec la projection d’un film réalisé par Pietro Marcello, réalisateur de Martin Eden, qui fait son retour avec L’Envol (au cinéma le 11 janvier), un film enivrant et tout en finesse, porté par les pointures que sont Louis Garrel et Noémie Lvovsky, mais qui introduit en premier rôle un duo de comédiens plus que prometteurs : Juliette Jouan et Raphaël Thierry.

L’Envol est une libre adaptation du roman Alye parusa de Aleksandr Grin et raconte l’histoire de Raphaël (Raphaël Thierry) un menuisier veuf,  ancien poilu, revenu du front et sa fille Juliette (Juliette Jouan). Au retour de la Première Guerre, Raphaël devient le témoignage d’un cauchemar que les gens refusent d’accepter, le poussant à s’isoler dans une ferme à l’écart du village, élevant sa fille Juliette avec l’aide de son amie Adeline (Noémie Lvovksy). On suit alors l’enfance, puis l’adolescence de l’héroïne, le film basculant progressivement vers un récit initiatique dans lequel amour et liberté sont étroitement liés. Le spectateur plonge très vite dans un récit fleuve qui nous transporte à la manière d’un roman. Pietro Marcello est à la fois un vétéran du documentaire et un amoureux de littérature, et ces deux mondes constituent les deux forces esthétiques de son film. Sans prétention aucune, il abreuve son récit de références poétiques et littéraires et il compose ses images avec un lyrisme stupéfiant pour nous donner à voir le conte qui se cache dans chaque vie singulière. L’enchantement naît aussi de la dimension musicale très présente (composée par Gabriel Yared et Juliette Jouan), grâce à plusieurs scènes chantées par les acteurs, rendant explicitement hommage à l’œuvre de Jacques Demy. Dans L’Envol, la mécanique de la fable est mise au service du propos social et engagé, dans lequel Marcello déclare à la fois son amour aux marginaux et aux parias mais sculpte aussi un portrait véritablement féministe de son héroïne.

Le tableau de la campagne française de Marcello est un cadre idéal pour ses différents portraits. Le film gravite autour de formations de personnages, passant de trios aux duos, mettant en scène les différentes relations que nous vivons dans une vie. Au-delà du duo père-fille entre Raphaël et Juliette, celle-ci va se construire en se confrontant aux différentes figures féminines que Pietro Marcello peint dans sa fable. Adeline, la mère adoptive, qui forme Juliette à manier ses premières armes contre un patriarcat oppressif ; la Sorcière (Yolande Moreau), qui ouvre les yeux de la jeune fille sur la magie du monde qui l’entoure ; et puis Inès (Inès Es Sarhir), sa sœur de cœur avec qui elle partage sa quête initiatique. Le réalisateur a le chic pour choisir des visages, des corps, des comédiens qui sont à la fois surprenant mais parfaitement conformes à la dimension du conte.

Ce casting enchanteur est un autre point fort du film puisqu’il met en avant Raphaël Thierry, un acteur qui mérite d’être suivi de près et introduit pour la première fois à l’écran Juliette Jouan. Deux visages qui racontent deux vies. Le premier narre dans ses traits abîmés et son regard perçant le désastre de la Première Guerre, l’accablement du deuil et l’espoir placé dans sa fille. Les mains de l’acteur sont aussi mises en valeur comme son outil de travail du bois,  impressionnantes par leur taille et leur extrême douceur. La seconde arbore sur sa peau toute la puissance poétique que le réalisateur a souhaité insuffler à son film. Elle incarne l’équilibre entre l’innocence du conte et l’assurance d’une identité revendiquée et assumée.

L’Envol est un film multiple, aussi pluriel que les portraits de ses personnages. Pietro Marcello nous prouve que la forme du conte est toujours d’actualité et que le désenchantement de notre monde n’affecte en rien le lyrisme de sa caméra. Il poétise un discours social en troquant une franchise moraliste contre une tendre humanité, laissant ses personnages être les vecteurs de son message. L’Envol est une œuvre qui vient nous toucher sur la durée et qui confirme la maturité artistique de son créateur et de ses acteurs. Digne héritière de maintes générations de combattantes, Juliette le personnage et Juliette l’actrice incarnent les deux facettes d’une flamme créatrice, d’une muse politique reprenant la lutte d’émancipation de ses aînées, presque innocemment, simplement animée d’un souffle inépuisable de liberté.

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