Maestro(s) : Rencontre avec Bruno Chiche

Nous rencontrons un matin humide de juin Bruno Chiche, réalisateur du film Maestro(s) présenté en ouverture de la 8e édition du Festival du Cinéma et Musique de film de La Baule. Le réalisateur de 56 ans arrive au sortir de son lit après une bonne nuit pour se prêter au jeu de l’entretien. Nous avons bien eu le temps de digérer un film simple et bien écrit sur les rapports familiaux compliqués au sein d’une famille privilégiée dont les deux cadres sont chefs d’orchestre.
Une tension d’orgueil régit les rapports entre un père et son fils respectivement incarnés par Pierre Arditi et Yvan Attal. Ce dernier accompagne le réalisateur sur les bords de l’Atlantique, arpentant avec bonhomie la terrasse encore trempée de l’Hôtel Hermitage qui prépare sa mise en place du jour pendant que l’entretien démarre autour d’un café chaud et fort, presque réconfortant et amical en cette fin juin au soleil discret.

Maestro(s) est l’adaptation française d’un film israélien Footnote qui a eu un grand succès dans son pays. Qu’est-ce qui vous a attiré à le refaire pour le public français ?

Bruno Chiche : Je ne savais pas comment, mais je souhaitais faire un film sur le thème de la relation père/fils. Mais la relation d’un vieux fils (de mon âge) et son père. Et mon producteur Philippe Rousselet connaissait ce film israélien dont il avait acheté les droits pour une adaptation. Il m’en a parlé, me l’a montré et j’y ai vu une base de sujet inspirant. C’est important d’être inspiré pour se lancer dans la confection d’un film et FootNote m’a inspiré.

Je ne connaissais pas du tout ce film israélien personnellement avant de voir le vôtre. Je me suis donc informé au préalable et vous en prenez complètement le revers. Comment s’est déroulé le travail d’adaptation ? 

Figurez-vous que je ne l’ai pas adapté (rires). Il y a quelque chose qui m’a touché dans ce film que j’adore. Alors je ne vais pas contre, mais je l’adapte. Il m’a inspiré puis je l’ai complètement oublié. J’ai réécrit quelque chose de personnel dans le fond qui n’a rien à voir. Puis le film parle vraiment de la musique qui est un troisième personnage. Il parle de la musique comme on parle du cinéma. C’est l’histoire d’un père et d’un fils qui se réalise l’un contre l’autre / l’un avec l’autre, mais par la musique. Ce sont deux chefs d’orchestre.

Comme vous le dites, la musique est un personnage important dans le film. Dans la version israélienne, ils sont universitaires…

Oui exactement dans le film de Joseph (Cedar – le réalisateur de FootNote), ils sont deux chercheurs israéliens sur la Torah. On est très loin du truc (rires).

Et qu’est-ce qui vous a amené à faire de vos deux protagonistes des chefs d’orchestre, car au fond ce qui vous intéresse est leur relation tendue et pétrie d’orgueil ?

J’avais écrit une première adaptation, enfin un premier scénario où ils étaient historiens. Je suis un féru d’histoire et j’en avais fait des historiens, proches donc des personnages originaux, qui ambitionnaient d’avoir le Prix Beaumarchais, un prix d’histoire remis par l’Académie Française. Et puis un jour je déjeune avec une amie grande chanteuse lyrique qui me dit « c’est étrange car ton histoire est celle de mon mari et de son père ». je lui dit « Ils sont historiens ? » et elle me répond « Non ils sont chefs d’orchestre ». Et d’un coup ça fait tilt dans ma tête et j’ai réécrit le film en l’adaptant dans le milieu de la musique. Et m’apercevant assez vite que cela arrive souvent dans ce milieu. Il y a beaucoup de chefs d’orchestre de père en fils et les relations sont souvent difficiles. C’est une compétition permanente. 

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens, mais surtout vous sur cette opposition d’orgueil. Car on sent lorsque le film commence que c’est déjà ancré et que le spectateur entre dans la dernière phase de cette tension. 

Ce qui est paradoxal dans le film est que Yvan Attal et Pierre Arditi – les deux comédiens – s’adorent dans la vie. Et ils se retrouvent à incarner deux personnages non pas qui ne s’aiment pas, mais dans le fond d’une banalité terrible mêlant amour, haine et jalousie. Trois mots différents pour un même sentiment, ils s’aiment mais ne savent pas du tout comment se le dire. Ils sont un peu jaloux l’un de l’autre, mais cela n’empêche pas l’amour. Et les deux acteurs dans la vie s’aiment énormément.

