Adieu Paris : Trop vieux pour ce déjeuner

Il y a chez Edouard Baer (que ce soit l’acteur, le réalisateur ou l’auteur) une poésie insaisissable, une envie de fuite en avant et une profonde mélancolie. Partout où il passe, Baer avance en cultivant à la fois drôlerie et spleen, comme s’il fallait pour tenir le coup dans ce monde, savoir rire de soi, de son malheur (‘’personne ne va bien’’, phrase répétée non seulement dans le film mais également dans son formidable spectacle Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce) tout en guettant çà et là les bonheurs et émerveillements que la vie peut proposer.

Avec Adieu Paris, Baer réalise un film qui ne ressemble qu’à lui. À la Closerie des Lilas, de vieux amis se réunissent pour leur déjeuner annuel. Ceux qui étaient de grandes figures de Paris ont un rituel désormais bien rodé. Mais cette année est différente : l’un d’entre eux ne se décide pas à les rejoindre, l’un est là mais absent et l’invité de l’année, Benoît, n’est plus le bienvenu, on a oublié de le prévenir. Alors il reste à l’écart, attendant de voir s’il va pouvoir faire son entrée (l’occasion d’admirer une fois de plus toutes les nuances de jeu de Benoît Poelvoorde, formidable). À table, les vieux briscards parlent, se lancent des blagues et donnent le change mais on sent bien que le cœur n’y est plus. Ce sont des amis qui n’en sont plus, qui ne partagent plus rien et qui se donnent en spectacle pour cacher ce qui les ronge et ce dont ils n’osent pas parler…

Etonnant film que celui-ci, écrit et réalisé avec beaucoup d’amour et de tendresse. En croquant le portrait d’hommes vieillissants, Edouard Baer semble se régaler. D’abord, parce que le casting réuni est formidable : Pierre Arditi, Benoît Poelvoorde, Bernard Le Coq, Daniel Prévost, François Damiens, Bernard Murat, Jackie Berroyer, Jean-François Stévenin, Gérard Depardieu et Isabelle Nanty sont de la partie et tous prennent visiblement un malin plaisir à être devant la caméra de Baer, à servir des dialogues particulièrement fins et à croquer des personnages complexes. Avec Adieu Paris, Edouard Baer fait un portrait réaliste d’une certaine masculinité vieillissante. Il regarde ses personnages sans fards, à la fois avec tendresse et cruauté : tantôt touchants, tantôt pathétiques.

Entre celui qui ne va pas bien mais n’en parle pas, celui qui sniffe de la coke en cachette pour faire bonne figure, le vieux séducteur qui en fait des caisses ou le vieux grincheux accroché à ses principes, ils sont tous croqués avec justesse. Jamais jugés mais montrés tels qu’ils sont :  des messieurs vieillissants, attachés à leurs habitudes, ne semblant pas voir que leur amitié s’est fanée, s’accrochant à des choses futiles pour ne pas perdre pied. ‘’J’ai pas envie que les choses que j’admirais quand j’étais petit n’existent plus’’ dit à un moment le personnage de Pierre Arditi, peut-être l’un des passages les plus bouleversants du film, où la carapace se fissure, où l’on réalise que derrière tout ce manège se cachent des peurs de gamins. Adieu Paris capte ainsi un point de bascule dans la routine de ces messieurs et la caméra va chercher des moments de flottement, des scènes où la mélancolie vient pointer le bout de son nez, sans prévenir.

On sort ainsi du film amusé, attendri mais usé d’avoir assisté à un déjeuner qui finalement aura été vain, montrant les personnages dans leur égoïsme et leur méchanceté. Ils sont pourtant très proches de nous et leurs défauts sont les nôtres. Adieu Paris jette ainsi un œil sur ces longues amitiés que l’on prend pour acquises et diffuse de la mélancolie à mesure que les personnages se révèlent (avec comme moments d’entracte les merveilleuses séquences où Gérard Depardieu ne se décide pas à aller au déjeuner). Parfois, quand il n’y a plus rien à dire, c’est qu’il est temps de quitter la table, voilà ce que Baer nous dit avec décidément une justesse dans les portraits humains révélant une profonde sensibilité, toujours sur la brèche entre le rire et les larmes.

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