Sorgoï Prakov : Borat est venu dormir près de chez vous

Entre la sortie confidentielle du film en 2013 et sa mise en lumière de plus en plus grandissante ces dernières années, le parcours de Sorgoï Prakov a de quoi rendre optimiste n’importe quel réalisateur désireux de rencontrer le succès. Sélectionné lors du festival Cinémabrut en 2013 duquel il est sorti auréolé du Brutal d’Or, le film de Rafaël Cherkaski avait fait son petit effet sur le public. Le film est aussitôt retourné dans les cartons car bien trop difficile à distribuer. Seulement, le bouche à oreille faisant son œuvre, ainsi que la mise à disposition gratuitement du film sur le net par son réalisateur, Sorgoï Prakov s’est offert un parcours vivifiant qui a abouti en 2021 par la sortie d’une édition blu-ray collector au terme d’une campagne Ullule prospère. Chapeauté par moult partenariats, dont Shadowz, il n’est donc pas étonnant de voir le film débarquer sur la plateforme. Attachez vos ceintures, de très fortes perturbations vont venir vous secouer pour la séance d’aujourd’hui !

Sorgoï Prakov est un journaliste originaire d’un pays de l’Est. Il arrive à Paris dans le but de commencer un tour des capitales européennes et ainsi pouvoir réaliser un documentaire autour du rêve européen. Entre fascination et difficulté d’adaptation, Sorgoï a bien du mal à mener son projet et sombre, au gré de ses expériences, dans la folie.

Projet hybride à mi-chemin entre C’est Arrivé Près de Chez Vous, Borat et J’irai Dormir Chez Vous, Sorgoï Prakov prend un temps monstrueux à brouiller les pistes entre docu-vérité et œuvre de fiction. Le premier gros tiers du film peut laisser perplexe sur ses intentions, notamment s’il se retrouve devant les yeux d’un spectateur ne sachant rien du projet. On ne sait jamais où se trouve la frontière entre fiction et réalité, et en ce sens Rafaël Cherkaski parvient à construire une sacré mythologie autour de l’histoire de son personnage. Originaire d’un pays totalement fictif, la Sdorvie, Sorgoï tente de s’intégrer au mieux face à la culture européenne, et particulièrement les coutumes françaises. Seulement, dès lors qu’il décide de connaître le fameux « Paris by night », Sorgoï va nous révéler quel être humain il est. Si d’aventure on pourrait croire que la succession de malheureux événements qu’il rencontre le poussent à basculer dans la folie, c’est aussi négliger le fait qu’il soit lui-même un parfait sociopathe, alcoolique et drogué. Quand on regarde de plus près : c’est lui qui perd sa veste avec ses papiers après avoir pris un shoot massif d’ecstasy en faisant fi des avertissements du dealer, c’est lui qui brûle son passeport sous l’emprise de l’alcool, c’est lui qui se montre toxique en forçant deux femmes à faire des choses qu’elles ne veulent pas. Sorgoï est seul responsable des ennuis dans lesquels il se retrouve. Il tourne le dos à sa famille, refuse de rentrer dans son pays et malmène les rares mains tendues sur son chemin. Factuellement, lorsqu’il se retrouve SDF, ce n’est que le simple résultat d’une succession de mauvais choix causés par ses addictions et ses penchants néfastes.

Mais alors, pourquoi Sorgoï Prakov est-il affublé d’autant d’avertissements ? Tout simplement parce que le film bascule dans un déferlement de violence de laquelle il sera compliqué de sortir indemne. Parti avec l’idée de filmer le rêve européen, Sorgoï décide de changer son fusil d’épaule et nous initie au cauchemar européen. Et c’est à partir de ce moment que le film devient douteux sur ce qu’il entreprend. Là où il aurait été intéressant de jouer avec la misère humaine et la part sombre des individus qui constituent la société pour mettre plus bas que terre certains ressortissants étrangers, nous n’avons droit qu’à de multiples agressions de la part du héros qui ont du mal à trouver un vrai sens. S’il y a bien une envie d’annihiler tout ce qui a trait à la vie par le biais des meurtres perpétrés par Sorgoï, le discours est bien trop confus et reste trop en surface pour en tirer une vraie critique. Le film se veut nihiliste et fataliste puisque Sorgoï devient un agent destructeur qui tue avec une gratuité sans pareil. En s’attaquant à un couple de retraités, il tue métaphoriquement la maladie et la vieillesse. Il tue l’amour lorsqu’il s’en prend à une famille… Seulement, Sorgoï Prakov en oublie, d’un, son concept initial (bizarrement, les caméras tournent toujours sous divers angles alors qu’il est censé être à la rue, donc sans moyen de recharger les batteries…), et, secondement, il en oublie d’être vraiment moralisateur à défaut d’être véritablement provocateur. Le dernier tiers du film n’est qu’une succession de scènes tantôt chocs histoire de remuer le tout venant, tantôt expérimentales afin d’enfoncer encore plus le malaise ambiant. Mais quelle est la portée d’un tel discours ? Que nous reste-t-il en fin de parcours ? Pas grand-chose en vérité. Si notre nous de 23 ans avait adoré découvrir Sorgoï Prakov à l’époque, difficile d’en dire autant dix ans après. Si nous sommes toujours séduits par la première moitié du film qui offre de belles promesses, impossible de n’y trouver autre chose qu’un personnage qui joue avec son caca et tue sans raison en seconde partie. Quand bien même notre analyse demeure primaire, elle ne va pas plus loin que ce que le film tente de nous raconter. C’est une chose d’aduler des films comme Schizophrenia, c’en est une autre de les digérer et de les comprendre : chose que Sorgoï Prakov ne fait qu’à moitié. Ne reste qu’une appréciation en demi-teinte qui risque fort de ravir les jeunes adultes en quête de sensations fortes autant qu’elle désespérera les spectateurs avec un peu plus de bouteille et de références.

Sorgoï Prakov est donc un projet ambitieux qui ne parvient pas à transcender son propre discours. S’il fascine par une première partie soutenue dans laquelle Rafaël Cherkaski étoffe un personnage diablement construit avec ses qualités et ses défauts, il se fourvoie dans une dernière demi-heure putassière à la violence atrocement gratuite et faussement contestataire. Les symboles sont peut-être là (destruction de l’amour, le phœnix qui renaît de ses cendres…) mais la manière de les utiliser sont bien trop maladroites pour donner envie d’y revenir par la suite. Ceci étant, notre avis diverge totalement de l’impression que le film nous a laissé il y a dix ans, accordons donc à Sorgoï Prakov une troisième chance dans une dizaine d’années afin de nous rendre compte si le film est capable de nous offrir une nouvelle vision.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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