Et c’est cela qui est incroyable dans le film notamment dans les séquences dans l’appartement ou à l’anniversaire, on sent les tensions entre eux mêlées à une estime profonde. Et vous réussissez à capter cela et à le retranscrire à l’image avec leurs regards, leurs échanges… C’est la grande force du film de réussir à jouer sur leur relation ambivalente.

Ils ne s’entendent pas c’est vrai, mais cela n’empêche pas de s’aimer. Et je pense qu’au fond ses deux personnages s’aiment. Je n’ai pas eu grand-chose à faire. Cela n’existe pas la direction d’acteurs. Jean-Pierre Marielle me disait un jour avec beaucoup d’humour « Je connais des directeurs de banque, des directeurs de conscience, mais directeur d’acteurs je ne sais pas ce que c’est. » Ce que je sais ou pas est si j’aime les acteurs que j’engage : j’aime Yvan, j’aime Pierre… Je les ai regardés s’aimer et c’est tout. Dans le film ils ne se détestent pas. Ils se jalousent et ils s’insupportent mutuellement, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne s’aiment pas. C’est ce qui est beau dans la vie, parfois les gens que l’on aime le plus ne sont pas ceux avec qui on s’entend le mieux. 

Il y a justement ce twist que l’on ne révèlera pas qui apporte beaucoup d’émotions dans la dernière partie. Le final est bouleversant avec cette dualité dans nos sentiments, dans nos attentes… 

C’est un joli compliment, mais pour garder le secret je ne vous répondrais pas (rires).

Mais comment on y arrive à cette chute ?

Je ne peux pas vous répondre, vraiment, je ne peux pas vous répondre (rires). Je ne peux que dire d’inviter tout le monde à aller voir le film dans les salles de cinéma.

L’une des autres grandes forces du film est le focus sur une famille complète. Cela fait beaucoup de personnages, mais chaque membre de cette famille trouve sa place. Vous trouvez le juste équilibre permettant à tout le monde d’exister. Comment on trouve cette équilibre au scénario puis au montage ?

C’est une belle question que vous me posez sincèrement, car j’étais dans le train hier avec Yvan, et je lui dis « Ce n’est qu’une histoire d’amour entre le personnage principal et son père / entre le personnage principal et son ex-femme / le personnage principal et sa nouvelle copine / le personnage principal et sa mère / le personnage principal et son fils. «  Car ce qui lui arrive avec son propre père – et c’est ça qui est intéressant – est de voir les répercussions de ce problème originel avec les autres membres de son entourage sur sa vie. Et chaque membre de cette famille n’est pas un personnage secondaire. La problématique est de montrer comment un souci familial a des répercussions sur tous les personnages de sa vie. 

Et vous créez même un lien fort entre le personnage de Yvan et son fils. Vous travaillez en parallèle l’héritage d’un père avec son fils qui ne sera pas chef d’orchestre, mais chef de cuisine…

Comme il aime son père, il ne souhaite pas revivre ce que son père a vécu avec son grand-père qu’il adore et qui le choie. Le grand-père a également une relation de choix avec son petit-fils. 

Pour finir, il y a également la relation entre Miou-Miou et le petit-fils. Finalement il n’y a pas que Yvan qui tisse des liens, mais chaque membre de la famille est authentiquement relié, il y a vraiment un tissage familial.

Oui c’est un film sur la famille. Mais c’est drôle que vous ayez remarqué cela parce que quand j’ai écrit le scénario, j’ai lu un livre écrit par Gisèle Halimi qui avait des problèmes avec ses enfants. C’était une très grande avocate qui n’avait pas le temps de s’occuper de ses enfants en épousant des causes énormes, des combats de sociétés majeurs à mener. Elle ne s’entendait donc pas très bien avec ses enfants, mais elle a noué une relation passionnelle avec ses petits-enfants, et notamment sa petite-fille. Cela a été très loin, jusqu’à en écrire un livre parce qu’il y a eu des problèmes entre Gisèle Halimi et son fils qui a très mal vécu la relation passionnelle entre sa petite-fille et même avec son petit-fils et leur grand-mère. Parfois cela saute les générations. Mais Maestro(s) est un film sur la famille.

Merci Bruno pour cet échange.

Propos recueillis le 30 juin 2022 suite à la présentation du long métrage au Festival du Cinéma et Musique de La baule. Nos remerciements à Léa Grandpierre pour la possibilité de cet entretien.

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